Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

xavier mauméjean

  • La ligue des héros

    Contextualisons un brin: 5ème rencontres de l'imaginaire de Sèvres, 13 décembre 2008. Frigorifiée et surexcitée comme il se doit, je me dirige vers le lieu de toutes les perditions avec mes trois complices dans le crime, oeuvrant pour la promotion de la science-fiction, de la fantasy et du fantastique dans un réseau de bibliothèques publiques dont je tairai le nom. Après plusieurs tours des lieux, des rencontres avec des éditeurs successivement diablement sexy, adorablement touchés et sympathiquement souriants, nous voilà lancées dans la quête de l'auteur intégré avec tambours et trompettes dans nos coups de coeur de l'année 2008. Et me voilà toute gênée, poussée dans le dos par des collègues plutôt hilares (traîtresses) vers M. Xavier Mauméjean que je vénère depuis ma lecture de Lilliputia. Lequel se révèle fort abordable et sympathique au point d'accepter de répondre à quelques questions sur son oeuvre.

    Seulement voilà, Ô rage, Ô désespoir, ma connaissance de l'oeuvre de M. Mauméjean se limite à Lilliputia. Qu'à cela ne tienne, une virée dans la boutique jaune et bleue bien connue plus tard, je m'attaque dans la joie, la bonne humeur et l'angoisse la plus totale (vais-je aimer, la question est cruciale) à La ligue des héros.?

     

    Allons-y pour le pitch:

    Le cycle de Kraven, t. 1, La ligue des héros: 1969, banlieue londonienne. Un vieil homme amnésique est ramené dans sa famille par deux infirmiers. Des bribes de souvenirs vont peu à peu lui revenir à la lecture des comics et des pulps que Syd le hippy, ami de son petit-fils avec qui il a sympathisé, lui prête. Des souvenirs qui font de lui lord Kraven, sauveur de l'empire.

    1902, Angleterre victorienne. Peter Pan et les créatures du Pays de Nulle Part ont envahi Londres. Lord Kraven et les  membres de la Ligue des héros combattent pour sauver l'Empire sous la férule de Sir Baycroft.

     Deux destins, deux époques qui vont finir par se rejoindre de la plus fantastique des manières.

     

    Le cycle de Kraven, t. 2, L'ère du dragon:

    Pékin, 1900. La capitale de l'Empire du Milieu est en proie à la révolte des Boxers. Les créatures de l'Internationale Feérique de Peter Pan se joignent aux insurgés qui menacent les délégations occidentales défendues par les Héros de toutes les nations d'Occident. Au même moment, l'enfant qui refuse de grandir met en branle un terrible complot qui menace l'existence de l'humanité. La ligue des héros parviendra-t-elle à sauver, non plus seulement l'Empire, mais le monde?

     

    Vous n'y comprenez rien? C'est normal. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est normal, mais vu la capacité de Xavier Mauméjean à faire tourner en bourrique son lecteur en deux coups de cuillères à pot, je ne vois pas comment établir quelque chose qui ressemble à un résumé cohérent de l'intrigue. A l'impossible nul n'est tenu, etc., etc. Parce qu'il faut le dire, et tout de suite, tout cela est brillant. J'en suis ressortie avec un pauvre petit cerveau en surchauffe, des étoiles plein les yeux et une nouvelle passion pour les comics, cela étant une autre histoire dont vous aurez bien assez vite les échos.

    Revenons à nos moutons, enfin, nos héros. Lord Kraven, le Seigneur des arbres, autrement dit Tarzan, le shaman détective, English Bob se battent depuis des années contre des méchants fous à lier fermement décidés à conquérir/détruire (rayer la mention inutile) le monde dans une Angleterre dont on ne sait guère si elle est réelle, ou si elle est l'écho des délires d'un vieil homme amnésique qui lit trop de romans populaires et de comics. L'ambiguité, tenace, est accentuée par la construction de l'intrigue: on quitte le vieux Kraven pour suivre les exploits de la Ligue des héros dans une série de fragments plus ou moins chronologiques. On découvre l'histoire du Lusitania, celle du combat contre le Docteur Fatal, le Baron Rouge dans un combat aérien ébouriffant, une mission au Caire contre Le club des dynamiteurs, l'horreur des tranchées de la première Guerre mondiale... C'est foutraque, voire bordélique, mais petit à petit, en sautant de coqs en ânes, on voit se dessiner un univers, une trame dont on ne sait pas où elle nous mène, même si on sait qu'elle arrive forcément quelque part. Et puis, sans qu'on s'y attende, tout bascule en un épilogue qui remet en question tout ce que l'on a pu lire et qui pose la première pierre d'un deuxième tome qui va se révèler tout aussi palpitant.

    Le cycle de Kraven est une somme de références aux comics, à la littérature classique, à la littérature populaire. Tellement fourmillante, la somme, que je n'ai pas tout compris ni perçu. Il m'a fallu la chronique de Nebalpour attraper les chaînons manquants (et principalement mooresque) qui titillaient ma curiosité. Parce que honnêtement, le fait de connaître ou pas les oeuvres auxquelles il est rendu hommage importe peu. On suit très bien sans savoir, et le plaisir ressenti à la lecture de ces aventures rocambolesques, improbables et hautes et couleurs n'en est pas amoindri. Si, si, je vous jure. Xavier Mauméjean a des connaissances encycloépdiques, mais les manie si bien que la pilule passe toute seule et qu'on en ressort avec l'envie irrépressible de relire Peter Pan, pourquoi pas Alice au pays des merveilles, Conan Doyle et les autres. Et de rajouter par dessus quelques comics. Jamais les références ne viennent noyer l'intrigue. Elles l'irriguent et la renforcent et se mélangent jusqu'à donner un univers original et attachant. Jusqu'aux clichés héroïques qui reprennent du poil de la bête.

    En plus de tout cela, La ligue des héros est drôle, haletant et intelligent. Oui, je sais, ça fait beaucoup. On rit beaucoup aux aventures de Kraven et de ses amis, mais on retient aussi son souffle pendant leurs batailles. Les événements de Pékin sont un moment d'anthologie (ah! ce combat contre les dragons!). Pourtant, là-dessous, se trouve une réflexion sur les mythes, sur la figure du héros, l'histoire, la société, les relations humaines qui donne de la profondeur aux aventures de la ligue.

     

    Bref, vous l'aurez compris, j'ai aimé. Et pas parce que Monsieur Mauméjena m'est sympathique, juste parce que son roman est bon. Et que je ne boude jamais mon plaisir à plus forte raison s'il est de lecture.

    L'auteur sera demain dans le terrier, histoire de nous en apprendre un peu plus sur son oeuvre. Pour la petite histoire, ma chronique de Lilliputia est par .

     

    Les chroniques de Nebal et (qui se sent seul mais qui ne l'est plus, moi aussi j'ai aimé L'ère du dragon). Un article sur Yodpub, un autre sur SFMag, encore un sur ActuSF...

     

    Xavier Mauméjean, Le cycle de Kraven, t. 1, La ligue des héros, t.2 L'ère du dragon, Points, Fantasy, 4.5/5

  • Lilliputia




    Elcana est petit, tout petit. Et pourtant il est grand, adulte même. Il est un Parfait, un nain aux proportions parfaites. Un être recherché par les maîtres de Dreamland, parc d'attraction construit sur Coney Island pour peupler la ville de Lilliputia et servir d'attraction aux Grands. Mais cette ville, blanche pour que ses visiteurs puissent y projeter leurs rêves, cache de bien sombres mystères, et la malédiction qui pèse sur l'île depuis des temps immémoriaux ne va pas laisser ses habitants grands et petits indemnes.

    Que voilà un roman intelligent, fascinant, haletant, prenant, profond, et j'en passe tout en pesant mes mots! Pourtant je trainais un peu des pieds, et si je n'y avais pas été un brin contrainte par mes obligations professionnelles, je serais sans doute passée à côté de ce merveilleux récit! Et pourtant, si je l'ai lu dans le cadre de mes lectures imposées en SF et fantasy (oui, la vie est parfaitement atroce, vous pouvez me plaindre), ce n'est pas un roman de fantasy. Pas non plus de la science-fiction. C'est... comme l'a si bien dit
    Fashion, totalement inclassable. Xavier Mauméjean offre un mélange détonnant de fantastique, de réalisme, de  mythologie. Je parlerais presque de réalisme magique en tant que genre littéraire si je n'avais pas peur de me faire taper sur le marque-page!

    Elcana doit fuir le pays slave où il est né pour échapper à la condamnation que fait peser sur lui le meurtre commis pour protéger une jeune fille de son village. Commence alors pour lui un voyage où il va peu à peu endosser les habits de l'Elu, de celui qui libère. Il y a du héros en lui, mais pas le héros chevaleresque dans sa blanche armure. Non, un héros qui a peur, qui a mal, qui n'hésite pas à tuer et à faire mal, même à ceux qui l'aiment. Il est celui qui cherche la vérité et qui veut la connaissance et la liberté quelqu'en soit le prix. On retrouve en lui des traits des héros de la mythologie, notamment de Prométhée qui joue, au sens propre comme figuré avec le feu. Il croise d'ailleurs des personnages qui ressemblent fort au Minotaure, aux Destinées, prend un moment le visage d'Achille. D'ailleurs, le démiurge de cette univers étrange n'est pas sans rappeler les dieux et leurs jeux, leurs colères, leurs inteventions dans le monde des hommes. Se pose alors la question de la destinée et du libre-arbitre, d'autant qu'on ne saura jamais si Elcana n'est que le jouet d'une volonté qui le dépasse, ou celui qui réduit à néant cette volonté. La chute, pour le moins volcanique a sans aucun conteste des résonances tragiques: il y a quelque chose du théâtre dans la manière qu'à Mauméjean de conclure son récit! Ou du cinéma. Il y a des moments où on a l'impression de se retrouver dans un film de Scorsese, ou dans les Il était une fois qui ont écrit en image la violence du rêve américain. On retrouve les gangs, les crochets de boucher, les batailles dans l'ombre des ruelles, les trafics et les règlements de compte.

    L'intelligence du roman est aussi d'utiliser à plein la fascination de l'humain pour ce qui est différent, monstrueux. Si Lillputia est un modèle réduit d'une ville de Grands, d'autres parcs lui sont voisins, dont le Steeple-Chase abandonné, dernier bastion des monstres humains qui ont fait la gloire des foires: femmes à barbe, siamoises, hommes et femmes atteints de difformités et maladies qui leur ont fait dénier la qualité d'être humain pour devenir des objets de moquerie. Des objets de moquerie, c'est aussi ce que sont les lilliputiens dans cet univers rendu sordide par le regard de ceux qui viennent le visiter pour se sentir plus "normaux' et par l'intention de ceux qui l'ont rendu possible. C'est d'autant plus poignant, touchant, révoltant que l'on sait que ces parcs et ces foires ont existé, et que le regard porté au quotidien sur ceux qui sont "anormaux" rappelle que ce genre de dérapage n'est jamais loin. L'Antiquité avait ses jeux, le 20e siècle a eu ses foires et d'autres choses dont il n'y a pas lieu d'être fier.
    En même temps, les lilliputiens eux-mêmes ne sont pas exempts de défauts et le microcosme qu'ils forment est aussi un modèle réduit de communauté humaine avec ses jalousies, ses rancunes, ses petites lâchetés: pas besoin de trop pousser pour que se dévoilent les mêmes schémas. Petits ou grands, les humains sont tous conduits par l'amour, la haine, le sexe et la recherce du plaisir, le tout matiné de plus ou moins de morale et de vernis de civilisation.

    On sort de cette lecture à bout de souffle, écoeuré et en même temps enthousiasmé. Sans aucun conteste un de mes coups de coeur de l'année.



    L'article du
    Cafard Cosmique et l'interview passionnante de l'auteur sur le même site.

    On peut aussi le voir et l'entendre dans un dialogue avec Michel Field:


    Michel Field / Xavier Mauméjean : Lilliputia
    envoyé par hachette-livre

    Pour avoir une idée de ce qu'étaient les Freak Show, quelques photographies d'époque sont visibles en allant par .

    Xavier Mauméjean, Lilliputia, Calmann-Levy, 2008,