Aux 5ème rencontres de l'imaginaire de Sèvres, Xavier Mauméjean a accepté de répondre à un petit (hem) questionnaire sur ses différentes casquettes et ses romans. Qu'il en soit remercié!
Vous faites référence de manière non dissimulée au mythe de Promethée dans Lilliputia, mais aussi à la notion de sacrifice et de rédemption. Il semble que vos connaissances en philosophie et en science des religions nourrissent votre oeuvre (ai-je tort?). Être écrivain a-t-il une influence sur la manière dont vous abordez l'enseignement?
Je trouve mon équilibre entre enseignement et écriture. J’aime partager une pensée qui n’est pas la mienne avec mes élèves, et développer une pensée personnelle dans l’intimité de l’écriture. Il se produit bien sûr une interaction entre ces deux activités, que j’estime nécessaire.
- Vous semblez fasciné par le mythe et sa naissance... Lilluptia est-il une manière d'interroger le mythe américain? D'en faire naître un nouveau?
Très certainement. Je suis marqué par une phrase du célèbre mythologue Franz Boas : « Il semble que les univers mythologiques n’ont été bâtis que pour éclater et permettre la reconstruction de nouveaux mondes à partir de leurs fragments. » C’est déjà ce que j’avais entrepris dans La Ligue des Héros et L’Ere du Dragon, une relecture du XXe siècle à partir de ses icônes, sous forme de collage d’inspiration pop-art.
Le mythe m’intéresse en ce qu’il est toujours récit d’une origine. Et le thème de tous mes textes est précisément le commencement. Quand une situation installée, collective ou individuelle, est affectée par un brusque changement.
- Ganesha, Freakshow, Lilliputia, vous faites preuve d'une certaine fascination pour le difforme, ce qui est considéré comme anormal. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi? Est-ce parce que c'est au fond de cette anormalité que l'on trouve ce qu'il y a de plus humain?
Sans aucun doute, avec toute la difficulté à définir ce qui relève de la normalité chez l’être humain dont la nature est, par essence, imprévisible. Chaque individu est excédentaire, toujours au-delà de ce qu’il paraît. Sachant que, par ailleurs, l’anormalité ne peut être saisie autrement que par un discours qui se veut normal, ou tout du moins recevable. Il s’agit donc tout au mieux d’une traduction, forcément imparfaite.
- La question de l'altérité pose aussi celle de l'identité: est-ce un thème central pour vous?
À nouveau juste. Dans un premier temps l’identité subie, conférée par la structure, puis celle gagnée par l’individu, quel qu’en soit le prix.
- Une question me titille: dans Lilliputia, il est fréquemment fait référence à la nourriture, et au moins une fois de manière centrale avec la fameuse histoire du hot-dog. Aimez-vous, vous-même la bonne chère?
Houlà oui, et mon poids s’en ressent… Et puis, se nourrir est une activité nécessaire, reconduite plusieurs fois par jour. Il était donc fatal qu’elle acquiert une dimension symbolique, dans ses rituels et interdits. Les usages qui y sont liés sont une perpétuelle source d’inspiration.
J’ai écrit une nouvelle, La Faim du Monde, qui décrit comment la paix est instaurée sur terre par un rituel anthropophagique périodiquement reconduit par l’O.N.U. Beaucoup de lecteurs m’ont dit que, ce qui est horrible, c’est qu’elle donne faim ! On peut l’entendre, très joliment lue par Rita Gay, à :
http://www.utopod.com/2007/03/31/utopod-002-la-faim-du-monde-de-xavier-maumejean-1-sur-2/
Avec lequel de vos personnages aimeriez-vous partager un repas?
Pas avec Elcana car les portions seraient trop petites, ou alors juste pour déguster. Peut-être avec le héros de La Vénus anatomique,Julien Offroy de la Mettrie. J’ai beaucoup d’affection pour ce philosophe, chirurgien et libertin qui a réellement existé. Il était à la fois profond et drôle, sérieux sans se prendre au sérieux.
J'aimerais maintenant vous faire parler de vos autres activités...
- Vous écrivez notamment des dramatiques pour la radio. Que vous apporte ce format?
C’est une manière d’écriture totalement originale, puisque tout doit passer par les dialogues. Cela m’a d’ailleurs beaucoup appris, pour mes romans et nouvelles. Le côté incisif, où chaque mot est important. Et puis l’on travaille avec un réalisateur qui s’approprie votre texte, lui donne une dimension inédite. C’est assez rare pour un auteur d’être surpris par ce qu’il a écrit, la radio le rend possible. Un peu d’ailleurs comme l’avis des lecteurs qui éclaire autrement l’œuvre.
- Vous êtes également directeur de collection chez Mango et aux Moutons électriques (vos journées ont-elles vraiment 24h comme les nôtres?). Qu'est-ce qui vous a amené vers cette activité?
Un grand plaisir à travailler avec d’autres auteurs, cette fois-ci comme lecteur. Et puis, en ce qui concerne Royaumes Perdus, la satisfaction de distraire les jeunes lecteurs en les éduquant.
- Vous écrivez des romans jeunesse avec Johan Heliot (La série Le bouclier du temps). Écrire pour la jeunesse est-il très différent d'écrire pour les adultes ?
Non, pas vraiment, dans la mesure où, à chaque fois, il faut faire preuve d’intégrité, respecter le lecteur. L’écriture jeunesse, loin d’être un parent pauvre, est au contraire exigeante, car le jeune lectorat ne passe aucune facilité. Le philosophe espagnol Fernando Savater disait : « L’enfant est le plus redoutable des lecteurs, car il est le seul à interrompre sa lecture pour aller vérifier le sens d’un mot dans le dictionnaire ». J’aime beaucoup la formule.
- Le fait que vous travaillez pour un éditeur jeunesse m'amène à vous demander si vous pensez que les enfants et les adolescents sont plus sensibles à la science-fiction, la fantasy ou le fantastique que les adultes qui pour beaucoup les considèrent encore comme de la sous-littérature?
Question pertinente, mais qui n’appelle aucune réponse claire. Je crois qu’enfants et adolescents ne fonctionnent pas par genre. À l’inverse de trop d’adultes, hélas souvent cultivés. Par exemple, pour certains de mes collègues enseignants, je suis devenu auteur le jour où Télérama, ou Le Monde, ou France Culture etc. m’ont adoubé. Du jour au lendemain, j’avais l’estampille « Culturellement correct » et devenais lisible. Les jeunes aiment tel livre, ou pas, sans avoir à se justifier. Ou alors ils ne lisent pas et l’assument parfaitement, ce qui est aussi une attitude recevable.
Dans une interview, quelque chose m'a frappé, que j'avais ressenti à la lecture de Peter Pan. Vous en faites un "méchant" dans la Ligue des héros: voyez-vous vraiment en lui une figure du mal? Barrie a-t-il délibérément fait de son personnage un être ambigu? (en tout cas, nous sommes loin des personnages de Disney)... Ces personnages de livres pour enfants sont-ils selon vous un moyen de parler aux enfants du monde qui les entoure?
Si, si, Peter Pan est loin d’être gentil dans les récits originaux de James Matthew Barrie. Il règne en despote sur les Enfants Perdus qu’il soumet à des châtiments corporels ; il enlève des bébés ; et quand l’un de ses proches meure, il s’en éloigne car ne plus le voir, c’est ne plus y penser. De même, Alice évolue dans un Pays des Merveilles qui vaut pour authentique enfer. On y voit des créatures monstrueuses, une méchante souveraine ordonne que l’on coupe des têtes à la moindre contrariété. Tout cela trouve effectivement écho dans les peurs des enfants, apporte des réponses à leur questionnement.
Quel est votre meilleur souvenir de lecture d'enfance?
« Vingt-mille lieues sous les mers » de Jules Verne. J’étais au lit, grippé, et mon père me l’avait passé, ainsi qu’une table de conversion pour les mesures nautiques. J’ai aussi adoré « La guerre des boutons » de Louis Pergaud.
Vous avez également collaboré aux ouvrages sur Sherlock Holmes et Hercule Poirot aux Moutons électriques. Et vous êtes membre du Club des mendiants amateurs de Madrid (réunissant des passionnés de Sherlock Holmes). Vous êtes lecteur de polar?
Je l’étais beaucoup plus à une époque. J’aime beaucoup le roman policier traditionnel, mais aussi James Ellroy., Joe R. Lansdale… « Prélude à un cri » de Jim Nisbet a été un grand moment de lecture.
Et pour terminer, parlons un peu du lecteur que vous êtes!
Êtes-vous un gros lecteur?
Que lisez-vous? Littératures de l'imaginaire ou autre?
Je lis de tout. Déjà, je me documente énormément à chaque projet. Cela peut aller d’un manuel de plomberie à un mémoire d’époque sur les bordels parisiens au XVIIIe siècle, en passant par le cursus d’un pilote dans la Marine impériale japonaise de février 1944 à mars 1945.
Sinon, pour le plaisir, je lis des essais, des romans, des comics…
Quel est votre dernier coup de cœur ?
Pas vraiment mon dernier, mais deux lectures marquantes. Rue des maléficesde Jacques Yonnet, chez Phébus, un texte absolument inclassable, ni fiction ni essai, sur le Paris ésotérique durant l’Occupation. Et puis L’usage du Mondede Nicolas Bouvier, chez Payot. On peut tout lire de ce sublime écrivain voyageur.
Que conseilleriez-vous à un lecteur qui voudrait découvrir les littératures de l'imaginaire ?
De le faire !
Un grand merci,
Xavier
Merci à vous Xavier!