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Chiff' - Page 53

  • Hamlet

    Il n'y a pas à barguigner, les voies de la culture son impénétrables. Ma vie étant tout à fait fascinante, comme il se doit, je vais commencer par vous infliger quelques souvenirs de mes jeunes années d'adulte, certes pas bien éloignées comme certaines mauvaises langues ne vont pas manquer de le faire remarquer, mais néanmoins jeunes. Des souvenirs que je n'ai pas encore révélé dans quelque tag que ce soit et dont vous allez avoir la primeur. Je sens que votre curisité est en éveil, si, si, ne le niez pas!

    Bref, moi et Shakespearedonc. Une vieille histoire d'amour comme il se doit. Oui, vieille! Il aurait fallu que vous me voyiez visionnant pour la quarantième fois sous l'oeil fatigué de ma petite famille le monologue de la bataille d'Azincourt joué par Kenneth Branagh dans Henri V, frémissant aux vilenies de Richard III, écrasant ma larme à la mort de Roméo, frétillant d'aise à la chute de Beaucoup de bruit pour rien, hurlant de rire devant une mise en scène enthousiasmantede La nuit des rois avant de bailler devant un atroce Richard III. Sans compter Orson Welles dans Othello et Macbeth, Le songe d'une nuit d'été et une Pléiade débarquée fort opportunément dans ma vie un matin! Ceci dévoilé, il ne m'était jamais arrivé de lire Shakespeare dans le texte ce qui était un sérieux manque à ma culture et ne devait pas rester en l'état. Aussi, l'occasion faisant le larron, l'arrivée dans les pénates de Fashion de certaine adaptation de certaine célèbrissime pièce jouée par certain sublimissime acteur (quoi que puisse dire certaine blogueusede fort mauvais goût par ailleurs) a marqué le début d'une nouvelle expérience autour d'Hamlet. Après un faux départ du à la mauvaise volonté manifeste d'un environnement inapteà reconnaître la qualité exceptionnelle de David T., j'ai passé trois heures enchanteresses, enfin, nettement plus, à bouquiner Hamlet en anglais et en français avant que de visionner l'adaptation RSC/BBC de 2009 en frémissant/jubilant/riant/écrasant une larme.

    Hamlet, j'en gardais un souvenir finalement assez vague, le plus récent étant son utilisation drôaltique par Jasper Fforde dans Sauvez Hamlet!, quatrième volet fort réussi des aventures de Thursday Next. Aussi, le plaisir que j'ai pris à la lecture de la pièce était presque celle d'une découverte. Quelque soient les souvenirs que j'en gardais, ils ne rendaient aucunement justice à la richesse du texte. Shakespeare est un magicien. D'une presque banale histoire d'adultère et de vengeance, il tire une pièce qui détourne les canons du genre sans presque en avoir l'air. Maisavant toute chose, un court résumé pour ceux qui n'auraient jamais entendu parler de ce brave vieux Hamlet et de ses mésaventures.

    "Something is rotten in the State of Danmark". Claudius a succédé sur le trône à son défunt frère dont il a épousé la veuve, Gertrude. Les rumeurs de guerre se précisent. Hamlet, lui, pleure la mort de son père jusqu'à la sombre nuit où le fantôme de ce dernier lui apprend qu'il a été assassiné par son propre frère et lui demande de le venger. Le voilà déchiré entre son devoir, son indécision et la nécessité de feindre la folie pour détourner les soupçons de Claudius

     A la lecture, on pense évidemment au théâtre antique, aux Atréides, avant que les préfaces des divers éditions n'apprennent que Shakespeare s'est inspiré de pièces existantes, et surtout de la geste danoise médiévale. Histoire banale, Hamlet l'est d'une certaine manière: un homme assassine son frère par soif de pouvoir, jalousie, désir de posséder sa femme. Un fils cherche à venger son père comme son devoir filial le lui impose, reproche à sa mère son remariage trop rapide et son bonheur manifeste. Le personnage de la reine Gertrude m'a rappelé celui de Clytemnestre dans l'Electre de Giraudoux. Je me souviens de l'indignation qui avait saisie l'adolescente que j'étais devant les fautes de cette mère, puis la prise de conscience de du déchirement qu'avait dû subir cette femme quand son époux et son roi avait sacrifié sa fille aux dieux et des raisons des actes que lui reprochait Electre, si pénétrée de ses certitudes et de la légitimité de sa vengeance. Gertrude est un peu le même type de personnage: femme qui se trouve aux prises avec une sensualité et des besoins que la décence lui impose de ne pas, ne plus ressentir, épouse qui n'a sans doute pas choisi son époux et ne s'est pas trouvée si mal de sa mort, mère aussi et presque avant toute chose. C'est un personnage magnifique, autant que celui d'Hamlet. Bien sûr tout a déjà été dit et fort bien par les universitaires et autres spécialistes, mais quel merveille quand même! Ce prince qui doit se venger, simule la folie, manque y sombrer sous la pression des exhortations contraires de son devoir et de sa nature! On dirait que Shakespeare se plaît à en faire un anti-héros dont la vengeance s'accomplit presque malgré lui et qui broie dans ses tentatives et ses ruses la femme qu'il aime et sa mère. La tragédie réside finalement plus dans son échec que dans la vengeance en elle-même.

    Hamlet est aussi une pièce profondément politique, qui montre les conséquences de la soif de pouvoir, les causes des guerres, les ruses et les manipulations, comme celle dont est victime Ophélia, les meurtres. Mais ce que j'ai préféré, c'est sans aucun doute la manière dont Shakespeare utilise les mises en abyme pour accentuer l'effet de jeu de dupes et de faux-semblants auxquels se livrent ses personnages dans leur confrontation mortelle. Pièce de théâtre dans la pièce de théâtre où les comédiens rejouent le meurtre du roi, Hamlet jouant la folie, courtisans jouant l'amitié, au final, le lecteur se laisse emporter dans ces jeux de miroir et cette comédie qui n'est pas sans humour. Le tout est servi par une langue superbe, poétique, rythmée,... et difficile! Il ne faut pas se le cacher, lire Shakespeare dans le texte n'est pas franchement facile, d'où l'intérêt d'une édition bilingue! Mais quel plaisir de découvrir ces magnifiques monologues en version originale et de goûter à la musique de la langue anglaise! J'en ai même déclamé certains passages à voix haute dans mon canapé!

     Au passage, mention spéciale à la traduction de François Maguin dans l'édition bilingue de Garnier-Flammarion. Fidèle à l'original, elle est aussi un bonheur de lecture et une aide précieuse à qui découvre cet anglais ancien, parfois difficile à saisir dans ses expressions et ses tournures. Pouvoir lire Shakespeare dans le texte sans en perdre le sens, merci monsieur Maguin!

     

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    Bref, vous l'aurez compris, j'ai été conquise et même plus par cette lecture en bilingue. Mais quid de l'adaptation? Oh que non! C'est une petite merveille. Pourtant, pendant le première demi-heure, j'ai été un peu destabilisée par le parti pris de la mise en scène, qui mêle costumes modernes, décors sobres, utilisation de caméras de vidéo-surveillance pour ne citer que cela. Puis, petit à petit, la magie a opéré. A mon sens, ce choix, sans nuire au texte, permet de souligner l'actualité des thèmes de Hamlet. Sans compter que le fait de tourner la pièce comme un film et non de capter la pièce sur scène comme cela se fait parfois permet une mise en scène fluide et des effets intéressants même si cela se fait au prix de quelques libertés prises avec le texte: inversion des scènes, tirades tronquées, voire coupées. Tout s'enchaîne avec justesse. L'utilisation des caméras permet un effet de mise en abyme intéressant qui sert l'atmosphère étouffante et paranoïaque de la pièce, sans compter les jeux de miroirs: fêlés, sans tain, ils sont omniprésents.

    Le jeu des acteurs quand à lui est proprement incroyable. Tennant le premier, pour ne pas le citer: il fait sentir toute l'ambiguité du personnage de Hamlet. Fou lucide, enfant trahi par sa mère et refusant la mort de son père, amoureux cruel, tous les registres sont parfaitement maîtrisés. Son interprétation des monologues est impeccable. Il excelle aussi bien dans la part de comédie et de ridicule que recèle la pièce que dans la tragédie pure. Son jeu, d'une rare intensité est parfaitement soutenu par celui des autres acteurs. Ce qui donne à ressentir la violence, la souffrance incroyable que recèle le texte. Il y a des passages hallucinants comme celui où il s'oppose à sa mère, où cette scène incroyable où Ophélia, complétement égarée, des fleurs plein les bras. Ou... Il y en a tellement qu'il devient difficile de tous les citer. L'ensemble est prenant et passionnant, recommandé à ceux qui veulent découvrir Hamlet loin des costumes d'époque et de la déclamation.

     

     

    Fashion fut complice dans le crime, voire instigatrice du crime dans ce cas, mais comme lui en vouloir n'est-ce pas?

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  • Le roman de monsieur Molière - Mikhaïl Boulgakov

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    Boulgakov est sans nul doute beaucoup plus connu pour son chef d'oeuvre Le maître et Marguerite que pour Le roman de monsieur Molière. Pourtant, pourtant, dieu sait que ce roman biographique, ou cette biographie romancée de cet immense dramaturge est un petit bijou qui mérite d'être lu, relu et lu encore.

    C'est toute la vie de Molière qu'il déroule sous les yeux ébahis du lecteur, de l'adresse extraordinaire qu'il fait à la sage-femme qui accouche madame Poquelin aux derniers souffles de l'homme de théâtre qui aura marqué de son empreinte la vie culturelle de son temps et l'histoire française. On sent l'amoureux de Molière, de la littérature française. Impossible de ne pas se retrouver emporté par l'enthousiasme de l'auteur, par sa plume enlevée, drôle, tragique quand il le faut. Car il n'hésite pas à aborder tous les aspects plus sombres de la vie de Molière, ses relations amoureuses chaotiques, sa dépression, son attitude face à l'échec, faisant de lui un personnage pleinement vivant et humain. Il faut dire qu'avec une telle matière, il y a de quoi faire: la vie de Molière est faite d'amours contrariées, de dissensions familiales, il y a du suspense, des rebondissements inattendus, des drames et de grandes joies. Les anecdotes rendent le récit passionnant et vivant. Boulgakov assume parfaitement la position de narrateur, choisissant les épisodes qu'il veut conter. On croirait par moment l'entendre dire à voix haute son histoire, tenir son auditoire en haleine.

    A cela s'ajoute une analyse extrêmement fine des relations de l'art au pouvoir.Il est beaucoup question de l'amitié étrange qui a lié Louis XIV à l'homme de théâtre. Le roi soleil fut rien de moins que le parrain d'un des enfants morts en bas âge de Molière. De là l'attitude de Molière face à ses détracteurs, ses audaces dans la dénonciation du pouvoir politique, religieux, ses moqueries envers les travers de ses concitoyens. De là aussi bien des malheurs et des déceptions, la peur de mal écrire, de déçevoir. Il y a la censure aussi, qui parfois tranche à vif. C'est passionnant de voir à quel point ces pièces qu'on étudie adolescents, auxquelles on sourit aujourd'hui ont pu provoquer le scandale en leur temps. Il faut dire que Molière n'y allait pas avec le dos de la cuillère. A relire ses textes, à les voir mis en scène, on se rend compte de la charge dont ils sont porteurs et de leur incroyable actualité. Les tartuffes, les précieuses ridicules, le bourgeois gentilhomme, l'avare, nous sommes susceptibles d'en croiser tous les jours.

    J'ai dévoré les 283 pages du roman en trois heures, ne voulant pas abandonner Molière dans les événements grands et petits de sa vie. C'est un magnifique roman, une lecture passionnante et agréable qui donne envie de lire ou relire du théâtre, d'aller le voir pour rendre hommage à ceux qui savent si bien faire du monde une scène...

    Chroniqué dans le premier podcast du Gang des LIT.

    Boulgakov, Mikhaïl, Le roman de monsieur Molière, Folio, 1993, 5/5

  • Les grands-mères - Doris Lessing

    lessing.jpgDeux amies d'enfance, leurs fils et cette période trouble où la jeunesse brûle de tous ses feux. Cédant à leurs désirs, chacune entame une liaison avec le fils de l'autre.

    J'avais entendu dire le plus grand bien de ce court texte de Lessing et c'est avec l'envie de découvrir ce texte fort et sulfureux de ce prix Nobel de littérature que j'avais ajouté à ma PAL Les grands-mères. Autant le dire immédiatement, c'est une déception, une grosse. Pas forcément sur le fond, que je trouve très intéressant, mais plus sur la forme. D'emblée, le style de l'auteur m'a agaçée. Froid, détaché, répétitif pour ne pas dire redondant par moment. J'irai même jusqu'à dire plat. Peut-être, sans doute, est-ce voulu, à moins que la traduction ne soit mauvaise. Mais du coup, difficile de s'investir dans cette histoire d'amour scandaleuse. Car scandaleuse elle l'est: chacune de ces mère devient la maîtresse du fils de l'autre, entrant dans une relation quasi incestueuse tant leurs relations ont été celles de parents proches. Il est beaucoup question dans le récit de la passion qui brûle, du parcours singulier de ces femmes superbes et intelligentes, du moment où il l'arrivée d'épouses brise les relations qu'elles entretiennent avec leurs enfants. C'est il est vrai une belle variation autour du thème du montré et du caché. Il y a la façade lisse et heureuse qu'elles et leurs familles offrent au monde, avec les fêtes, les sorties à la plage, la réussite scolaire, les malheurs surmontés avec courage. Il y a ce que les mauvaises langues soulignent: les hommes partis ou morts, cette relation amicale entre les deux femmes si intense qu'elle en devient louche... Et puis il y a l'inimaginable, tellement à l'encontre des tabous de la société que personne ne le perçoit, il y a les névroses des enfants et des mères, celles des pères qui toutes ensemble font une toile sombre, dure et amère.

    A côté de toute cela, Doris Lessing explore la féminité et la manière dont elle se confronte à la vieillesse qui arrive, à des désirs qui ne sont pas moins forts et qui se heurtent à la nécessité de la sécurité et des conventions sociales. Il est intéressant de constater que par sa manière de le traiter, elle enlève tout côté sulfureux à son histoire, ne laissant que deux femmes et deux jeunes gens face à des désirs et des amours qu'ils ne peuvent contrôler. A aucun moment on n'a l'impression de quelque chose contre nature, ou "sale". Elle raconte une histoire d'amour, tragique et peu banale, mais une histoire d'amour. Celle des mères, et celle des épouses bafouée.

    Dommage que Doris Lessing se sente obligée d'appuyer son propos. Les larmoiements de la serveuse aux premières ages du récit par exemple, la chute qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe. On a un goût d'inachevé et de baclé à la dernière phrase.

    Sylvie a aimé, Stéphanie aussi. Pour le rest, BoB!

    Lessing, Doris, Les grands-mères, J'ai Lu, 2003, 2/5

  • Regain

    Je gardais de Regain le souvenir flou d'une lecture scolaire, un peu fastidieuse, voire ennuyeuse, des paysages déserts, un drôle de bonhomme, une plume pas vraiment abordable. Il aura fallu que l'occasion me soit donnée de le relire pour découvrir, enfin, toute la beauté et la force de texte court mais incroyablement intense.

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    En Provence, il y a des villages qui meurent doucement, où restent quelques irréductibles jusqu'à leur mort. C'est le cas à , où ils ne sont plus que trois, Panturle encore jeune, le vieux forgeron et la veuve du puisatier. Mais voilà qu'arrive Arsule, et avec elle, l'espoir d'un renouveau.

    Regain est le dernier volume de la trilogie dite de Pan, dans laquelle Giono s'attache à explorer la nature, la Provence aride et venteuse. Après Colline et Un de Baumugnes, c'est à l'abandon des villages à moitié ruinés qu'il s'attache, une agonie à laquelle il avait assisté  dans sa jeunesse. De cette expérience, il tire un texte superbe. A travers l'histoire de Panturle et d'Asurle, il donne à voir et à sortir la Provence, l'immensité de ses espaces, comme à travers ce plateau qui précède Aubignane et donne le vertige, les forêts, les prés. Un monde dur, violent même dans lequel les hommes abandonnés reviennent à un état sauvage comme le fait Panturle qui finit par subir dans pouvoir contrôler quoi que ce soit le rythme des saisons. Il faut lire les passages où il est saisi, comme les bêtes, par la frénésie du printemps. Par sa manière de décrire décors et événements, Giono symbolise ce retour à la nature sauvage, ce basculement vers une sorte de mort. Avant le regain, la renaissance qui voit par la grâce de la femme, le retour à la civilisation. Il décrit aussi le désir, la peur, la sérénité retrouvée après la folie apportée par le vent, le blé qui pousse de nouveau et permet le retour à la vie. On suit pas à pas, petit événement après petit événement la renaissance du village et d'un couple improbable.

    J'ai adoré me replonger dans cette ambiance, dans ce monde. Regain fait partie de ces romans qui vous emportent et qui vont droit à l'essentiel.

    Tout simplement magnifique.

    Giono, Jean, Regain, in Romans et Essais, Le livre de Poche, coll. Pochothèque, 1991, 4/5

     

  • Les écus de messire Arne - Selma Lagerlof

    Selma Lagerlöf est surtout connue pour son Niels Holgersson, adapté à toutes les sauces et considéré souvent comme un texte destiné aux enfants. C’est oublier un peu vite que ce Nobel de littérature 1909 a offert une œuvre considérable que j’ai commencé à découvrir par un texte court mais superbe: Les écus de messire Arne.

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    Le pasteur Arne et sa maisonnée ont été massacrés par trois bandits. Seule a survécu la petite-fille du pasteur, dissimulée derrière le poêle. Pour accomplir la vengeance à laquelle sa sœur adoptive morte dans le drame l’incite, elle devra faire la part de son devoir et de son amour pour l’un des meurtriers.

     

    Les écus de messire Arne est un texte aux aspects de conte moral et de tragédie.

    En racontant l’histoire tragique d’Elsallil, Selma Lagerlöf décrit la Suède populaire, celle des pêcheurs, des paysans, où un pasteur est de noble naissance, où les croyances et superstitions populaires persistent. La crainte de Dieu y côtoie fantômes et manifestations surnaturelles sans que personne n'y trouve à redire. Il y a la neige, la glace, le vent, l’eau de mer gelée qui emprisonne les navires, les ports de pêche, les auberges, les mercenaires qui participent aux guerres que se livrent les rois du Nord. Ce pourrait être le 17e siècle, ça l’est sans doute. Peut-être le 18e, éventuellement le 16e siècle. En tout cas, les mercenaires écossais tentent de regagner leurs terres par voie de mer et sont prêts à tout pour survivre. Jusqu’à massacrer une famille. C’est par une nuit froide que le destin d’Elsallil se noue dans le sang. On pense par moment aux tragédies antiques, à celles de Shakespeare aussi : la jeune fille qui criait vengeance va tomber amoureuse du meurtrier des siens. Ce récit est celui d’une vengeance par devoir, d’un amour interdit par le sang qui a coulé, d’un sacrifice. Les morts dictent aux vivants leur loi et crient vengeance, aidés par la providence divine. Il n’y a guère de place dans tout cela pour l’individu et ses sentiments. Il y a des sènes fantastiques proprement hallucinantes : celle où Torarin le pêcheur se retrouve face à ceux dont il a vu les corps massacrés, ayant de nouveau toute l’apparence de la vie, celle où la sœur d’Elsallil à qui est revenue la mission de guider la jeune fille parcourt les rues du village, celle de la débâcle enfin permise par Dieu, les meurtriers ayant finalement payé le prix de leur faute… On croirait lire par moment un conte traditionnel. Chose amusante d’ailleurs, le loup est bien présent, celui du Petit chaperon rouge, le dangereux, celui qui menace les jeunes filles.  Mais il y a plus : la langue déjà, n’est pas celle du conte. Puis il y a ce déroulement parfait du récit, du drame à un dénouement qui n’a rien à envier aux pires des tragédies. Le point de vue alterne entre le brave Torarin et son bon sens et Esallil élevée comme une jeune fille de bonne famille, amoureuse aveuglée malgré le danger que tous autour d’elle dénoncent.

    C’est une très belle histoire d’amour entre un homme qui croit trouver l’amour l’occasion de la rédemption et une jeune femme déchirée entre ses sentiments et son devoir. Atermoiements, déclarations, colère, tromperie, déception, haine, passion, remords, les deux amants vont subir de plein fouet la force des sentiments. Elsallil finira broyée par les devoirs qu’elle doit à Dieu et aux siens, par la faute de son aimé, la sienne qui est d'aimer et le prix qu'ils doivent tous les deux payer. La morale triomphe mais à un prix élevé, la vengeance humaine et divine étant bien plus puissante que les vertus évangéliques de pardon et de rédemption. Pas de rachat possible dans cet univers, juste la mort.

    C'est un texte absolument enthousiasmant qui donne envie de découvrir l'oeuvre de cette auteur plus avant!

    Lagerlöf, Selma, Les écus de messire Arne, Stock, 1989, 4/5