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Littératures françaises - Page 21

  • Abracadabra

     

    « Je suis tombé amoureux de deux personnes en même temps, un vendredi matin, dans un bus Air France. »
    L’amour tombe sans crier garde sur Nicolas. Ingrid l’ornithologue et Raoul son petit garçon. Un amour sans nuage jusqu’à ce qu’Ingrid quitte Nicolas parce qu’elle l’aime… Commence alors une longue dérive qui va voir intervenir une fée caissière exilée, un enfant rêveur, un photographe crétin, des jeunes gens à moto et des grands-mères marâtres.
     
    C’est une jolie histoire que l’Education d’une fée. Beaucoup moins mièvre que ce à quoi on pourrait s’attendre ! Bien sûr le point de départ de l’histoire, un couple qui se déchire n’est pas original, mais les personnages et la touche d’humour de l’auteur font toute la différence avec les romans à l’eau de rose.
    Nicolas est un homme enfant. Il n’a jamais accepté de quitter le monde du rêve, du merveilleux, du jeu. D’ailleurs c’est son métier d’en inventer, des jeux. Il refuse la laideur et la méchanceté du monde. Avec Ingrid et Raoul, il a trouvé son havre, sa bulle de bonheur parfait. Et ce qu’il leur apporte, l’amour d’un homme pour Ingrid, l’amour d’un père pour Raoul est énorme. Quand à eux, avec leur capacité au rêve, à l’enthousiasme, au décalage, ils sont en accord avec lui.
    C’est pour cela que quand le dérèglement de ce petit univers s’amorce, c’est l’incompréhension qui prédomine. Une incompréhension à laquelle Nicolas va réussir à faire face grâce à César, jeune irakienne à la poursuite de son rêve. Ce que veut César après avoir survécu au pire, c’est étudier sur les bancs de la Sorbonne, se dégager d’un quotidien de caissière glauque, agité par un petit ami en prison et ses copains qui la surveillent de près.
    Deux solitudes se rencontrent et trouvent l’une en l’autre la force de s’en sortir. Le face à face de Nicolas et César est ce qui fait tout le charme du roman. Le drame amoureux face au drame tout court. Le petit courage d’un homme occidental qui n’a jamais souffert que d’amour face à la vraie dignité d’une femme qui a vu le pire et vit pour s’en souvenir.
    Les problèmes de couple de Nicolas et Ingrid peuvent sembler répétitifs à la longue, la fin arriver un peu rapidement et être un peu tirée par les cheveux. Mais avec César, un petit vent frais souffle sur les pages. C’est elle la fée, celle qui redonne l’espoir, qui sauve le petit Raoul de la séparation de ses parents. Elle introduit avec son réalisme un peu de merveilleux dans la vie d’un homme qui en perdait le sens et dans la vie d’un enfant qui avait peur. Ce qui ne l’empêche pas de dire des choses si vraie et si dures sur une France qui n’est plus un rêve.
    L’alternance des chapitres, des points de vue de Nicolas et César permet d’alléger le propos, de mettre en regard deux visions du monde et de la vie. C’est ce qui fait en grande partie le charme du roman.
     
    Merci à Stéphanie de me l’avoir prêté !
     
    Les avis de Stéphanie herself, Fashion, Caroline


    Didier Van Cauwelaert, L'éducation d'une fée, Livre de poche, 2002
  • Chagrin

     

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    Cher monsieur Pennac,

     

    Cette lettre est l’expression de mon grand amour pour votre travail et d’une déception.

    L’expression de mon grand amour… C’est un terme un peu grandiloquent, certes. Vous n’êtes pas à l’origine de mon amour des livres et de la lecture. J’ai subi les assauts du bovarysme, lu jusqu’à oublier le monde extérieur, tenté de repousser l’heure de dormir à l’aide d’une lampe de poche bien avant que de lire Comme un roman. Mais, vous avez été, monsieur Pennac, à l’origine de mes premiers émois de lectrice adolescente. C’est à vous que je dois mes premières nuits blanches passées sous ma couette, étouffant de rire à force de ne pas rire. Vos Malaussène et leur petit monde sont d’ailleurs restés de vieux compagnons.

    C’est à vous que je dois d’avoir cessé de lire jusqu’à la lie, d’avoir pris le temps et le plaisir de picorer au gré des pages, d’avoir cessé de culpabiliser en lisant la dernière page de mon roman. A vous aussi que je dois, et à votre frère, d’avoir lu Guerre et paix. Je n’ai jamais oublié cette jeune femme tombant amoureuse d’un homme et en épousant un troisième. Au point d’avoir promené la Pléiade empruntée à la bibliothèque six semaine de sacs en sacs.

    Tout ceci pour vous dire que j’ai toujours attendu avec impatience et plaisir une nouvelle de vos œuvres.

    Et pourtant, je n’ai pas retrouvé la magie avec Chagrin d’école. Il m’est difficile de l’avouer. Et j'ai bien du mal à expliquer cela clairement.

     J’ai retrouvé votre plume, le bonheur de vos expressions, de vos coups de gueule, de votre verve.

    J’ai aimé recroiser le chemin de votre frère, de vos parents.

    Votre réflexion sur le rôle de l’école, de l’enseignant, de l’amour dans la relation pédagogique, ancrée dans l’expérience de toute une vie m’a donné à penser. J’aurais aimé vous avoir pour professeur, vous qui avez su lier intimement le jeu et le savoir.

     

    Mais tout cela avec le goût d’une petite musique déjà entendue. Et un léger ennui, parfois la sensation d’une certaine facilité. Peut-être parce que j’ai eu la sensation de lire un développement de Comme un roman. Peut-être parce que j’attendais, soit un réel retour sur votre enfance, soit un essai creusant un peu plus la réflexion sur l’école d’aujourd’hui, les échecs scolaires, la dégageant de l’expérience, la votre, qui en est le départ.

    Ce n’est bien sûr qu’un simple ressenti qui n’augure pas de la qualité de votre œuvre, d’ailleurs couronnée par de bien hautes instances et aimée sans réserve par bien d’autres que moi. Et qui n’est pas une remise en cause inintelligente du poids de ce que vous avez accompli. Quand vous parlez d’élèves en difficulté, je me garderais bien de venir jouer la mouche du coche inexpérimentée.

     

    Vous avez le don, monsieur Pennac d’aborder avec intelligence, humour, sérieux et légèreté les problèmes les plus graves. J’aimerais, un jour, croiser votre route pour simplement vous écouter parler de tout cela. Et de vos bonheurs de lecteur, tellement communicatifs.

     

     Sans rancune monsieur Pennac, et avec l’espoir, de vous retrouver bientôt.

    Daniel Pennac, Chagrin d'école, Gallimard, 2007

  • Lettre d'amour

    9782718607276.jpg« Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien. »
     
    Dans cette longue lettre à sa femme Dorine, André Gorz revient sur 58 ans d’amour, de vie commune. Il revient sur cette femme qui est si peu apparue dans une œuvre qui, sans elle, n’aurait sans doute pas existé.
    Lettre à D. n’est pas vraiment une lettre, pas vraiment une description de la femme aimée. André Gorz parle beaucoup de lui au cours de ces 74 pages, il parle beaucoup de son travail de journaliste, de philosophe, de ses relations avec Sartre et d’autres, de sa tendance à refuser le monde. Mais quand il parle de lui, quand il regarde sans concession ce qu’il a été, il parle d’elle.
    Il rend hommage à une femme libre, intelligente, belle et courageuse. Dorine qui a accepté un époux pris par ses théories et ses dogmes, qui l’a aidé à écrire, à travailler, qui a toujours été présente. Dorine qui, par amour, a supporté les vaches maigres, les caprices de son mari, la maladie.
    Alors bien sûr André Gorz a une certaine tendance au jargonnage, à l’égocentrisme jusque dans cette lettre qui se voulait centrée sur sa femme, mais l’intensité de certaines pages, de certaines lignes, la beauté de cet amour qui a résisté à tout valent la lecture. Il y a des perles, des moments où le ventre se serre tant ce que dit cet homme enfin rendu à l’amour qui a traversé sa vie, qui a construit sa vie est fort. Un amour comme celui-ci, on ne peut avoir qu’envie de le connaître, de le vivre soi-même.
     
    « J’entends la voix de Kathleen Ferrier qui chante : ”Die Welt ist leer, Ich will nicht leben mehr“ et je me réveille. Je guette ton souffle, ma main t’effleure. Nous aimerions chacun ne pas avoir à survivre à la mort de l’autre. »
     
    André Gorz et sa femme se sont suicidés ensemble le 24 septembre 2007.

    André Gorz, Lettre à D.: Histoire d'un amour, Galilée, 2006, 74 p.

  • Le rapport de Brodeck

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    Un village perdu dans les montagnes de ce qui pourrait être l’Alsace, un homme, Brodeck, qui a survécu au pire. Et l’Ereignis, l’événement, provoqué par l’étranger, l’Anderer, venu d’on ne sait trop où.
     
    « Rien. Il n’y a rien Mère Pitz, rien de grave, que du naturel : hier soir, les hommes du village ont tué l’Anderer. Ca s’est passé à l’auberge de Schloss, très simplement, comme une partie de carte ou une promesse de vente. Il y avait longtemps que ça couvait. Moi je suis arrivé après, je venais acheter du beurre. Je n’étais pas de la tuerie. Je suis simplement chargé du Rapport. Je dois expliquer ce qui s’est passé depuis sa venue et pourquoi on ne pouvait que le tuer. C’est tout.»
     
    Brodeck, chargé par les hommes de son village de rendre compte et d’expliquer le meurtre de l’étranger va en même temps s’épancher dans une longue lettre, raconter le village, l’écriture du rapport, et, surtout, ce à quoi il a survécu.
     
    Le rapport de Brodeck est un roman moralement exigeant. Que l’on aime ou pas Philippe Claudel, il faut lui reconnaître cette capacité à explorer les noirceurs de l’âme humaine sans aucune concession, sans laisser aucune échappatoire à son lecteur. On a l’impression que la moindre lueur, la moindre parcelle de beauté n’est là que pour contraster avec l’horreur.
    J’ai été impressionnée par la capacité de Claudel à mettre en parallèle la grande et la petite histoire. Bien sûr rien n’est explicitement nommé, mais il n’est guère difficile de deviner où et quand nous sommes : quelque part en Alsace, dans les années qui ont suivi la Seconde guerre mondiale. Après l’horreur pure. On pourrait penser que cela a été le fait d’un homme qui a réussit à mener son peuple et d’autres à cela, qui a réussi à élaborer une machine étatique et militaire si froide et sans âme qu’elle a permis que des millions d’hommes, de femmes et d’enfants soient humiliés, torturés et assassinés. Ce serait trop facile.
    Brodeck a survécu au pire, à la torture et à l’humiliation pour pouvoir, un jour, retrouver sa femme et son village. Mais même ce petit village perdu dans la montagne a été touché par la guerre, la folie. En fait, même ce petit village perdu dans la montagne, surtout ce petit village perdu dans la montagne a été touché par la folie des hommes. Sans aucun doute parce que tout homme au plus profond de lui-même contient les germes de la violence, de la lâcheté.
    L’arrivée de l’Anderer n’est finalement que le révélateur de ce fait. Il est le miroir dans lequel s’est reflété soudainement le mal ordinaire. Et les miroirs, comme le dit si bien le curé Peiper, les miroirs, on les brise.
     
    Le choix de Philippe Claudel de laisser Brodeck sauter du coq à l’âne, évoquer le passé, revenir au présent, rapporter les propos tenus, raconter ses souvenirs perd un peu le lecteur, mais donne du rythme à la narration, tisse peu à peu un tableau d’ensemble d’une communauté d’homme située dans un temps et un lieu mais pourtant universelle dans les rapports que ceux qui a constituent entretiennent entre eux et avec le monde extérieur. Quelques centaines d’âmes suffisent à recréer à petite échelle ce qui s’est passé à grande échelle. L’homme ne supporte pas ce qui est différent de lui, ce qui le renvoie à sa propre image.
     
    J’ai apprécié la simplicité des formulations, leur poésie parfois, et l’apparente banalité de propos qui amènent au final à des questionnements bien plus profonds. A travers les actes des hommes du village, à travers les camps et l’horreur de la guerre, c’est l’existence de Dieu qui est interrogée. Puisque tout cela invalide le concept même d’enfer, qu’en est-il de d’une divinité qui laisse ses créatures semer le mal ? Après tout, « Si la créature a pu engendrer l’horreur, c’est uniquement parce que son Créateur lui en a soufflé la recette ».
    Et dans ce cas, qui donc peut pardonner ? Peut-on seulement pardonner ? Ou ne peut-on qu’oublier ?
    L’homme accomplit le pire mais ne peut vivre avec. Il cherche à se souvenir avec ses monuments. C’est d’ailleurs un moment assez drôle que celui où Brodeck parle de ce monument aux morts d’où son nom a été effacé une fois qu’il a été revenu de l’endroit d’où personne n’est revenu. Mais il a besoin de l’oubli. Le maire du village montre qu’il l’a bien compris quand il brûle le Rapport. « Je suis le berger. Le troupeau compte sur moi pour éloigner tous le dangers, et de tous les dangers, celui de la mémoire est un des plus terribles, ce n’est pas à toi que je vais l’apprendre, toi qui te souviens de tout, toi qui te souviens trop ? […] Il est temps d’oublier, Brodeck. Les hommes ont besoin d’oublier. »
     
    Le danger de la mémoire, Brodeck l’incarne, mais le prêtre aussi, qui sombre dans la déchéance à force d’être la mémoire des hommes, le réceptacle de leurs fautes. Pour qu’ils puissent continuer à vivre malgré leurs actes, lui doit mourir à petit feu.
    «  Les hommes sont bizarres. Ils commettent le pire sans trop se poser de questions, mais ensuite ils ne peuvent plus vivre avec le souvenir de ce qu’ils ont fait. Il faut qu’ils s’en débarrassent. »
    A ce compte là, comment s’étonner de la répétition de l’horreur ? Puisque l’ignorance et la peur gagnent et que l’oubli recouvre le tout, l’homme ne peut rien apprendre du passé. Si tant est qu’il puisse supporter d’apprendre du passé et de se souvenir. Brodeck lui-même d’admet : « Au fond, raconter n’est peut-être pas un remède si sûr que cela. Peut-être qu’au contraire, raconter ne sert qu’à entretenir les plaies, comme on entretient les braises d’un feu afin qu’à notre guise quand nous le souhaiterons, il puisse repartir de plus belle. »
     
    Bref, le rapport de Brodeck est un roman riche, complexe sous son apparente simplicité. Un roman qui pousse à la réflexion. En cela il est une réussite. Je n’aime guère l’œuvre de Philippe Claudel, mais je dois admettre avoir été emportée par ma lecture, contrainte presque à la terminer pour savoir pourquoi, comment, quand bien même je savais déjà que tout reposait sur le meurtre de l’Autre, du différent. J’ai continué malgré le blues qui me prenait parfois, la quasi-nausée.
    Un Goncourt des lycéens mérité.
    Bravo M. Claudel.
     
     Philippe Claudel, Le rapport de Brodeck, Stock, 2007, 400 p.
  • Mangez-moi!!

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    J’ai choisi ce livre pour deux raisons : le club des théières se tenait sur le thème de la cuisine, et ô mystère des mânes, voilà que Mangez-moi était sur la table des coups de cœur de la bibliothèque. Et me voilà partie alors que j’avais fait de la résistance à l’époque de sa sortie. Je lorgnais dessus depuis sa sortie en poche, mais… Pal et Lal aidant… Enfin bref ! Je ne suis pas la première à le lire ! Ca ne m’empêche âs de vous donner mon avis !
     
    Myriam est instable, Myriam est irresponsable, Myriam souffre et essaie d’assumer la faute pour laquelle elle a perdu famille et enfant. Myriam cuisine aussi. Elle cuisine dans ce petit restaurant que, risquant le tout pour le tout, elle a ouvert et où elle vit aussi.
    C’est dans ce cocon où se bousculent fleuristes et cultivateurs, enfants du quartier et pierrots qu’elle va enfin trouver un chemin vers l’apaisement.
     
    Myriam est une femme perdue qui cherche un endroit où enfin se sentir chez elle. C’est ce que représente pour elle ce restaurant qu’elle ouvre en désespoir de cause avoir erré pendant des années et été cuisinière pour une troupe de cirque. Symboliquement, son petit monde prend le nom de Chez moi. C’est d’abord un petit restaurant sans menus, sans enseigne, effacé comme sa propriétaire. C’est enfin un endroit reconnu, apprécié, aimé, une cantine de quartier, un refuge pour les amoureux, les ouvriers, et les gourmands. Un restaurant reconnu comme sa propriétaire qui a repris goût à la vie. Ce n’était pas forcément ce qu’elle attendait, mais c’est ce qui lui permet à la fin d’avancer et de se retrouver.
    A travers la cuisine que sert Myriam, le projet qu’elle essaie de mener à bout avec son restaurant, c’est sa générosité qui apparaît. Sa culpabilité aussi : celle de la mauvaise mère, celle de la femme adultère, celle de la mauvaise, la perverse, celle de la femme qui a osé et s’est libérée de ce qu’elle vivait comme un carcan. Mangez-moi est un beau récit sur la liberté, la culpabilité, le plaisir et le partage. Sur une vie de femme avec toutes ses contradictions. Et surtout sur cet amour maternel que l’on conçoit comme une évidence et qui ne l’est parfois pas.
    Petit à petit, Myriam recommence à faire confiance, à accepter l’échange et le partage. Cela ne va pas sans difficultés, sans paniques, mais l’apaisement se profile. Comme si à force de cuisiner pour les autres, elle acceptait enfin de se reconnaître elle-même et elle acceptait la possibilité que d’autres l’aiment.
     
     
    Et puis il y a ces pages merveilleuses sur la cuisine, le plaisir de fabriquer, d’élaborer, ces noms de recettes, de plats qui font saliver. Le bonheur fou que ressent Myriam quand elle cuisine.
    J’ai apprécié le mélange d’émotion et d’humour qui parcourt les pages, les réflexions de Myriam, ses gaffes. J’ai trouvé quelques longueurs. J’ai ressenti un brin d’agacement à « voir » Myriam ressasser sans cesse ses fautes. Mais j’ai aussi pris un réel plaisir à la suivre, elle et son sens de l’autodérision.  C’est un personnage attachant, fort et fragile, pétri de contradictions, rêvant de chaleur humaine et fuyant quand on la lui offre.
    Les personnages secondaires sont tout aussi réussis et offre une bouffée d’humour : le fleuriste amoureux, le serveur, les deux lycéennes luttant pour terminer leurs devoirs de philosophie, etc. C’est un quartier de Paris qui prend forme sous les yeux dans lecteur dans le petit cadre de Chez Moi.
    Sans compter au récit de toutes les galères qui attendent les restaurateurs en herbe ! Et les références multiples à la littérature ! J’ai adoré le clin d’œil à Alice au pays des merveilles : une petite fille qui rétrécit et grandit, une femme qui ne sait comment trouver sa place... Le parallèle est bien trouvé.
    Mangez-moi est un roman qui fait du bien au moral et à l’imagination. Les odeurs, les textures, les couleurs mettent l’eau à la bouche ! Rien que pour ça, merci Agnès Desarthe ! 

    Quelques extraits:
     
    « Trop petite ou trop grande ma vie se disproportionne et je ne suis jamais à la mesure de ce que j’entreprends. Comme j’aimerais retrouver ma taille originelle, celle qui me permettrait de me glisser dans le gant du jour et de ne m’y sentir ni au large, ni à l’étroit »
     
    «  L’homme qui jamais ne devait me faire pleurer, lui qui me l’avait promis, fait couler des ruisseaux de larmes sur mes joues, depuis mes aisselles et le long de mes jambes. Je ne lui en veux pas pour ce mensonge. La poigne du parjure est toujours meilleure que tout. Je désire qu’il me mente, et qu’il se dédise, et se contredise. Il croit tout savoir et ne sait rien. Et de lui, j’ignore tout et brûle de tout connaître. »
     
    « Des choux luxuriants, des poireaux goguenards, des bettes cambrées, des carottes terreuses, des patidoux à la peau d’ocelot, des potimarrons à bonnets de lutin, des sucrines en forme de calebasse, des navets ravissants. »
     
    « Ca veut dire qu’une relation entre un homme et une femme est comme un firmament. Tantôt bleu, tantôt noir, parfois nuageux, pluvieux même, peu importe, c’est toujours un seul et même firmament. La haine qu’on éprouve pour une personne que l’on a aimé n’a rien en commun avec les autres haines. Elle est nourrie de l’amour ancien. »
     
    « Comment se fait-il que l’on ait plusieurs vies ? Peut-être ai-je tendance à généraliser. Peut-être suis-je la seule à éprouver ce sentiment. Je ne mourrai qu’une fois et pourtant, au cours du temps qui m’aura été imparti, j’aurai vécu une série d’existences contiguës et distinctes. »
      
    D'autres avis de Théières et de non Théières: Flo, Florinette, Lily, Sylire, Anne, Gambadou, Amy.

    Mangez-moi, Agnès Desarthe, Editions de l’Olivier, 2006, 306 p.