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  • Certaines n'avaient jamais vu la mer - Julie Otsuka

    Parfois, il suffit des quelques lignes d'un extrait pour tomber amoureux d'un texte et filer, quasi séance tenante en librairie. Où la libraire vous tend l'objet de vos désir avec une larmichette à l'oeil et un trémolo dans la voix en vous en faisant l'article. Là, l'inquiétude commence à monter. "Ah. Bon. A ce point. *et si ça ne me plaît paaaaaas, ôskour*"

    Et puis, confortablement installé, une bière bien fraîche/un verre de vin/une tasse de thé/une lichette de whisky (rayer la mention inutile) à portée de main, vous reprenez du début. Et plongez tête la première dans une petite merveille de texte.

    9782752906700.jpgJulie Otsuka raconte non pas une histoire, mais des histoires. Et en même temps, non pas des histoires, mais une histoire. Ne croyez pas que je m'embrouille ou que je tente des effets de style pour le moins aléatoires, c'est simplement que si ce sont des milliers de femmes qui sont évoquées, leur destin se fond dans une histoire commune. Celle, tragique, de jeunes femmes mariées avec des inconnus qui les attendent de l'autre côté de l'océan et qu'elles rejoignent. Elles sont plus ou moins jeunes, toutes rêvent d'une vie plus facile, de cette richesse qui ne peut que les attendre dans ce pays où les dollars poussent sous les pavés. Pour ne trouver à l'arrivée que des maris qui ne ressemblent plus à leurs photographies et l'abrutissement d'une vie de quasi esclave dans un pays où avoir la peau jaune ne vaut pas beaucoup mieux que de l'avoir noire.

    A la première personne du pluriel, mêlant les voix de ces femmes, Julie Otsuka dépeint avec une précision de détails qui donne parfois froid dans le dos l'exil, le quotidien sans espoir, la souffrance de ces femmes contraintes de faire face à un pays qui n'est pas prêt à leur accorder de vivre le moindre rêve, et qui, un jour pas si lointain, les reniera. Elles parlent d'une seule voix ces femmes, parce que finalement, quelque soit les détails parfois minuscules qui leur donnent une silhouette, toutes racontent la même désillusion, le même drame. C'est sont le racisme ordinaire, les travaux des champs, les ménages, les enfants qui deviennent des étrangers. Le temps qui file sans qu'on puisse apprendre ne serait-ce que l'anglais. Le temps qui file sans que quoi que l'on fasse ne puisse jamais effacer la couleur de peau. C'est de l'histoire ancienne et pourtant une histoire qui fait résonner des échos diantrement contemporains C'est bouleversant, révoltant et pourtant pudique et sans pathos.

    J'ai aimé le rythme particulier qui naît de ce nous répété, de ces phrases courtes, presque cliniques qui charrient une violence et une force incroyables. J'ai aimé cette plongée dans l'histoire par la petite porte.

    Un indispensable de la rentrée littéraire pour moi.

     

    Otsuka, Julie, Certaines n'avaient jamais vu la mer, Phébus, 2012, 144p.