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Chiff' - Page 79

  • Les dépossédés

    Annarès, petite planète pauvre face à Urras la grande, la riche. L'endroit où s'exilent une poignée de révolutionnaires menés par Odo, écoeurés par l'injustice et les inégalités pour y bâtir une société parfaite, libre et solidaire. Mais même l'utopie a un prix: un travail acharné pour la survie sur un monde aride et quasi stérile et une fermeture complète à toute influence extérieure. Pourtant, deux siècles après la fondation d'Annarès, la volonté des fondateurs a été oubliée, l'odonisme dévoyé pour laisser la place à une dictature d'autant plus lourde qu'elle est celle souterraine d'une opinion publique guère plus difficile à manipuler parles esprits forts que sur Urras. De cela, certains se rendent compte, comme Shevek le physicien rejeté parce qu'il se démarque, parce que ses découvertes dérangent dans un monde qui ne veut pas changer et parce qu'il est en contact avec le monde extérieur. Il va alors oser l'impensable: faire usage de cette liberté qui est censée être la sienne pour aller sur Urras et chercher à partager avec le plus grand nombre sa théorie générale, possible voie vers une technique de communication instantanée à travers l'espace.

    Parfois, on croise la plume de grands, très grands écrivains, d'auteurs d'une immense intelligence, qui savent, non seulement, raconter une histoire, mais donner le sentiment de sortir grandit de la lecture de leur oeuvre. Ursula Le Guin est de ces grands. A ma grande honte, je ne suis pas parvenue à un résumé de l'intrigue des dépossédés qui rende justice à son foisonnement et à son étonnante simplicité. En apparence, rien de bien complexe: juste l'histoire de Shevek dans un va-et-vient entre son passé et le présent qu'il vit sur Urras où il réside dans une université pour poursuivre, et peut-être faire aboutir ses travaux sur une théorie physique. Et sous l'histoire de cet homme, une réflexion poussée sur l'anarchisme et les mécanismes sociaux. Avouez qu'à ce stade là, l'idée de faire face à un cour de philosophie politique matiné des convictions politiques d'une auteur de science-fiction américaine des années 1970 en fait reculer plus d'un, convaincu à tort d'être devant un roman particulièrement ennuyeux! Et pourtant, et pourtant! C'est aussi tout à fait passionnant et fascinant!

    A la base, au-delà de l'histoire de Shevek, c'est l'opposition entre deux planètes, entre deux systèmes qui est mise en lumière. Urras divisée en nations, en proie aux guerres, aux famines, aux inégalités sociales et économiques, gagrenée par l'individualisme et pourtant florissante et toujours vivante. Annarès, pauvre, stérile, lieu d'une expérience rare, celle d'une société anarchique où personne n'est le maître de personne, où tous ont selon leurs besoins et ont coeur de garantir la survie de leur communauté. Le Mal et le Bien en quelque sorte. En tout cas dans le système de pensée qui domine sur Annarès où Urras est perçue comme l'Enfer. Ce simple fait donne déjà le ton: il n'y aura pas de manichéisme. Penser l'autre comme le Mal est déjà commencer l'exclusion. Et une société qui ne survit dans sa perfection que par le repli et le rejet de l'autre ne peut plus être considérée comme parfaite. En effet, Annarès n'est pas parfaite: parce que les hommes ont toujours besoin de se soumettre à une loi même s'ils refusent de le voir, le gouvernement social a remplacé le gouvernement politique et économique (j'avoue avoir pensé à ce stade de ma lecture à l'oeuvre de La Boétie, même s'il n'y a guère de rapports entre les deux), la norme pèse de tout son poids sur les individus. Ceux qui osent affirmer une pensée différente sont en butte à l'ostracisme ou rendus fous. L'aliénation ne se fait plus principalement par la richesse (on ne va pas discuter ici du poids de la norme sociale dans les sociétés de type capitaliste, ceci n'est pas un blog de débat politique ou de sociologie), mais principalement par le nombre, la nécessité de l'approbation d'autrui et la peur de la solitude, sous couvert d'une solidarité qui vole en éclat dès qu'elle est menacée, que ce soit par la famine ou par la décision de Shevek d'aller sur Urras.

    A voir ces deux systèmes dos à dos, on se rend assez vite compte, avec Shevek, à quel point l'homme est nécessairement et foncièrement aliéné par la société dans laquelle il vit, à quel point il est difficile, voire impossible de se rebeller contre ce qui est intégré et qui devient impossible à voir. La vie sociale est fonciérement porteuse d'aveuglement, et d'hypocrisie, chacun défendant ce qu'il connaît même s'il en connaît dans sa chair les défauts. L'attitude de Shevek sur Urras sert le coeur: il en vient à défendre son monde avec passion alors qu'il était, et est encore considéré chez lui comme un dangereux révolutionnaire. Or, si Shevek, capable d'affronter un monde qu'il ne connaît pas et d'essayer de le comprendre en vient là, comment les annarestis peuvent-ils réellement prendre conscience de leur aliénation. Si tant est qu'ils le veuillent...

    Pourtant, il y a de si belles choses sur Annarès: des relations entre hommes et femmes pacifiées, le sexe remis à sa juste place, pas de religion pour provoquer des déchirements, une belle solidarité, l'idée que les moyens sont aussi importants que la fin qui est poursuivie. Tout comme il y en a de belles sur Urras, ce que vient rappeler à point nommé l'ambassadeur terrienne.

    Le plus agréable dans tout ça, c'est de voir se confronter deux conceptions du monde, et la mise à l'épreuve de l'utopie à travers le regard de Shevek, personnage attachant s'il en est, et de son entourage. On prend plaisir à le voir grandir, vivre, réflechir au monde qui l'entoure et essayer d'y trouver sa place. L'occasion de voir fonctionner l'"utopie ambigüe" de Le Guin dans tous ses aspects, de l'étude à la vie de couple en passant par la recherche d'un travail, le remplacement d'une chemise et l'éducation des enfants.

    De la grande, de la très grande SF à découvrir et à relire, intelligente et passionnante!

     

    Les dépossédés appartient au deuxième grand cycle romanesque d'Ursula Le Guin, le cycle de L'Ekumen. Si vous voulez en savoir plus, je vous conseille d'aller voir par .

     

    L'avis de Nebal, fouillé et bien plus intéressant que le mien, celui de ThomThom,...

     

    Ursula Le Guin, Les dépossédés, LGF, 2006, 445 p., 5/5

  • Miss Charity

     

    Charity aime les animaux, les champignons et les moisissures, trembler en écoutant les histoires sanglantes que lui raconte Tabitha la bonne écossaise, peindre à l'aquarelle et se promener dans la campagne, échevelée et mal habillée. Des choses auxquelles une petite anglaise de la bonne société des années 1880 ne devrait pas s'intéresser et qui deviennent le centre de son existence.

    Il y a des romans comme ça qui ensoleillent, rendent le sourire et donnent envie de croquer la vie à pleines dents. Miss Charity est du nombre. C'est une petite merveille de délicatesse, de tendresse, d'humour et de bonheur où se croisent des tortues, des souris, un rat, des canards, une pie voleuse et bavarde, un lapin magicien, une ânesse, quelques parterres de champignons, un serpent à deux tête et des humains pas toujours bien malins.

    Miss Charity c'est d'abord une histoire, celle de Charity. Charity n'a pas la vie facile, grandissant entre une mère étouffante et un père mutique, tous deux engoncés dans les conventions et la piété d'une société anglaise puritaine et rigide. On la suit petite fille découvrant la vie foisonnante du jardin, se taisant devant les amies de sa mère, incapable de regarder son père, puis grandissant et exerçant un sens critique aiguisé par l'observation de ses compagnons à poils et à plumes. C'est un personnage attachant, maladroit, exubérant, et toujours fourré dans les situations les plus rocambolesques et gênantes, surtout quand Kenneth, l'exaspérant Kenneth est là pour la surprendre. Une excentrique à qui est promis l'avenir d'une vieille fille à charge de sa famille et qui va prendre un envol et une indépendance choquante pour son milieu grâce à une gouvernante française toute pâle, un répétiteur allemand pas très beau mais très intelligent, une bonne paresseuse mais débrouillarde, un éditeur timide et des enfants séduits par les petites histoires qu'elle raconte. A travers le regard d'abord naïf puis de plus en plus lucide de Charity, c'est tout un tableau de l'Angleterre qui se déploie au fil des pages, des rues embrumées de Londres aux champs et aux rivières de la campagne anglaise, de la haute société au monde des asiles, des orphelinats et des tavernes.

    Miss Charity, ce pourrait être une biographie déguisée de la célèbre Miss Potter, c'est un mélange de roman et de pièce de théâtre détonnant. Marie-Aude Murail parvient à faire un tableau criant de vérité de l'Angleterre de l'époque et à manier un humour so british qui fait mouche à chaque page. Les dernières pages sont à cet égard un monument du genre, les citations croisées d'Oscar Wilde et Bernard Shaw à la manière d'une finale de Roland Garros étant à l'égal des dialogues des meilleures comédies. D'ailleurs, tout le roman ferait une merveilleuse pièce de théâtre: Marie-Aude Murail déploie son sens du rythme, du dialogue, de la réplique qui fait mouche. Les références fourmillent et c'est un bonheur de les repérer aux détours d'une phrase ou d'un dialogue. A tout cela s'ajoutent les superbes illustrations de Philippe Dumas qui accompagnent et complètent le texte avec pertinence et finesse tout en donnant envie de retourner vers les délicates et merveilleuses petites histoires de Beatrix Potter qui a inspiré l'histoire comme les illustrations.

    C'est enlevé, passionnant de bout en bout, intelligent et profond, c'est, vous l'aurez je pense compris, une merveille de roman qui s'avale d'une traite malgré son épaisseur imposante. Un des premiers coups de coeur de cette année qui va gagner une place d'honneur sur les étagères dès que j'aurai eu le temps d'aller le quérir en librairie pour pouvoir le feuilleter à ma guise et rêver, rire, frémir de nouveau avec Charity.

     

    L'avis de Cathulu, de Cuné, Lael, Emjy, Fashion,...

    Marie-Aude Murail, Miss Charity, L'école des loisirs, 2008, 562 p., 5/5

  • Mrs Palfrey, hôtel Claremont

    Veuve, ne pouvant plus assumer l'entretien de sa maison, Mme Palfrey choisit de s'installer dans un hôtel qui sert de résidence à un petit groupe de personnes âgées. Dans ce petit monde où la lecture des menus et des conversations rythme le temps qui passe, de toutes petites choses éclairent ou assombrissent le quotidien.

    J'amorce avec ce très beau roman reçu dans le cadre du London Swapma découverte d'une merveilleuse romancière anglaise. Elizabeth Taylor, puisque c'est d'elle dont il est question a une plume superbe qui parvient avec finesse, tendresse, cruauté et drôlerie, à dresser le portrait de personnes âgées et de leurs relations avec le monde qui les entoure.

    Dieu sait qu'il est hostile ce monde: une jeunesse dont les us et coutumes sont incompréhensibles, des familles dont la compassion et les bons sentiments sont insupportables, de vieux os qui trahissent chaque jour un peu plus leurs propriétaires, le spectres des hospices et de la perte de toute indépendance qui se profile à l'horizon. Et pourtant, l'espoir toujours, la volonté de faire face et de prendre le meilleur de ce qui reste. A travers les yeux de Mrs Palfrey et de quelques uns des autres pensionnaires on prend la mesure de la cruauté de cet âge de la vie, de la solitude et de ce besoin viscéral d'un peu d'amour et d'attention.

     Il n'y a pourtant rien de larmoyant ou de pitoyable dans les aventures de cette bande de retraités. Bien au contraire, tous portent sur leurs copensionnaires et leur vie un regard acéré et parfois cynique réjouissant. Ils épinglent leurs petits travers, trépignent de pouvoir faire enrager les autres, se réjouissent un peu honteux de leurs petits malheurs, tentent de cacher ce dont ils ont honte. Mrs Palfrey est un personnage adorable: digne vieille damee anglaise, terrifiée par l'horrible Mrs Arbuthnot et pourtant capable de faire face à de folles aventures et à l'amitié qui se noue entre elle et Ludo, un jeune écrivain désargenté. C'est une jolie histoire qui se noue entre eux et apporte du sel à l'existence de Mrs Palfrey: elle se découvre capable de mentir, de faire le mur, d'affronter le regard des vieilles dames comme il faut en allant boire un doigt de sherry avec la vieille dame de mauvaise vie du groupe, de faire tourner en bourrique un petit-fils avec lequel les liens se sont distendus. Ludo lui, se retrouve embringué dans une drôle d'amitié, alors qu'il ne voyait là que l'occasion d'amasser de la matière pour son roman. Ensemble, ils vont faire un bout de chemin qui va leur donner de la force. Pour l'une celle de faire face aux derniers jours de sa vie, pour l'autre, de grandir un petit peu plus. Au-delà de l'amitié de Ludo et Mrs Palfrey, tout un ensemble de petites histoires drôles ou tragiques émaillent le récit et rendent le petit monde de l'hôtel Claremont follement vivant tout en nous parlant de ce que la société occidentale fait de ces personnes âgées devenues encombrantes.

    Une très belle lecture donc, pour laquelle je remercie plutôt deux fois qu'une Chimère!

    Figurez-vous qu'il y a un film! J'ai trouvé la bande annonce! J'adorerais le voir!

     

    J'ai aussi beaucoup pensé à cette magnifique chanson de Jacques Brel, Les vieux.


    Découvrez Jacques Brel!

    L'avis de Dominique.

    Elizabeth Taylor, Mrs Palfrey, hôtel Claremont, Rivage poche, 1992, 213 p., 5/5

  • Le stradivarius caché

     

    En passant devant ce roman, mon oeil a été attiré par son titre, puis par le nom de son auteur qui me disait furieusement quelque chose. Et pour cause, puisque John Meade Falkner n'est autre que l'auteur du merveilleux Moonfleet que j'ai usé jusqu'à ce qu'il tombe en morceau quand j'étais adolescente (et même plus tard, que voulez-vous, je suis fidèle à mes premières amours): des contrebandiers, des aventures, des amours contrariées, de l'histoire, pensez donc! Tout ceci pour expliquer pourquoi diable je me suis jetée dessus sans retenue aucune et l'ai dévoré le temps de quelques trajets de métro manquant à plusieurs reprise de rater ma station, comme le veut la tradition de la LCA parisienne plongée dans un bon bouquin.

    Mais qu'est-ce que ça raconte tout ça allez-vous me demander sans doute et avec raison. Allons-y donc pour un résumé de l'intrigue: au cours de ses études à Oxford, le jeune lord Maltravers, musicien accompli, commence à entendre des bruits étranges et à voir un fantôme dès lors qu'avec son ami, il joue l'Aeropagita, pièce italienne du 18e siècle. Quelques temps plus tard, le spectre, un gentilhomme anglais, le mène vers la cachette d'un magnifique instrument: un merveilleux stradivarius. Mais cette découverte, loin d'être anodine, va le mener à sa perte.

     Autant le dire tout de suite, Le stradivarius caché est un roman furieusement de son temps, et pourtant abominablement passionnant. Les deux ne sont pas antinomiques, loin de là! Falkner trousse à merveille son histoire de fantôme, faisant monter l'angoisse et le suspense à mesure que l'étrange s'instille dans la vie de Maltravers. Peu de choses au départ: un fauteuil en rotin qui craque, la sensation d'une présence, une brume. Et puis, petit à petit, le roman bascule avec la découverte du Stradivarius. Pourtant, le fantastique n'est pas l'aspect principal du récit même s'il y tient une place importante, un violon maléfique n'étant pas après tout la base d'une banale histoire d'aventure. Ce n'est pas tant le fantôme et le violon qui sont au centre que la lente déchéance et la folie qui sont au bout de la route du héros et la manière dont son entourage a perçu cette histoire. Le narrateur est d'ailleurs la propre soeur de John Maltravers, Sophia, qui raconte à son neveu, héritier du titre, les mystérieuses circonstances dans lesquelles son père et sa mère sont morts. Son discours, qui ne rejette pas les phénomènes inexplicables dont elle a été témoin tout en les condamnant avec toute la force de la foi chrétienne qui est la sienne est contrebalancer par celui du deuxième tuteur du jeune lord, l'ami intime de Maltravers, lequel au contraire, malgré tout ce qu'il a vu et malgré les discours tenus au cours de sa jeunesse, tente de trouver une explication rationnelle à tout cela. Le tout donne un récit dont les rebondissements s'enchaînent sans temps morts malgré le style un peu "passé" de l'auteur et des réflexions sommes toutes très marquées par le christianisme et sa morale. Il est tout de même question au fond de la tentation et des risques qu'il y a à y céder et à vivre hors des chemins tracés par la tradition et la foi. Ceci étant dit, rien de cela ne gêne la lecture et c'est au final un roman court mais passionnant qui mérite d'être connu et qui donne une furieuse envie d'écouter cette Aréopagita.

     L'article de Mazel.

    John Meade Falkner, Le stradivarius caché, Rivages poche, 1995, 381 p. 3.5/5

  • Mais où est donc passée la Chiffonnette Chiffon?

    Ce matin jai emmené mes (fausses) converses faire le travail buissonnier. DSCN2070.JPG

     

     

     

     

     

     

    Elles et moi avont papoté bruyères avec un charmant monsieur, contemplé les jonquilles

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    et les reflets dans l'eau

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    avant de faire connaissance avec miss Charity et de hanter les salles obscures.

     

     

     

     

     

     

     

     

    Demain je pars faire un tour au pays des scones, des autobus rouges, des romancière et des sexy men. Si je croise Colin ou Daniel, je les ramène dans mon sac à dos en même temps que le fudget et autres gourmandises!

    Reprise des activités et tout plein d'articles à mon retour!