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Littératures indiennes

  • Un océan de pavots - Amitav Ghosh

    ocean-de-pavots_m.jpg1838, une goélette apparaît en vision à Deeti qui vit pourtant à des centaines de kilomètres de la mer. Un propriétaire terrien est ruiné. Un metis devient officier de bord. Une jeune femme fuit un mariage arrangé. Un jeune batelier réalise son rêve d'embarquer sur un navire haute mer. Un homme simple sauve son amour.

    Tous vont se retrouver sur l'Ibis en route vers l'île Maurice.

    Un océan de pavots avait tout pour me plaire: une grande fresque mêlant amour, grande et petite histoire, guerres intimes et luttes politiques. J'étais séduite d'avance. Et pourtant, pourtant... Je ne terminerai pas Un océan de pavot. Non que ce soit un mauvais roman, loin de là. Amitav Ghosh construit une intrigue complexe, foisonnante, installe une galerie de personnages comme on en voit rarement, travaille ses rebondissements comme un orfèvre et la langue jusqu'à rendre les sonorités des langages qui se croisent, se mélangent, s'irriguent les unes aux autres. Mais premier tome d'une trilogie, le roman pêche par ses excès: à force de croiser les personnages, d'alterner les points de vue, d'installer par petites touches ses décors, Amitav Ghosh plombe son récit. Impossible de s'attacher aux personnages, impossible de ne pas bailler à certains passages et de ne pas regretter que d'autres ne soient pas plus longs. On s'embrouille un peu, on peine à retirer les fils de l'intrigue. En ce qui me concerne, le moment où ils se lient est arrivé trop tard, j'avais déjà perdu tout intérêt pour les personnages et leur histoire malgré le romanesque incontestable de leurs destins.

    J'ai pourtant aimé voir se dessiner l'histoire d'une période où le commerce se développe, ou la colonisation prend son essor, où les hommes migrent au gré des revers de fortune, où le racisme est une réalité et presque une normalité. D'autant que l'auteur transcrit à merveille les mentalités et les comportements et des colons et des indigènes qu'ils méprisent tant et que son travail sur le monde de la mer et les langues et dialectes est étonnant. Le commerce du pavot, les grande compagnies commerciales et leur influence sur les colonies, les migrations forcées, la ségregation raciale,  le contexte utilisé est riche, dense, trop sans doute pour qu'il soit possible de faire plus qu'effleurer des sujets qui a eux seuls auraient mérité un roman.

     

    Une rencontre ratée à mon grand regret.

    Les avis de Val, Melo, La Livrophile,...

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    Ghosh, Amitav, Un océan de pavots, Robert Laffont, 2010, 586p.

     

     

  • La vengeance des aubergines (non mais c'est vrai quoi à la fin)

     
    cat-1140621604-1.jpgConfrontée à une dramatique question de choix pour le club des théières, j’ai finalement jeté mon dévolu sur un recueil de nouvelles. Mais pas n’importe quelles nouvelles ! Non, non ! Des nouvelles culinaires !! Oui, cela existe ! C’est ce que nous offre Bulbul Sharma dans La colère des aubergines : une série de nouvelles, les recettes que cuisinait sa grand-mère Dida et quelques uns de son cru. Dans un très bel avant-propos, elle raconte cette petite femme en sari blanc de veuve qui cuisinait chaque jour pour toute sa famille ce qu’elle-même ne touchait pas. Un beau personnage de femme cette Dida, réfugiée dans une cuisine devenue sanctuaire, avec des mots que les grands-mères utilisent presque universellement à mon avis : « Mange… mange, tu es tellement maigre. » Moi ce n’est pas pour le chou-fleur aux cinq épices mais pour le couscous. Ceci dit le résultat est le même !
     
    En douze nouvelles Bulbul Sharma présente tout un univers de femmes indiennes. Des femmes très différentes les unes des autres. Des veuves, des jeunes mariées, des vieilles femmes, des mères. Des hommes aussi, toujours un peu lâches, un peu veules, un peu perdus. Car les femmes chez Bulbul Sharma sont fortes. Ce qui ne les empêche pas d’être aussi, parfois, ridicules ! Il n’est que de voir cette riche femme qui tente à tout prix de maigrir sous le regard narquois et désespéré de ses domestiques. Ou cette veuve au crépuscule de sa vie qui court après le prêtre susceptible de manger le repas cérémoniel préparé pour les mânes de son défunt époux : « Bien que pour ma grand-mère l’acte de nourrir le prêtre, qui lui vaudrait un bonus important au plan d’épargne mérite géré par le ciel, fût au cœur de la cérémonie, elle n’avait trouvé en dix ans aucun ministre du culte à la hauteur de ses talents culinaires. »
     En tout cas, elles savent mener leur monde.
    Bien sûr tout n’est pas toujours rose pour ces femmes. La cuisine, les femmes, la maison et la famille sont au centre des récits, mais des femmes qui ont des statuts divers, des destins divers. Certaines sont soumises à la tradition et en souffrent essaient de se libérer ou le refusent, d’autres se sont libérées et en souffrent aussi. Bulbul Sharma montre bien qu’entre tradition et « modernité », le choix n’est pas simple et que les conséquences de ce choix peuvent être lourdes à porter.
    En tout cas, avec ces nouvelles, on prend la mesure du rôle central que joue la nourriture dans la culture indienne. Tous les événements sont prétextes à banquets. Enterrements, cérémonies religieuses, mariages. Les familles se livrent même parfois à de véritables compétitions, laissant leurs invités à deux doigts de l’explosion. Les repas sont des sources infinies de discussion, de comparaison, voire de lutte ! Pour savoir qui, de la belle-mère ou de la bru est la plus à même à prendre soin de l’homme.
    Ces nouvelles sont très souvent drôles, parfois tristes, toujours savoureuses. Des tranches de vie indienne sont offertes. Et de très beaux personnages. Dida, Buaji, Maaji, Mani et les autres ne me quitteront pas de sitôt ! Et pour une bonne raison puisque La colère des aubergines va trouver sa place parmi mes livres de cuisine !
    On trouve à la fin de chaque histoire de magnifiques recettes avec les tours de main de l’auteur. Un lexique en fin d’ouvrage permet de se retrouver dans tous les termes hindis. Tout au long des pages on salive, on sent les odeurs et on voit les couleurs de l’Inde dans toute leur diversité.
     
    Une belle lecture.
     

     

    Bulbul Sharma, La colère des aubergines, Picquier poche, 2002, 201 p.
     
  • Auncun dieu en vue (et pourtant ils ont bien regardé)




    Bombay de nos jours. Une métropole grouillante, foisonnante, toute en contrastes et en méandres. Une métropole où se croisent les voix et les destins de personnages liés par le sang, l'amitié, la religion ou une simple rencontre.
     
    Je ne suis pas très familière de la littérature indienne et peu encline à m'y pencher jusqu'à présent. Simplement parce que je m'intéressais plus à la littérature japonaise ces derniers temps. C'est donc un peu par hasard, sur les conseils d'une collègue enthousiaste que j'ai embarqué ce livre avec moi dans mes pérégrinations. Que ladite collègue en soit remerciée, puisque grâce à elle, j'ai vécu un moment enchanteur.
    Le procédé tout d'abord est intéressant. Le livre débute avec le point de vue d'une certaine Mme Khawaz. L'époux dont elle parle durement fait entendre sa voix au chapitre suivant. Puis c'est le tour du fils qu'évoquait l'époux, puis de la soeur, puis du médecin qui avorte la soeur, et ainsi de suite jusqu'à ce que la boucle soit bouclée. Alors que cela pourrait donner un côté artificiel à la narration, on se retrouve avec un récit fluide, construit, logique et l'avantage non négligeable d'obtenir un tableau vaste de la société indienne. Le livre est plein du bruit, de l'agitation de ce pays et de cette ville tentaculaire.
    Sans condamnation, sans morale particulière, l'auteur donne à entendre son Inde. Chacun parle en effet avec sa petite voix singulière, ce qui n'est pas un mince exploit. Femme hindoue ou musulmane, traditionaliste ou moderne, jeune musulman libéré, adolescent hindou fanatisé, sikh, mendiant, self-made-man, etc. 
    Le style est très différent d'un chapitre à un autre. Aucun tabou particulier. Sont aussi bien évoqués au fil des pages les mariages arrangés, les avortements sélectifs ou non, l'autorité des belles-mères, que la haine réciproque des hindous pour les musulmans, le sentiment nationaliste, la misère la plus noire côtoyant la richesse la plus arrogante et indifférente. 
    Et alors que les réalités décrites sont parfois dramatiques, l'humour, voire le burlesque apparaît soudainement et irrésistible. Comme avec ce tueur en série incapable d'abattre une femme parce qu'il avait dit qu'il tirerait à 20 et qu'il n'arrive pas à compter au-delà de 7. Ou la marieuse buffetomane (je vous assure, c'est une vraie maladie!).

    J'ai bien sûr été plus touchée par certains personnages que par d'autres, mais tous ont quelque chose à dire, à transmettre. Leçon de courage ou de bêtise, de renoncement ou de combativité. On est très loin des clichés.

    Une belle lecture.


    Altaf Tyrewala, Aucun dieu en vue, Actes Sud, 2007, 202 p.
     
  • Rouge baleine

    « Ils n’ont besoin de rien, ces enfants, besoin de rien sinon de calme et de silence afin que doucement la douleurs se taise, afin que doucement revienne la vie, que doucement sèchent les larmes, se dénouent les ventres, afin que leur sang doucement se réchauffe pour les brûler enfin, seuls parmi les étoiles et le temps en suspens, seuls, il leur faut être seuls, comme dans le ventre, tranquilles et insouciants, et tout recommencer. »
    Tom et Laura sont humains, et comme tous les humains, ils sont uns et ils sont deux. Car en ces temps et en ce lieu, très loin et très longtemps après la Terre, les couples naissent et meurent ensembles. Mais voilà qu’arrive l’improbable, l’accident, et qu’ils sont séparés. Et que plus improbable encore, le miracle advient.
    Un court roman magnifique qui touche aussi bien les ados que les adultes. La science-fiction n’est que le prétexte à un texte où l’horreur d’un ordre totalitaire se dissimule sous une langue poétique et difficile. C’est aussi une fable écologique où les hommes paient leur manque d’attention à la Terre mais connaissent la rédemption. Et une magnifique histoire d’un amour fou, hors norme, qui résiste à tout et au pire.
    Un vrai coup de cœur. Je ne l’ai pas lâché alors que j’avais mille et une choses à faire et Guerre et Paix qui me regardait d’un sale œil.
     
    Serge Perez, Rouge baleine, Médium, L’Ecole des Loisirs, 2000.