Mortagne n’est pas bien grand, mais ce n’est pas pour autant que l’harmonie y règne. Entre ceux du bois et ceux de la vigne, les coups et les coups bas pleuvent tous les jours sauf celui où tout le monde fête la chasse. Car à Mortagne, on naît chasseur, et en tant que tel, on ne mourra pas gibier. Martial, lui, s’est échappé. Au bois qui était son destin, il a préféré la mécanique dans un internat et fuit ainsi son père qui meurt des poussières de bois respirées toutes sa vie, la violence de sonfrère et une vie toute tracée. Sauf que quand on sort des cadres, c’est un coup à se lier d’amitié avec Terence, celui qui a la tronche de travers, l’idiot du village. La victime désignée de tous les dérapages. Jusqu’à l’irréparable.
S’il y a un auteur pour la jeunesse qui a provoqué le débat, voire le scandale, c’est bien Guillaume Guéraud. Il faut dire que ce n’est par lui que passeront les jolis petits lapins roses des happy end. Guéraud, c’est du lourd, du poisseux, du violent. C’est la vie et ses atrocités, L’angoisse sans aucune tentative de l’atténuer. Le désespoir parfois. Se lancer dans Je mourrai pas gibier, c’est accepter de se prendre une claque, d’avancer avec l’estomac noué et d’en sortir le souffle coupé et vaguement nauséeux. Guillaume Guéraud pratique une écriture sèche qui va à l’essentiel et excelle à entrer dans la psyché de ses personnages. Martial, on le connaît de « l’intérieur », on découvre Mortagne par ses yeux. Sa lassitude, son désespoir, puis sa colère, le lecteur les vit avec lui. On s’approprie presque les mots de cet adolescent qui a laissé éclater sa haine et sa colère.
Personne n’est condamné au nom de quelque morale que ce soit dans ce roman. Il y a juste l’enchaînement dramatique qui mène à l’irréparable, les traditions d’un village où la violence est quotidienne, où l’ignorance fait des ravages, où ce qui est différent est rejeté aux marges et utilisé en bouc émissaire. Un village où un jeune adolescent sans problème devient un de ces tueurs fous. Sans jamais rien excuser, l’auteur décrypte les événements, les non-dits qui conduisent à vouloir se faire justice soi-même et au meurtre. Il décrit superbement la souffrance de se sentir différent, de décider de s’éloigner et de changer de vie. Il sait montrer par petite touche l’importance du milieu social, de l’éducation dans une vie.
Alors, oui, Je mourrai pas gibier est un roman violent. Mais c’est surtout un de ces romans qui font grandir parce qu’ils ouvrent les yeux.
Le roman a été adapté au format roman graphique par Alfred qui offre là un magnifique album. Extrêmement fidèle au récit de Guéraud, il joue sur le champ, le contre-champ, les décalages de temps et d’espace, rendant d’autant plus violentes, les quelques scènes qu’il a choisi de représenter. On y retrouve magnifiquement mis en image l’atmosphère lourde et noire du roman, les paysages autour du village. Le trait, brutal, est totalement en accord avec le récit et la colère de Martial. Mention spéciale à la couverture et à la quatrième de couverture qui résument en deux dessins et l’ambiance du récit, et l’histoire de Martial. C’est magistral, parfois même plus violent que le roman puisque mis en image. Plus violent, mais pas plus terrible tant imaginer peut parfois être pire que voir. Mais Alfred n’a pas hésité à dessiner les aspects les plus crus et durs de cette histoire, en des cases qui donnent envie de fermer les yeux.
L’un comme l’autre magistral et essentiel.
Guéraud, Guillaume, Je mourrai pas gibier, DoAdo Noir, Rouergue, 2006, 5/5
Alfred, Je mourrai pas gibier, Delcourt, 2009