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Littératures d'Europe de l'Ouest

  • Le tabac Tresniek - Robert Seethalter

    Tresniek.jpgMoi, parfois j'aime rire. Et puis parfois, j'aime pleurer. Et puis des fois j'aime bien les deux à la fois. Parce que bon, ça n'est pas le tout d'être une dure à cuire, que même Indiana Jones peut raccrocher son fouet (et enlever sa chemise, si possible?), il y a quand même un petit cœur tu mou qui bat sous la carapace de tungstène (ou de laiton, ça dépend des jours). Bref, tout ça pour dire que pour qui veut rire et pleurer en même temps, je conseille avec bienveillance (et insistance) Le tabac Tresniek.

    D'accord, à première vue, comme ça, le titre ne fait pas fantasmer. Ça vous sentirait sa petite boutique poussiéreuse. Et c'est tout à fait ça. Enfin, presque.

    Mais résumons brièvement. En août 1937 le jeune Franz Huchel est mis dans le train par sa mère pour aller gagner son pain au loin. Adieu les montagnes de Haute Autriche, direction vienne le tabac d'Otto Tresniek (il y aurait comme une certaine logique) et l’aventure (quand même). La vraie (celle qui fait peur). L'Amour (je vous l'avais dit). Avec ses hauts, avec ses bas, une telle montagne russe qu'il faudra bien le grand professeur Freud vénérable client du tabac pour l'aider à en démêler les fils. Jusqu'au jour où les ciseau bien affutés de la grande histoire viennent les couper.

    Autant être franc et massif, j'ai adoré. Franz pour commencer, dégingandé, naïf, maladroit, qui débarque de sa campagne à la grande ville et qui y comment tout de go une éducation sentimentale et intellectuelle qui va faire de lui en quelques temps un amoureux transi et l'alter ego d'un Freud vieillissant qui ne sait guère comment se dépatouiller de ce provincial qui lui colle aux basques. Et puis la manière dont petit à petit, l'horreur s'insinue dans le quotidien, presque sans qu'on la voit venir, ou sans qu'on veuille la voir venir. C'est une merveilleuse histoire d'amour, de révolte, d'humanité et de psychanalyse.

    Bref c'est indispensable, pour les cartes postales, pour la montagne russe, et pour la douceur amère qui se dégage de ce beau texte qu'on termine le cœur serré et le rire aux lèvres tant l'humour reste, n'en doutons point, l'ultime politesse du désespoir.

     

     

     

  • Moi, Jean Gabin - Goliarda Sapienza

    Sapienza.gifComme beaucoup, j'ai découvert Goliarda Sapienza avec le magistral L'art de la joie... et puis plus rien... les années ont passé sans qu'on reparle plus que cela d'elle, son oeuvre, pourtant une des plus marquantes de la littérature contemporaine italienne au dire de beaucoup, n'étant pas traduite. L'art de la joie a cependant poursuivi son bonhomme de chemin, trouvant de nouveaux lecteurs. Jusqu'à ce que les éditions Attila décident d'ajouter une nouvelle pierre à l'édifice, et s'attelent à la tâche de traduire et éditer le reste de ses écrits permettant aux lecteurs qui n'ont pas le bonheur de pouvoir lire en italien dans le texte, de découvrir cette année Moi, Jean Gabin.

    J'ai un peu tourné autour, un peu hésité, me demandant si la magie de L'art de la joie allait se renouveler. Je m'en suis approchée un peu dubitative, pour me trouver, dès les premières lignes, bousculée comme il y a 4 ans de cela. Il y a dans Moi, Jean Gabin le même souffle de liberté, la même violence, la même force des mots. Le même bonheur de vivre quelque soient les obstacles. On part sur les traces de cette gamine montée en graine, on entre avec elle dans cette famille de militants, d'artistes, débordante d'amour et de haine. C'est à la fois terrifiant et passionnant. Goliarda Sapienza parvient à faire vivre au lecteur cette enfance atypique, libre et violente. Le fascisme est là, caché derrière les portes et les bonheurs quotidiens, la guerre frappe à la porte, mais il y a Jean Gabin, les convictions féroces et l'appétit de vivre sous le soleil cru qui inonde Catane.

    On comprend un peu, à cette lecture, ce qui a porté, toute sa vie, Goliarda Sapienza.

     Je salue au passage le très beau travail des éditions Attila: non seulement elles offrent un texte merveilleux, mais en plus une biographie, des photographies qui permettent de mieux découvrir Sapienza et son invraisemblable famille.

    Vous l'aurez compris, j'ai aimé. Et plus encore. Moi Jean Gabin est, comme L'art de la joie, de ces textes dont on sait qu'on les relira.

     

    "La vraie beauté a comme une pudeur innée, une défense dont la nature entoure ce qu'elle estime précieux et digne seulement de qui saura l'apprécier."

     

    Reading in the rain, Joel Jegouzo,... Causette en parle dans son numéro de septembre.

    Le site des éditions Attila.

    Sapienza, Goliarda, Moi, Jean Gabin, Ed. Attila, 2012, 176p.

  • De vieux os - Louise Welsh

    true.gifDocteur en littérature, Murray Watson est fasciné depuis des années par un poète mort jeune et tombé dans l'oubli. Un poète auquel il s'est promis de consacrer une étude. Mais tous les protagonistes de l'histoire ne sont pas morts...

    Amis des bisounours et autres petits lapins roses sautillant dans l'univers merveilleux de l'université, passez votre chemin: chez Louise Welsh, point de paillettes. Le sordide dame le pion au glauque, l'humidité est reine et si on en ressort avec une envie irrépressible d'aller prendre une bonne douche pour faire passer tout ça, c'est entièrement voulu. De vieux os est un drôle de bouquin, entre polar et chronique de trentenaire en mal de sens, ode à la littérature et portrait sans concession de la nature humaine. Le tout pourrait être indigeste, mais le mélange prend: aussi agaçant que soit Murray, on s'attache à ses pas et à cette recherche bien moins anodine qu'il n'y paraît. Sur le thème des apparences et des masques, Louise Welsh tisse pour son héros une enquête en forme de parcours initiatique qui le confrontera à la vanité de ses propres vices et finira par le faire grandir au moins un peu. Il ne faut pourtant pas s'attendre à des rebondissements incessants. La tension monte petit à petit et explose au moment où on se sent étouffer dans la lenteur de l'histoire et le classicisme de l'écriture, comme Murray se sent étouffer dans son existence étriquée.

    Un ovni donc, et un bel exemple de maîtrise de l'art de la littérature.

     

    Lu dans le cadre du prix Kiltissime de Cryssilda.

    Welsh, Louise, De vieux os, Métailié, 2011, 384p.

     

     

  • Nuage de cendre - Dominic Cooper

    nuage.jpgIslande, fin 18e siècle. Alors que les irruptions volcaniques s'enchaînent, que la famine et les épidémies déciment la population, deux shérifs s'affrontent autour de Sunnefa, une jeune femme coupable d'avoir conçu un enfant avec son frère.

    Autant le dire tout de suite, j'ai du m'accrocher à ce roman, un brin perdue dans un récit qui sans être confus est pour le moins touffu. Non pas que le fol exotisme des noms et des moeurs islandais m'ait déstabilisé, mais la succession des narrateurs, les fils entrecroisés de cette histoire de haine et de rancune ont de quoi laisser par moment perplexe, surtout par temps de grosse fatigue. C'est à la fois beaucoup, voire un peu trop, et très simple: causes et conséquences d'une rivalité entre deux hommes... qui fait un peu oublier le prétexte du roman, Sunnefa.

    C'est ceci dit, intéressant: Dominic Cooper fait plonger son lecteur dans une histoire islandaise assez peu connue dans nos contrées. A travers le fait divers que représente l'affaire Sunnefa, il fait découvrir une histoire coloniale, un affrontement entre deux peuples qui a des accents universels et qui irrigue une rivalité qui prendra vite des allures de vendetta. On ne peut à aucun moment taxer Dominic Copper de simplisme: ses personnages sont à l'image de l'Islande, rudes et complexes et si sa description de la nature humaine ne cède rien à l'optimisme, elle donne au texte des accents de tragédies plus que réalistes auxquels les paysages et l'atmosphère de cette île glacée et inhospitalière font un décor adéquat. 

     

    Lu dans le cadre du Prix Kiltissime, orchestré de main de maître par Cryssilda (que je ne remercie pas d'avoir fait entrer John Rebus dans ma vie, mais ceci est une autre histoire).

     

    Cooper, Dominic, Nuage de cendre, Métailié, 2012, 236p.

  • Syster - Bengt Ohlsson

    syster-bengt-ohlsson-9782752905017.gifUn soir Miriam n'est pas rentrée chez elle. Depuis, ses parents s'épuisent à la chercher, s'y consacrent corps et âme laissant à la garde de la tante Ilse la petite Marjorie et le tourbillon de questions et de sentiments contradictoires qui l'agitent.

    Une disparition, des parents fous d'inquiétude, une petite fille perdue, on pourrait s'attendre à un tourbillon d'émotion et on trouve un roman tout de froideur, de lenteur, de scènettes qui se lient les unes au autres pour brosser la complexité des relations fraternelles et familiales. Au fil des jours passés dans la maison perdue de sa tante, Marjorie démêle l'écheveau des sentiments, raconte, confronte ses certitudes d'enfants aux réactions de ses parents et de sa tante, ment, s'échappe. Ce n'est pas un roman par lequel on est emporté, pas un roman dont je peux dire que je l'ai aimé, ou même détesté, qu'il m'a ennuyée ou passionnée. Il m'a laissée indifférente la plupart du temps et pourtant gagnée par la violence de ce qui se révèle dans les petits actes, les paroles des uns et des autres. L'indifférence et le silence de Miriam, son ironie, celle de son père dont la subtilité des moqueries laisse deviner, flairer plutôt la volonté de faire mal à son entourage, le silence de sa mère, les larmes d'Ilse, ont pour écho la certitude petit à petit ébranlée de Marjorie que sa famille est spéciale, la plus drôle, la meilleure. Pas suffisant pour en faire, en ce qui me concerne, une lecture dont le souvenir restera vivace.

    Ohlsson, Bengt, Syster, 2011, 304p.