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Chiff' - Page 50

  • Le combat ordinaire - Manu Larcenet

    le-combat-ordinaire-tome1-cf2f2.jpgMarco a quitté la ville pour la campagne, il a arrêté le psy parce qu’il a l’impression que ça va vraiment mieux, il a arrêté de partir photographier les guerres et les catastrophes et il s’occupe à croiser de temps à autre son frère rigolard, ses parents qui vivent au bord de la mer. Marco est monsieur tout-le-monde, mais il est tellement, tellement plus…

    Il y a des œuvres comme ça qui croisent votre route l’air de rien et qui vous bouleversent au-delà de toute mesure. Ce n’est pas qu’elles soient particulièrement drôles, non, ni particulièrement tristes d’ailleurs, c’est juste qu’elles touchent quelque chose d’intime, et en même temps d’universel. Dans Le combat ordinaire, il y a une histoire particulière, celle de Marco, et il y a tout ce qu’elle dit sur la vie, l’amour, l’amitié, la famille. Manu Larcenet réussit le tour de force de raconter une histoire banale en lui donnant une force peu commune et en dressant une galerie de personnages terriblement humains et qui en disent long sur sa capacité à observer les gens et à en faire des personnages plus vrai que natures. Du coup on s’attache à eux, malgré l’agacement qu’ils provoquent parfois, voire la colère.

    Marco et sa trouille de l’engagement, son incapacité totale à passer à l’âge adulte, Emilie et sa patience, la maman qui se révèle un jour, les secrets du père, les ouvriers de l’arsenal, les journalistes et les artistes, on retrouve les petits travers, les grandes qualités, les petites histoires de la vie quotidienne.

    C’est tout simple et débordant d’émotion et de réflexions sur l’angoisse, sur les liens familiaux et les secrets de famille, sur l’amour et le changement radical qu’implique accepter un autre dans sa vie. De petits événements en grands changements, Manu Larcenet s’emploie à montrer de quelle manière on change et on grandit, qu’on le veuille ou non, et quels conflits et bonheurs cela provoque. Le combat ordinaire est celui que tout un chacun connaît à un moment ou à un autre de sa vie, ou toute sa vie et c’est la force immense de cet album qui met le lecteur face à ses propres questionnements, face à sa propre tendance à fuir les problèmes et les choix, face aux réactions que l’on peut avoir quand la maladie, la mort, le racisme, le chômage font soudain leur apparition. Avoir la chance de lire les quatre tomes d’affilé, c’est pouvoir percevoir mieux l’évolution de Marco, de son entourage, de la société aussi. J’ai apprécié ce moment passé avec les personnages.

    Les aventures de Marco sont servies à merveille par le dessin, tout en détails, en finesse, qui transcrit à la perfection les émotions et les ambiances. C’est un beau tableau, humain, sensible, touchant de la vie aujourd’hui, un petit chef d’œuvre qui démontre la force que peut avoir la bande-dessinée.

     

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    Larcenet, Manu, Le combat ordinaire, Dargaud, t.1 à 4, 5/5

  • La pluie avant qu'elle tombe - Jonathan Coe

    la_pluie_avant_qu_elle_tombe.jpgRosamond a été retrouvée morte chez elle. La vieille dame a laissé derrière elle 20 photographies et 4 cassettes enregistrées, à charge pour sa nièce Gill de les transmettre à une mystérieuse Imogen, une jeune femme aveugle briévement croisée à l'occasion de fêtes familiales longtemps auparavant et introuvable. Gill écoute alors avec ses filles les bandes, et découvre une page d'histoire de sa famille qu'elle ignorait.

     

    J'ai, je dois le dire en préambule, découvert Jonathan Coe avec le massacre en règle de Testament à l'anglaise, roman où il lâche la bride à l'ironie la plus amère, une drôlerie affirmée et un sens de l'absurde qui peut s'avérer réjouissant. Autant dire que cette lecture ne me préparait en rien à celle de La pluie avant qu'elle tombe, texte d'une grande tendresse et d'une immense tristesse qui voit se dérouler à travers des photographies et la voix d'une vieille femme l'histoire de plusieurs générations de femmes.

    Jonathan Coe prend le temps dans ce roman d'installer les paysages du Shrophire, de laisser se poser la voix de Rosamond et celle de Gill aussi, qui va faire vivre l'histoire racontée par sa tante en l'écoutant avec ses filles, en la transmettant à ses filles.

    Ce que raconte Rosamond, est à la fois banal et unique, c'est l'histoire d'une filiation tragique, celle de Beatrix que n'a pas aimé sa mère Ivy, qui a donné naissance à Théa, qu'elle n'a pas aimé, qui a donné naissance à Imogen qu'elle n'a pas aimé. De fil en aiguille, il brode le portrait de femmes détruites les unes après les autres par la reproduction inévitable du drame psychologique qui a saccagé leur enfance, leur confiance en elles-mêmes et en la vie. shropshire-hills-01~s600x600.jpg

    Cela pourrait paraître banal, déjà écrit et lu un millier de fois. Certes. Mais Jonathan Coe déroule sa petite musique en se liant à une contrainte qu'il parvient à utiliser et transcender: celle de partir de photographies que Rosamond décrit pour Imogen l'aveugle, et à partir desquelles elle raconte son histoire, et partant, celle de sa cousine adorée, Beatrix, et celle des descendantes de Beatrix, tout autant aimées, et perdues. Il se mêle alors à l'image menteuse la voix de celle qui se souvient et qui ramène à la vie des souvenirs, des sensations, des odeurs. Car elles sont menteuses ces images qui semblent montrer une vie heureuse et insouciante à qui les regarde sans connaitre ceux qui posent ou on été fixés sur la pellicule par surprise. Elles sont précieuses mais ne montrent rien d'autre qu'une apparence de bonheur que détruit Rosamond  par ses souvenirs vivants, encore que menteurs eux aussi. On chemine entre photographies, souvenirs, et le temps présent qui se rappelle parfois au souvenir de Gill et de ses filles, qui a leur manière, vivent ce qu'ont vécu Beatrix et les siens. Pourtant, si le malheur a été bien présent dans la vie de Rosamond et dans celle de ces femmes dont elle raconte la vie, il y a eu aussi le bonheur, le grand amour qu'elle a vécu avec Rebecca, le temps trop court passé à élever Théa, la musique et les livres, le Shropshire et sa beauté. L'aventure pour Beatrix, l'amour aussi malgré l'égoïsme. Des éclaircies pour Théa et sa fille Imogen. Rosamond raconte un monde en changement, depuis le Blitz jusqu'à aujourd'hui, ses espoirs déçus, les promesses tenues pour le meilleur ou pour le pire et celles qui ont été oubliées, les regrets qui ne peuvent être évités. Jonathan Coe excelle à faire sentir par un mot, une expression les sentiments, les sensations de ses personnages, l'ambiance dans laquelle ils baignent, la tristesse et l'angoisse, les moments de bonheur parfait, trop brefs sans jamais sombrer dans le pathos et le mauvais goût. C'est poignant, doux et amer, presque magique de suivre ce récit, alors qu'on a l'impression d'entendre tout près de soi la voix de Rosamond.

    Dommage que la fin du roman ne soit pas à la hauteur de l'émerveillement ressenti au fil des pages. On quitte La pluie avant qu'elle tombe avec un petit goût d'inachevé et de factice qui ne rend pas justice à l'acuité psychologique avec laquelle l'auteur a exploré ces vies de femmes sur plusieurs générations. Je l'ai malgré tout refermé le coeur lourd du destin de cette lignée de femme que j'aurai bien du mal à oublier.

    Je vous laisse avec les chants d'Auvergne de Canteloube qui scandent le récit et qui resteront liés pour moi à cette belle lecture.

     

     

    L'avis de Cachou, et celui, merveilleux, d'Ofelia.

    Coe, Jonathan, La pluie avant qu'elle tombe, Gallimard, 2009, 248 p. 4/5

  • Le bon larron - Hannah Tinti

    10404-medium.jpgRen est manchot et orphelin. Autant dire que ses chances d’être adopté par un fermier du coin sont proches du néant et que son avenir est obscurci par le sort qui attend ceux qui sont engagés de gré ou de force dans l’armée et ce , quelques soient leurs tares physiques ou mentales. Mais un jour, l’improbable se produit : Benjamin Nab qui se prétend son frère, vient le chercher. Mais dit-il la vérité, ce frère dont les activités interlopes vont plonger Ren dans un univers de voleurs, d’escrocs et de marginaux ?

    Amanda en avait parlé avec une telle passion au cours du deuxième Gang des LIT que je n’avais pas pu la laisser repartir avec son exemplaire du roman. Heureusement d’ailleurs que je l’ai gardé au chaud, c’eut été fort dommage de passer à côté de cette petite merveille ! C’est brillant, foisonnant, drôle et effrayant à la fois, avec un petit côté outré assumé qui rend la lecture très plaisante. Entre pilleurs de tombes, nains, manchots, arnaqueurs, ressuscités et voleurs en tout genre, on se retrouve dans une histoire de freaks à la mode far-west qui ne fait pas l’impasse sur les réalités sordides de la pauvreté et de la marginalité.

    L’histoire de Ren est un beau récit initiatique, qui voit un enfant passer à l’âge adulte en trouvant des réponses à ses rêves : trouver une famille, savoir d’où il vient, et en apprenant à assumer une réalité qui est forcément bien loin de ses fantasmes. Au lieu d’une mère présente et aimante, il trouve un frère pas toujours tendre, au lieu d’une histoire familiale marquée par la nécessité de son abandon, il tombe sur une histoire atroce et sanglante comme ces temps troublés en voyaient souvent. Mais quels qu’aient été ses rêves, la réalité est aussi celle de l’espoir retrouvé et de l’amour réel que lui porte son nouvel entourage, de la cruauté de la vie et de la malfaisance, accompagnée de la plus belle des solidarités et de compassion.

    Hannah Tinti fait preuve d’une réelle finesse psychologique sous des dehors clownesques : ses personnages sont ambigus, comme Benjamin le menteur qui se cache derrière des récits forgés de toute pièce pour ne pas affronter la réalité, comme Thomas, brisé par une histoire d’amour, comme Mme Sands la logeuse sourde avec son cœur grand comme l’Amérique… Il y a de la durêté dans cette galerie d’hommes, de femmes et d’enfants qui défilent, tous éclopés. Du Dickens, et ce n'est pas moi qui le dit! Il y a aussi de la magie. Hanna Tinti enveloppe les rebondissements multiples de son récit dans une ambiance un peu fantastique, teintée d’une sorcellerie qui se révèle être finalement aussi factice que les tours de magie des foires mais aura rempli son rôle en embarquant le lecteur dans un voyage où il aura tourné en bourrique plus d’une fois avec un plaisir avoué et revendiqué.

    Un voyage donc, enthousiasmant, épuisant, dont on sort avec le sourire et l’envie de retrouver un jour Ren et son petit monde dans de nouvelles aventures.

    L'avis d'Amanda que je remercie pour le prêt, Fashion, Cuné...

     

    Tinti, Hannah, Le bon larron, Gallimard, 2009, 373 p. 4/5

  • Le secret de lady Audley - Mary Elizabeth Braddon

    Veuf respectable et bien nanti d’une cinquantaine d’année, sir Michael Audley tombe fou amoureux de miss Lucy Graham, préceptrice des enfants du médecin du village. Mais ce qui pourrait être un conte de fée va tourner au cauchemar. George Talboy, ami proche du neveu de sir Audley disparaît mystérieusement dans les jardins du vieux manoir alors que les deux jeunes gens étaient en vacances et logés à l’auberge du village. Cela a-t-il un lien avec le fait que lady Audley s’employait à éviter toute rencontre avec ce veuf désespéré par le décès de sa femme survenu quelques jours seulement avant son retour d’Australie ? Les zones d’ombres s’étendent autour de la jeune et jolie lady…



    Paru en feuilleton au cours de l’année 1862, cette œuvre de Mary Elizabeth Braddon, grande amie du sieur Dickens himself a sans nul doute déchaîné les passions de ses lecteurs. Crime mystérieux, angoisse, suspense, disparitions, retournements de situation, chantage, tous les ingrédients d’un bon thriller à la sauce 19e y sont, et même plus ! Tous les atouts et les défauts du feuilleton aussi d’ailleurs. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, ce classique de la littérature est d’une lecture très agréable. Mais dieu que l‘intrigue est cousue de fils blancs et émaillée d’ellipses et de rebondissements improbables ! Autant dire qu’on a deviné presque depuis le début quels sont les affreux secrets des protagonistes de l’histoire. Mais comme ce n'est pas dans le suspense que réside le charme de ce roman, ce n'est pas bien grave. Il reste l'ambiance délicieusement victorienne, les manoirs et leurs passages secrets, la campagne anglaise, ses ports et les us et coutumes d'un monde qui prend pour le lecteur d'aujourd'hui, des teintes agréablement passées.

    Je m’arrête un instant sur les aléas de la traduction. Il se trouve que j’ai lu se roman en anglais, avec certes quelques petites difficulté mais en appréciant la saveur de la langue anglaise et les grandes envolées lyriques des personnages. C’est assez amusant, cette propension qu’ont les personnages à se lancer dans de grands monologues sur les hésitations, leurs remords, leur devoir et tout le tintouin. Et encore plus amusant de constater qu’une grande partie de ces monologues sont purement et simplement coupés dans la version française ! il faut dire que certains sont indigestes et n’apportent pas grand-chose à l’intrigue. Le style de la traduction est ceci dit remarquablement lourd.

    Là, je risque spoiler quelque peu. Avis donc aux réfractaires, mais je ne vois guère comment analyser autrement la condition féminine telle qu'elle est vue dans ce qui était, avant tout, un divertissement moral.

    Il est vrai que Braddon ne pouvait guère adhérer aux mauvaises actions de lady Audley et de quelques autres des dames et demoiselles qui apparaissent dans son récit, mais je n'ai pas pu m'empêcher de m'attacher plus à l'ancienne miss Graham qu'aux autres personnages. Ses actes sont dictés par la volonté d'échapper à la pauvreté, et on se dit que Robert Audley et sa petite vie confortable ont beau jeu de lui reprocher ses actes. Elle est à mon sens beaucoup plus admirable qu'Alicia Audley par exemple, qui rejette sa jeune belle-mère parce que celle-ci lui prend sa place dans le coeur de son père. Lady Audley va au bout du chemin: mauvaise épouse, mauvaise mère, intrigante, meurtrière, elle incarne le diable. Ceci étant dit, aucune des figures féminines du roman n'est lisse: Alicia chasse et affirme sa personnalité, Clara Talboys que Robert Audley voit comme un ange est assoiffée de vengeance encore que freinée par sa condition de femme de bonne famille, Phoebe se marie par obligation mais n'hésite pas à recourir à tous les moyens pour parvenir à ses fins, quand à Lucy Audley, j'en ai déjà parlé. De quoi faire tenir aux personnages masculins quelques propos misogynes sur la nature de ces dames mais voilà qui correspond au moins à l'anticonformisme de la dame, actrice, pionnière du roman à suspense vivant en ménage avec un homme marié et père. La morale est sauve à la fin, c'est inévitable mais presque dommage! Seul regret, les envolées moralistes et philosophico-religieuses alourdissent sans conteste l'intrigue malgé un humour dont on perçoit des traces. Du moins aux yeux de la lectrice du 21e siècle que je suis.

    Je cesse de spoiler.


    Bref, c'est une romancière que je suis heureuse d'avoir découvert, mais Le secret de lady Audley n'est sans doute pas son oeuvre maîtresse et ne présente à mon avis comme intérêt aujourd'hui que son côté pittoresque de feuilleton et quelques uns de ses personnages. Je ne m'arrêterai pas en si bon chemin!

     

    Le tout a été lu dans le cadre de pas moins de 2 challenges:


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    Keisha en parle!

    Braddon, Mary Eizabeth, Lady Audley's secret, Wordworth, 1997, 400 p., 3/5

     

     

  • Avec cette neige grise et sale - Ch'oe Yun

    neigegriseetsale.jpgEn compulsant les archives de journaux, une femme lit un entrefilet annonçant la mort d’une immigrée coréenne portant son nom dans un parc new-yorkais. Les souvenirs remontent alors à la surface : au temps de sa jeunesse, Kang, l’étudiante pauvre, avait fait la connaissance d’An, un imprimeur contestataire. De fil en aiguille elle s’était mise au service de sa cause, jusqu’à donner son passeport et son identité à une contestataire poursuivie par les autorités…

     

    J’aime parfois à partir à la pêche sur les rayonnages de la bibliothèque. Prendre au hasard des textes, courts ou longs permet parfois de faire de belles découverte et c’est le cas avec ce récit de l’écrivain coréenne Cho’e Yun. J’avoue ne pas bien connaître la littérature coréenne et s’il faut en croire la préface, Cho’e Yun est un écrivain particulier dans le sens où elle utilise plus les modes narratifs occidentaux que les coréens. Je ne peux guère me prononcer sur la question, mais il est vrai que l’on n’est pas dépaysé, déstabilisé par cette lecture exempte de motifs culturels et stylistiques coréens qui pourraient être difficiles à saisir pour un lecteur occidental. Mais la voix de Kang, cette femme qui se souvient est superbe. Elle raconte sa jeunesse, l’espoir de pouvoir changer de vie, la dureté de la vie quotidienne, le désespoir auquel amène la solitude, la culpabilité, l’indécision. Cho’e Yun donne corps à cette existence avec beaucoup de justesse, soulignant avec finesse l’impossibilité d’exprimer les sentiments, de communiquer, les souffrances intimes cachées derrière un mur de silence.

    En filigrane se dessine une page d’histoire de la Corée, l’époque des années 1970, la contestation politique et la répression parfois violente. Et un petit peu de la tradition et des mœurs coréennes.

    C’est très réaliste, à la fois froid dans le ton employé et débordant d’émotions dans ce qui est raconté.

    A découvrir.

    Cho'e Yun, Avec cette neige grise et sale, Actes Sud, 1999, 77 p. 3.5/5