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pennac

  • Chagrin

     

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    Cher monsieur Pennac,

     

    Cette lettre est l’expression de mon grand amour pour votre travail et d’une déception.

    L’expression de mon grand amour… C’est un terme un peu grandiloquent, certes. Vous n’êtes pas à l’origine de mon amour des livres et de la lecture. J’ai subi les assauts du bovarysme, lu jusqu’à oublier le monde extérieur, tenté de repousser l’heure de dormir à l’aide d’une lampe de poche bien avant que de lire Comme un roman. Mais, vous avez été, monsieur Pennac, à l’origine de mes premiers émois de lectrice adolescente. C’est à vous que je dois mes premières nuits blanches passées sous ma couette, étouffant de rire à force de ne pas rire. Vos Malaussène et leur petit monde sont d’ailleurs restés de vieux compagnons.

    C’est à vous que je dois d’avoir cessé de lire jusqu’à la lie, d’avoir pris le temps et le plaisir de picorer au gré des pages, d’avoir cessé de culpabiliser en lisant la dernière page de mon roman. A vous aussi que je dois, et à votre frère, d’avoir lu Guerre et paix. Je n’ai jamais oublié cette jeune femme tombant amoureuse d’un homme et en épousant un troisième. Au point d’avoir promené la Pléiade empruntée à la bibliothèque six semaine de sacs en sacs.

    Tout ceci pour vous dire que j’ai toujours attendu avec impatience et plaisir une nouvelle de vos œuvres.

    Et pourtant, je n’ai pas retrouvé la magie avec Chagrin d’école. Il m’est difficile de l’avouer. Et j'ai bien du mal à expliquer cela clairement.

     J’ai retrouvé votre plume, le bonheur de vos expressions, de vos coups de gueule, de votre verve.

    J’ai aimé recroiser le chemin de votre frère, de vos parents.

    Votre réflexion sur le rôle de l’école, de l’enseignant, de l’amour dans la relation pédagogique, ancrée dans l’expérience de toute une vie m’a donné à penser. J’aurais aimé vous avoir pour professeur, vous qui avez su lier intimement le jeu et le savoir.

     

    Mais tout cela avec le goût d’une petite musique déjà entendue. Et un léger ennui, parfois la sensation d’une certaine facilité. Peut-être parce que j’ai eu la sensation de lire un développement de Comme un roman. Peut-être parce que j’attendais, soit un réel retour sur votre enfance, soit un essai creusant un peu plus la réflexion sur l’école d’aujourd’hui, les échecs scolaires, la dégageant de l’expérience, la votre, qui en est le départ.

    Ce n’est bien sûr qu’un simple ressenti qui n’augure pas de la qualité de votre œuvre, d’ailleurs couronnée par de bien hautes instances et aimée sans réserve par bien d’autres que moi. Et qui n’est pas une remise en cause inintelligente du poids de ce que vous avez accompli. Quand vous parlez d’élèves en difficulté, je me garderais bien de venir jouer la mouche du coche inexpérimentée.

     

    Vous avez le don, monsieur Pennac d’aborder avec intelligence, humour, sérieux et légèreté les problèmes les plus graves. J’aimerais, un jour, croiser votre route pour simplement vous écouter parler de tout cela. Et de vos bonheurs de lecteur, tellement communicatifs.

     

     Sans rancune monsieur Pennac, et avec l’espoir, de vous retrouver bientôt.

    Daniel Pennac, Chagrin d'école, Gallimard, 2007