Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Littératures scandinaves

  • Les écus de messire Arne - Selma Lagerlof

    Selma Lagerlöf est surtout connue pour son Niels Holgersson, adapté à toutes les sauces et considéré souvent comme un texte destiné aux enfants. C’est oublier un peu vite que ce Nobel de littérature 1909 a offert une œuvre considérable que j’ai commencé à découvrir par un texte court mais superbe: Les écus de messire Arne.

    hiver-suede.jpg

    Le pasteur Arne et sa maisonnée ont été massacrés par trois bandits. Seule a survécu la petite-fille du pasteur, dissimulée derrière le poêle. Pour accomplir la vengeance à laquelle sa sœur adoptive morte dans le drame l’incite, elle devra faire la part de son devoir et de son amour pour l’un des meurtriers.

     

    Les écus de messire Arne est un texte aux aspects de conte moral et de tragédie.

    En racontant l’histoire tragique d’Elsallil, Selma Lagerlöf décrit la Suède populaire, celle des pêcheurs, des paysans, où un pasteur est de noble naissance, où les croyances et superstitions populaires persistent. La crainte de Dieu y côtoie fantômes et manifestations surnaturelles sans que personne n'y trouve à redire. Il y a la neige, la glace, le vent, l’eau de mer gelée qui emprisonne les navires, les ports de pêche, les auberges, les mercenaires qui participent aux guerres que se livrent les rois du Nord. Ce pourrait être le 17e siècle, ça l’est sans doute. Peut-être le 18e, éventuellement le 16e siècle. En tout cas, les mercenaires écossais tentent de regagner leurs terres par voie de mer et sont prêts à tout pour survivre. Jusqu’à massacrer une famille. C’est par une nuit froide que le destin d’Elsallil se noue dans le sang. On pense par moment aux tragédies antiques, à celles de Shakespeare aussi : la jeune fille qui criait vengeance va tomber amoureuse du meurtrier des siens. Ce récit est celui d’une vengeance par devoir, d’un amour interdit par le sang qui a coulé, d’un sacrifice. Les morts dictent aux vivants leur loi et crient vengeance, aidés par la providence divine. Il n’y a guère de place dans tout cela pour l’individu et ses sentiments. Il y a des sènes fantastiques proprement hallucinantes : celle où Torarin le pêcheur se retrouve face à ceux dont il a vu les corps massacrés, ayant de nouveau toute l’apparence de la vie, celle où la sœur d’Elsallil à qui est revenue la mission de guider la jeune fille parcourt les rues du village, celle de la débâcle enfin permise par Dieu, les meurtriers ayant finalement payé le prix de leur faute… On croirait lire par moment un conte traditionnel. Chose amusante d’ailleurs, le loup est bien présent, celui du Petit chaperon rouge, le dangereux, celui qui menace les jeunes filles.  Mais il y a plus : la langue déjà, n’est pas celle du conte. Puis il y a ce déroulement parfait du récit, du drame à un dénouement qui n’a rien à envier aux pires des tragédies. Le point de vue alterne entre le brave Torarin et son bon sens et Esallil élevée comme une jeune fille de bonne famille, amoureuse aveuglée malgré le danger que tous autour d’elle dénoncent.

    C’est une très belle histoire d’amour entre un homme qui croit trouver l’amour l’occasion de la rédemption et une jeune femme déchirée entre ses sentiments et son devoir. Atermoiements, déclarations, colère, tromperie, déception, haine, passion, remords, les deux amants vont subir de plein fouet la force des sentiments. Elsallil finira broyée par les devoirs qu’elle doit à Dieu et aux siens, par la faute de son aimé, la sienne qui est d'aimer et le prix qu'ils doivent tous les deux payer. La morale triomphe mais à un prix élevé, la vengeance humaine et divine étant bien plus puissante que les vertus évangéliques de pardon et de rédemption. Pas de rachat possible dans cet univers, juste la mort.

    C'est un texte absolument enthousiasmant qui donne envie de découvrir l'oeuvre de cette auteur plus avant!

    Lagerlöf, Selma, Les écus de messire Arne, Stock, 1989, 4/5

     

  • La maison des célibataires

     

     

     

    Cinq célibataires dans une maison au bout du monde. Cinq célibataires qui commencent à s'inquiéter pour leurs vieux jours. Un célibataire qui décide alors de se marier pour assurer les-dits vieux jours. Mais la fiancée est une marâtre. Riche certes, mais une marâtre. Et les vieux copains n'ont pas dit leur dernier mot.

     

     

    Le lecteur (ou la lectrice), lui, n'a pas fini de se tordre de rire! Jorn Riel offre en quelques trop courtes pages un petit conte drôlatique, vaudevillesque et immoral. Une apologie de la paresse et une célébration de la capacité à tromper son monde (gentiment ou presque) pour arriver à faire sa sieste au soleil. On croise des célibataires paresseux et malins, une veuve au tempérament chaud lançant sa rivale par une fenêtre, un administrateur administrant, et quelques autres personnages hauts en couleur. Quelques traits suffisent à leur donner corps et vie dans des situations poussées à leur extrême. Le pire, c'est qu'on se dit qu'il doit bien s'en trouver de parle monde de vieux roublards dans ce genre!

    Les accroches de chapitre sont savoureuses, l'écriture enlevée, et mon seul regret que cela ait té trop court! Ne surtout pas bouder Jorn Riel par lui-même à la toute fin! Non seulement le monsieur a une vie fascinante, mais en plus il se fait subir le même traitement humoristique qu'à ses personnages!

     

     

    "Une chance, ces dents du commerce, parce qu'ainsi, il n'avait pas à envisager de frais plus tard pour ces outils si fondamentaux à la mastication."

     

    Papillon en parle plus que bien ,tout comme Florinette, Valdebaz, Clarabel et Gachucha.

     

    Jorn Riel, La maison des célibataires, 10/18, 2006, 75 p.

  • Trollitude

     
    Le deuxième roman envoyé par Sophie depuis son île dans le cadre du swap!
     
    Ange, photographe de publicité réputé, homosexuel et branché vit en solitaire jusqu’au jour où il sauve d’une bande de jeunes voyous ce qui ressemble à toute première vue à un chat. Mais ce qu’il recueille ainsi est beaucoup plus dangereux qu’un chat. C’est un bébé troll. Perdu, mignon, attendrissant, mais sauvage et dangereux. Un grand fauve. Sauf que de fils en aiguilles, de recherches zoologiques en apprivoisement, Ange va s’attacher à cet être. Un être qui s’avère de moins en moins animal et de plus en plus proche de l’humain. Et si les légendes avaient raison ?
     
    Ce que j’ai trouvé intéressant avec ce roman est le parti pris de l’auteur de présenter en alternance avec l’histoire même des extraits d’histoires, de contes et d’œuvres folkloriques nordiques, des extraits d’ouvrages de recherche universitaire et de vulgarisation sur les carnassiers qui donnent un aspect de réalité à son point de départ. Les trolls ne sont pas un fruit de l’imagination humaine. Ils sont rares, mais réels. Cela donne des pages parfois savoureuses, et presque toujours intéressantes. L’étrange d’insinue petit à petit. On pense au départ se trouver devant une belle histoire d’attachement entre humain et animal. Puis s’introduisent des petits éléments dérangeants. L’enfant troll défend son territoire, mais il est aussi capable de peindre, et de réflexion. Et que penser de ces événements étranges qui se produisent aux lisières de villes où les apparitions de trolls adultes se multiplient ? Les légendes prennent de plus en plus de poids, de réalité. J’ai aimé le fait que l’auteur ne répond à aucune des questions posées, laissant après un retournement de situation relativement inattendu et drôle son lecteur inventer. Le successeur de l’homme sera peut-être le troll mes amis ! Mais dommage que Johanna Sinisalo n’ait pas plus creusé sur l’enfant troll. Il y avait matière à développement. J’avoue être restée un peu sur ma faim
    Par contre, je n’ai pas vraiment réussi à m’attacher aux personnages : le photographe de pub stressé qui trouve un sens à sa vie, le directeur d’agence publicitaire ambitieux et rusé, la petite fiancée asiatique, le vétérinaire étrange, etc. Leur vie sentimentale prend parfois un peu trop de place, même si c’est elle qui au final, permet que l’histoire bascule vers la folie totale. La qualité de l’ouvrage est aussi son défaut : intercaler des passages ”théoriques“ et littéraires sur les trolls donne du dynamisme à la narration, mais elle la hache aussi un peu trop. On aurait pu se passer de certaines de ces digressions.
    En tout cas une lecture agréable.
     
    L'avis de Sophie.
     
     
    Johanna Sinisalo, Jamais avant le coucher du soleil, Babel, 2005, 317 p.

  • Le buveur de lune

    Il ya des livres comme ça qu'il faut prendre le temps de digérer. Laisser le temps aux mots, aux phrases de reposer, puis de s'envoler. Avant de pouvoir ouvrir d'autres pages.

    Pétur est un petit garçon islandais presque comme les autres. Il vit avec son père, la voix la plus célèbre du pays. Sa maman sismique, Lara, a disparu un beau jour. Toute en fantaisie et en tendresse, son enfance va laisser la place à la souffrance de grandir, de se construire et de comprendre, enfin, que l'éloignement n'est pas une solution.

    C'est peu dire que j'ai aimé. Göran Tunström a cette manière bien à lui de faire basculer son lecteur dans un monde onirique, où le merveilleux est chose courante. La musique des mots, des notes et la musique de la terre qui gronde façonnent ses personnages. On est emporté dès les premières lignes dan ce pays où la poésie est un moyen de respirer.

    L'histoire se centre principalement sur la relation du père et du fils. On voit le regard tendre du petit garçon évoluer, se transformer, devenir plus dur, plus amer. On voit ses remords et l'amour qui malgré tout persiste. On lit la douleur d'un père qui voit son enfant s'éloigner de lui, ne plus le comprendre. Certaines pages exhalent la souffrance à en couper le souffle. C'est un beau roman sur l'identité, la quête de l'accomplissement de soi.

    Les personnages, principaux et secondaires, m'ont un peu fait penser à ceux de Paasilina, dans ces attitudes burlesques, dans ces répliques qui font mouche, dans ces relations sur le fil du couteau. Mais avec la drôlerie en moins. Ce n'est pas un reproche. C'est juste différente et savoureux à sa manière. Et cela n'empêche pas l'humour d'être bien présent! La description du mode de gouvernement et des hommes politiques est d'ailleurs savoureuse. Il faut lire les pages où ils se retrouvent à jouer au scrabble ou à chanter de l'opéra! Et la guerre diplomatique provoquée par un ballon de foot est tout bonnement extraordinaire. Certains passages sont peut-être un tantinet longs, parfois un brin confus, mais globalement, j'ai passé un excellent moment.

     

    "En fin de compte tout ce que nous vivons n'est que divagations de l'esprit. En fin de compte nous aurons quand même investi nos vies, écrit une chanson, qui s'attarde sur la surface de la terre une minute encore après que s'est tue la dernière note. C'est la raison pour laquelle cette bougie est ici, pour dire: il y a bien eu un récit, la flamme est faible, vacille faiblement."

     

    Voir l'avis de Chimère.

     

    Göran Tunström, Le buveur de lune, Actes Sud, Babel, 1997, 302 p.

  • La parole du désert

    Ce qui m'a le plus frappé dans ce roman, c'est la beauté des phrases. On a la tentation d'en lire certaines à haute voix pour mieux les goûter si vous voyez ce que je veux dire. Et comble de bonheur, ce n'est pas seulement bien écrit, c'est aussi beau dans le fond! Goran Tunström parvient en 200 pages à rendre les figures du Christ et de Jean le Baptiste profondément humaines. L'un est un écorché vif en perpétuelle rebellion, l'autre un doux qui apprend petit à petit à faire face à ce qu'il est et à l'accepter. Leurs chemins se croisent jusqu'à ce que l'on rejoigne Jésus au coeur de sa retraite de 40 jours dans le désert.

    J'ai particulièrement aimé le fait que le Christ doute au départ de ce qu'il est et qu'il lutte de toute ses forces contre l'idée qu'il puisse être le Messie tout en étant quelque part flatté. Et les figures de Marie et de Joseph qui souffrent de l'enfant qu'ils ont mis au monde même s'ils l'aiment.

    On y trouve de surcroît des reflexions qui laissent songeur: "Au coeur du silence, toutes les entraves disparaissent: ce n'est que là qu'il est possible de jalonner le chemin qui va tout droit. Il mène tout droit à la mort. Trop de gens vivent continuellement à côté de la voie qui y mène. Ils peuvent se cacher dans leurs souvenirs, dans le temps anéantis. Ils se croient immortels. Ils sont des enfants."

    Bref, c'est beau, c'est bon, c'est chaudement recommandé.

    Göran Tunström, La parole du désert, Actes Sud Lettres scandinaves,1993, 201 p.