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Littératures d'Europe de l'Est

  • L'héritage d'Esther - Sandor Marai

    lheritagedesther.jpgUne femme déjà vieillissante voit soudain ressurgir dans sa vie le seul homme qu'elle ait jamais aimé, l'homme qui l'a presque ruinée avant de disparaître. Et qui vient achever ce qu'il avait si bien commencer vingt ans plus tôt.


    A lire L'héritage d'Esther sans connaître le reste de son oeuvre, je me suis dit que si Sandor Marai excellait, c'est dans l'art de fouiller jusqu'au plus sordide les relations humaines. Pas de regrets, d'envolée lyriques, d'anathème jeté sur le vil séducteur, non, mais une description presque clinique encore que faite par les yeux d'Esther des mécanismes d'une journée qui va la voir perdre le peu qui lui restait. Pourtant, tout le monde connaît Lajos, à commencer par elle, par ce qui reste de sa famille, ses amis, qui tous ont eu à souffrir de ses menées. Mais tous, comme avant, vont retomber dans le même piège, céder devant l'insidieuse séduction de cet homme et son aplomb. 

    Au fil de cette journée, on voit se mettre en place les mécanismes qui vont permettre à Lajos de repartir victorieux. Chaque page distille une violence sourde, glaçante, les détails sordides du passé qui se dévoilent au gré de conversations et des confrontations. On ne peut pas dire que le tout soit follement enthousiasmant, et emporte le lecteur, mais difficile de laisser avant sa chute prévisible cette histoire à l'atmosphère étouffante, ces personnages pris dans l'ennui ou la résignation, dans les certitudes vacillantes d'une bourgeoisie qui perd son rang et son influence. Sans doute parce que le talent de Marai lui permet de rendre palpable cette fin d'un monde, celui d'Esther comme celui de sa famille, la tension entre passé et présent, les ressorts d'une manipulation et d'une capitulation.

    Qu'en dire de plus... Je ne hurle pas au chef d'oeuvre, j'avouerais même m'être parfois un peu ennnuyée, mais il est indéniable que ce court récit m'a donné envie de découvrir les autres oeuvres de Sandor Marai.

    Marai, Sandor, L'héritage d'Esther, Le livre de poche, 2003, 155p., 3/5

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  • Le roman de monsieur Molière - Mikhaïl Boulgakov

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    Boulgakov est sans nul doute beaucoup plus connu pour son chef d'oeuvre Le maître et Marguerite que pour Le roman de monsieur Molière. Pourtant, pourtant, dieu sait que ce roman biographique, ou cette biographie romancée de cet immense dramaturge est un petit bijou qui mérite d'être lu, relu et lu encore.

    C'est toute la vie de Molière qu'il déroule sous les yeux ébahis du lecteur, de l'adresse extraordinaire qu'il fait à la sage-femme qui accouche madame Poquelin aux derniers souffles de l'homme de théâtre qui aura marqué de son empreinte la vie culturelle de son temps et l'histoire française. On sent l'amoureux de Molière, de la littérature française. Impossible de ne pas se retrouver emporté par l'enthousiasme de l'auteur, par sa plume enlevée, drôle, tragique quand il le faut. Car il n'hésite pas à aborder tous les aspects plus sombres de la vie de Molière, ses relations amoureuses chaotiques, sa dépression, son attitude face à l'échec, faisant de lui un personnage pleinement vivant et humain. Il faut dire qu'avec une telle matière, il y a de quoi faire: la vie de Molière est faite d'amours contrariées, de dissensions familiales, il y a du suspense, des rebondissements inattendus, des drames et de grandes joies. Les anecdotes rendent le récit passionnant et vivant. Boulgakov assume parfaitement la position de narrateur, choisissant les épisodes qu'il veut conter. On croirait par moment l'entendre dire à voix haute son histoire, tenir son auditoire en haleine.

    A cela s'ajoute une analyse extrêmement fine des relations de l'art au pouvoir.Il est beaucoup question de l'amitié étrange qui a lié Louis XIV à l'homme de théâtre. Le roi soleil fut rien de moins que le parrain d'un des enfants morts en bas âge de Molière. De là l'attitude de Molière face à ses détracteurs, ses audaces dans la dénonciation du pouvoir politique, religieux, ses moqueries envers les travers de ses concitoyens. De là aussi bien des malheurs et des déceptions, la peur de mal écrire, de déçevoir. Il y a la censure aussi, qui parfois tranche à vif. C'est passionnant de voir à quel point ces pièces qu'on étudie adolescents, auxquelles on sourit aujourd'hui ont pu provoquer le scandale en leur temps. Il faut dire que Molière n'y allait pas avec le dos de la cuillère. A relire ses textes, à les voir mis en scène, on se rend compte de la charge dont ils sont porteurs et de leur incroyable actualité. Les tartuffes, les précieuses ridicules, le bourgeois gentilhomme, l'avare, nous sommes susceptibles d'en croiser tous les jours.

    J'ai dévoré les 283 pages du roman en trois heures, ne voulant pas abandonner Molière dans les événements grands et petits de sa vie. C'est un magnifique roman, une lecture passionnante et agréable qui donne envie de lire ou relire du théâtre, d'aller le voir pour rendre hommage à ceux qui savent si bien faire du monde une scène...

    Chroniqué dans le premier podcast du Gang des LIT.

    Boulgakov, Mikhaïl, Le roman de monsieur Molière, Folio, 1993, 5/5

  • Rosier et romarin

     

     

    Pour la première réunion du Club des théières, le thème choisi était la nuit. J’ai donc, après moult recherches porté mon choix sur La nuit sous le pont de pierre de Léo Perutz. C’est un auteur que j’avais lu il y a fort longtemps et que j’avais envie de retrouver.

     

    La belle Esther, épouse de Mordechai Meisel le marchand rêve, nuit après nuit, d’un amour fou et profond. Elle rêve, mais dans le ghetto de Prague, qui peut dire ce qui est rêve et ce qui est réalité ?

     

    En 14 chapitre, 14 tableaux, Léo Perutz peint la Prague du 17e siècle. Les récits s’entrecroisent, les personnages se rencontrent, s’aiment, se déchirent, se trompent. Et progressivement, d’ellipses en détails l’histoire se dessine. Elle est celle d’un homme qui réussit, un homme a qui la richesse vient sans qu’il la recherche, un homme béni ou maudit, on ne sait guère, un juif sans qui l’empereur Rodolphe ne serait rien. Un homme dont l’unique amour le trompe sans le savoir.

     

    C’est un roman difficile à raconter comme il l’a été à suivre. Léo Perutz décrit un monde en se reposant sur le socle solide de l’histoire, mais y instille de la truculence, du fantastique, de l’humour, de la poésie et du drame. Plus qu’un roman, on a l’impression de se retrouver devant une série de contes.

    On y découvre Prague dans ses différents quartiers, son organisation sociale, ses traditions, on y découvre l’histoire d’un empire et de sa chute, on y découvre ce que pouvait être la vie de la communauté juive au 17e siècle en Europe de l’Est.

    Il est beaucoup question de la vie, de la mort et du rêve dans ce récit. L’histoire d’Esther notamment montre à quel point la différence peut parfois être difficile à faire entre la vie et le rêve. Cet amour avec Rodolphe, l’empereur, qu’elle croit rêver nuit après nuit est puni comme s’il était réel, comme si elle trompait sciemment son époux. Il est puni même si elle n’en est pas responsable, jouet qu’elle est devenue d’intrigues politiques. Car c’est le rabbin qui a fait en sorte que les deux amoureux se rencontrent ainsi nuit après nuit, en enchantant un rosier et un romarin. Et qui l’a fait pour protéger sa communauté d’un empereur tombé fou amoureux de la belle Esther entraperçue une fois au détour d’une rue.

    Rien n’est plus réel sous sa plume que les fantômes qui hantent le cimetière juif, rien n’est plus réel que la magie de rabbins versés dans la Kabbale.

    Quand à la mort, elle est une vieille compagne qu’on retrouve de chapitres en chapitres. Qu’on l’appelle, qu’on cherche à la fuir, qu’on la provoque ou qu’on la donne, elle est présente. Elle frappe certains, en épargne d’autres, et elle frappe aussi un monde qui vit ses dernières heures et dont la destruction finale est portée à la connaissance du lecteur.

    En même temps, rien de plus foisonnant que ces ruelles, ces rues, même promises à la mort, rien de plus vivant que ces palais, ces maisons, ces hommes, ces anges qui pleurent et ces fantômes qui dansent.

    Ce qui sous-tend cette œuvre, c’est aussi l’union impossible de deux mondes, union symbolisée par l’amour fou et tragique de Rodolphe et Esther.

     

    Tous les chapitres, toutes les histoires que conte Léo Perutz ne m’ont pas touchées ou plues. J’ai parfois trouvé les récits un peu longuets ou moins intéressants. Mais j’ai rêvé, j’ai ri, j’ai été émue aux larmes en le lisant. C’est un hommage superbe rendu par cet auteur à sa ville natale.

    J’ai eu envie de repartir à Prague, j’ai eu envie d’en savoir plus sur l’histoire de cette ville. C’est un magnifique classique, et un bon moyen de découvrir cet auteur.

     

    « Quand le vent du soir soufflait sous les ondes du fleuve, la fleur du romarin se blottissant un peu plus contre la rose rouge, et l’empereur qui rêvait sentait sur ses lèvres le baiser de l’amante de ses songes.

    -         Tu es venu fort tard, murmura-t-elle. J’étais couchée et je t’attendais. Tu m’as fait attendre bien longtemps.

    -         Je ne t’ai jamais quittée, répondit-il. J’étais couché et je plongeais mon regard par la fenêtre, dans la nuit, je voyais les nuages passer et j’entendais le murmure de la fontaine, j’étais si fatigué qu’il me semblait que mes yeux allaient se fermer d’eux-mêmes. Et tu es enfin venue me retrouver. »


    Léo Perutz, La nuit sous le pont de pierre, Le livre de poche, 1990

  • Paix sur la Terre

    Ca y est !!!!! Oui, ça y est !!! J’ai fait ma danse de la victoire autour de ma table basse, et ce soir, je m’offre un coup à boire ! Oui, même toute seule, tant pis !! Un bon verre de vin rouge mesdames et messieurs, puisque j’ai fini hier soir les 1600 de Guerre et Paix. Comme dirait ma frangine : « t’as pris l’option plomb ». Un mois et demi de lecture pour un bon kilo de bouquin !
    Bon, le sacrifice à dame Vérité me contraint à admettre que j’ai entre-temps lu un certain nombre de choses, mais j’y suis restée fidèle à Léon ! Pas d’autres romans adultes en même temps ! Et ça y est ! J’en reste un peu groggy tout de même.
    Qu’en dire… Autopsie d’un drame : « c’est pas de ma faute monsieur le juge, c’est Daniel Pennac ». Oui, vous savez, ce fameux résumé de son grand frère : l’histoire d’une fille qui aime un homme et en épouse un troisième. Déjà j’avais tilté. Il m’a fallu 10 ans pour me décider. Mais quel bonheur à l’arrivée !
    Pour moi, ce roman fleuve se décompose en trois parties. La première, c’est Dallas au 19e en Russie, ou les tribulations amoureuses de ces messieurs-dames Rostov et autres sur une période de 15 ans. J’ai adoré, j’ai frissonné, j’ai eu envie de coller des baffes à Natacha. Et puis à Pierre aussi.
    La deuxième, ce sont ces loooongues considérations stratégiques. Léon n’aime pas Napoléon, je crois que c’est clair. Il n’aime pas la guerre non plus, et je suis d’accord avec lui.
    La troisième, c’est la réflexion philosophique souvent intéressante, parfois fastidieuse à laquelle se livre Tolstoï sur le fil conducteur de l’histoire et du déterminisme.
    Histoire, servage, libéralisme politique, liberté, amour, christianisme ne sont que quelques uns des thèmes abordés.
    Les personnages, riches, épais évoluent et prennent de la carrure au fil des pages. Ils n’en sont que plus attachants. Et on se rend compte à la fin que leurs aventures sont la parfaite illustration de la pensée de Tolstoï. Une pensée spéciale pour mon personnage préféré, Sonia la sacrifiée, la parente pauvre qui est pour moi le personnage le plus humain et le plus touchant de l’affaire, celle qui paie ses erreurs au prix fort quand les autres s’en tirent.
    M’enfin voilà, trêve de lyrisme. C’était bien et c’est fini. Reste le bonheur de choisir un nouveau livre.
     
    « Quand elle sourit, le doute ne fut plus possible. C’était bien Natacha, et il l’aimait » p.1462 (oui, 1462)
    Léon Tolstoï, La Guerre et la Paix, Gallimard, coll. Pléiade, 1952, 1607 p.