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Chiff' - Page 65

  • Croisière Cosmos

    Un vaisseau spatial terrien parcourt la galaxie. Son but: découvrir, étudier et classifier chaque espèce extraterrestre existante. Mais un beau jour, la mission tourne à la catastrophe: l'ensemble de l'équipage disparaît. Seul reste un robot d'entretien déboussolé et un nombre certain de cobayes qui parviennent à se libérer. Commence alors pour eux une sacrée aventure racontée par l'un d'entre eux qui dresse une sorte de journal de bord.

    Crétin. C'est le premier qualificatif qui me vient à l'esprit. Crétin et donc absolument hilarant et beaucoup plus profond que ça n'en a l'air. Olivier Texier a l'art et la manière de dérouler sans temps mort et avec pléthore de gags les aventures d'une bande d'extra-terrestres follement humains: souvent bêtes, parfois méchants, de temps à autres gentils en tout cas attachants. Tout ce petit monde se retrouve contraint et forcé de cohabiter dans un gigantesque vaisseau spatial qu'il ne s'agirait pas de faire exploser. Et si en plus quelqu'un pouvait trouver le mode d'emploi, on pourrait rentrer à la maison, merci. Quand au robot d'entretien, de quiproquos en quiproquos, il finit par être vénéré comme le libérateur qu'il n'a jamais été puisque lui, tout ce qui l'intéresse, c'est de terminer le ménage et de remettre les aliens dans leur cage des fois que les humains reviennent.

    De chapitres en chapitre, on voit la petite communauté s'organiser, relever défis sur défis., appuyer sur tous les boutons et organiser un concours pour découvrir qui est capable de piloter ce fichu vaisseau spatial. Cohabitation, découverte de l'autre, conflits, mal du pays, attaques de pirates de l'espace donnent une intrigue qui prend le lecteur et l'amènent beaucoup, beaucoup trop vite à la fin de l'histoire. On aurait voulu que ça dure plus longtemps. Je délire peut-être, mais j'ai trouvé que sous l'humour un brin potache, il y avait quelques idées intéressantes sur l'humain, la tendance à la conquête et à considérer ce qui est différent comme un objet d'étude sans sensations et sans âme.

    J'ai adoré les têtes impayables de extra-terrestres, mélange improbable d'hallucination et de clichés de science-fictions: tentacules, yeux globuleux et autres attributs traditionnels sont servis par un dessin en noir et blanc qui peut paraître simpliste les premières pages mais qui est finalement parfait et agréable. C'est un space opera en image extrêmement bien mené et drôle.

    Bref, une fort sympathique découverte!

     Texier, Olivier, Croisière Cosmos, Delcourt, 2008, 4/5

  • Indomptable

    Après un siècle d’hibernation dans une capsule de survie, le capitaine John Geary est récupéré par un cuirassé de l’Alliance. La guerre entre l’Alliance et le Syndic dont la bataille qui a vu la perte de son vaisseau a été le premier acte dure toujours.  Mais la dernière attaque de l’Alliance, qui devait être décisive a échoué et sa flotte est menacée d’une destruction totale alors que l’Intrépide, le vaisseau amiral, cache ce qui pourrait se révéler être un atout majeur dans la guerre. Pour les équipages, Geary, qui a acquis le statut de légende, est le seul pouvant les sauver, eux et l’Alliance. Malgré les réticences et l’écoeurement que lui inspire le culte qu’on lui rend, il va prendre la tête de la flotte et tenter de la ramener à bon port.
     
    Vaisseaux spatiaux, combats à mort, missiles capables de détruire des planètes, stratégie et complots, tous les ingrédients du space opéra militaire sont réunis. Ceux qui détestent la SF et/ou le space opéra militaire peuvent donc d’ors et déjà tourner les talons, sauf s’ils sont pris d’une curiosité dévorante pour ce que je vais bien pouvoir raconter dans ce qui suit.
    Sans être inoubliable, Indomptable est un roman prenant, agréable à lire et plus profond qu’il n’en a l’air au premier abord grâce à son personnage principal. Au lieu d’un capitaine charismatique, courageux et téméraire, Jack Campbell campe un homme déboussolé qui vient de se réveiller dans un monde dont les coutumes lui sont étrangères. La flotte qu’il connaissait, les rites et les règlements auxquels il obéissait ne sont plus. La manière dont il se voit, un capitaine comme un autre ayant accompli son devoir se heurte à l’icône que son nom est devenu et aux comportements dangereux que cette icône conforte et justifie. Pourtant, c’est à lui de sauver la flotte. Tout au long du roman vont alterner scènes de bataille, conflits personnels, complots auxquels est confronté le héros, tout le monde n’étant pas ravis de son retour, introspection. On termine ce premier tome avec l’envie de connaître la suite et l’évolution de Black Jack Geary et de ses équipages.
    Une bonne pioche donc !

    Campbell, Jack, Indomptable, L'Atalante, 2008, 4/5
     

  • Drôle de temps pour un mariage

     

    Dolly se marie. Elle est non seulement morte de peur mais doit en plus subir une famille des plus excentriques et un prétendant, Joseph,  qui n’a jamais osé se déclarer. Par cette froide journée de mars, la maisonnée va vivre de drôles de moments.
     
    Une journée, une courte journée pour un roman. Le parti pris de l’auteur, Julia Strachey donne un cachet supplémentaire à la petite histoire qu’elle raconte avec une ironie follement anglaise. Il faut dire que la matière est riche avec cette bourgeoisie de l’entre-deux-guerres dont tous les traits sont soulignés. Il y a l’insupportable veuve excentrique et tête en l’air, les jeunes filles faussement rebelles et indépendantes, les jeunes gens bons teints, les vieilles dames indignes, les domestiques, les conventions à respecter et sous le vernis, les piques, les mesquineries, les secrets soigneusement dissimulés. Tout ce qui fait ces délicieux romans anglais. Comme d’habitude, sous l’humour, perce la souffrance, le manque affectif, et le côté obscur de cette société si policée et avide de respectabilité. C’est après tout le récit d’un amour manqué entre Dolly et Joseph, et de leur incapacité à prendre la décision qui aurait pu changer leur vie. On les voit partir l’une vers un mariage qui s’annonce en demi-teintes sinon malheureux, et l’autre vers ses chères études à défaut d’avoir conquis son graal.  Bien que je l’ai trouvé un peu rapide, j’ai pris un grand plaisir à cette lecture et aux gags qui se succèdent sans temps mort, à l’amertume qui affleure laissant le lecteur un peu essoufflé mais enchanté de cette virée dans la campagne anglaise.
     
    L’avis de Manu, de Cathulu, Plaisirsacultiver,…

    Strachey, Julia, Drôle de temps pour un mariage, La petite Vermillon, 2009, 3.5/5

  • Yanvalou pour Charlie

     

    Jeune avocat d’affaire dévoré d’ambition, Mathurin D. Saint-Fort a voulu oublier ses origines pour se tenir désormais du meilleur côté possible de l’existence. Jusqu’au jour où fait irruption dans sa vie Charlie, un adolescent en cavale après une tentative de braquage, qui vient demander son aide au nom des attachements à leur même village natal. Débusqué, contraint de renouer avec le dehors, avec la douleur du souvenir et la misère d’autrui, l’élégant Mathurin D. Saint-Fort embarque, malgré lui, pour une aventure solidaire qui lui fait re-traverser, en compagnie de Charlie et de quelques autres gamins affolées, les cercles de la pauvreté, de la délinquance, de la révolte ou de la haine envers tout ce que lui-même incarne »
     
    Première rencontre pour moi avec Lyonel Trouillot, écrivain haïtien engagé qui porte un regard sans concession sur Haïti aujourd’hui mais loin des clichés que nous pouvons avoir en tête sur cette île.
     
    « Sais-tu ce que signifie le mot yanvalou ? Je te salue, ô terre. La terre n’a pas de mémoire. Le sol sec et pierreux ne garde pas souvenir de la bonne terre arable qui descend vers la mer. Seuls les hommes se souviennent. Où qu’ils aillent, où qu’ils restent, peut-être leur suffit-il de saluer la terre pour que leur passage soit justifié. »
     
    C’est pour moi la phrase qui résume le mieux le roman et son thème : celui de l’identité et des origines. La question que pose le personnage de Mathurin est simple : peut-on oublier, effacer ses origines ? Et à quel prix faut-il payer l’oubli ? Lui était prêt à tout pour oublier d’où il venait, la pauvreté, le village au bord de la mer, la faiblesse de son père. Même à quitter Anne, son maie d’enfance, son amante. Mais on ne peut jamais vraiment disparaître, c’est ce qu’il comprend quand Charlie fait irruption dans sa vie, porteur de tout le désespoir d’enfants perdus par la misère et qui persistent malgré tout à espérer une vie meilleure. Mathruin le cynique va  laisser Charlie entrer dans sa vie et tout bouleverser.
    Haïti, on la découvre à travers les voix de quatre personnages : Mathurin, Charlie, Anne et Nathanael. Chacun parle du monde qu’il connaît : celui des riches, celui de la campagne, celui de la rue, celui de la dissidence politique. Leur point commun : la quête de leur étoile, celle qui va leur apporter le bonheur. Les voix se croisent comme les destins en une musique maîtrisée pleinement mais un peu trop lente pour moi. Certes la plume est agréable, la découverte intéressante, mais j’ai eu le sentiment, tout au long de ma lecture de rester en surface, et de deviner bien longtemps avant qu’elle advienne, la fin de l’histoire. On est entre le polar, le roman Yaninitiatique (celui d'un adulte et celui d'un adolescent se mêlant), le tableau social. Un mélange qui n'a pas réellement pris sur moi. Reste des personnages attachants, et un tableau d’Haïti. intéressant.

    Dda a beaucoup, beaucoup aimé. On en parle aussi sur les Chroniques de la rentrée littéraire, sur le blog de la librairie Mollat,...

    Trouillot, Lyonel, Yanvalou pour Charlie, Actes Sud, 2009, 3.5/5
     

  • La petite dame en son jardin de Bruges

     

    Une nuit, Charles Bertin a rêvé de sa grand-mère, morte depuis un demi-siècle. Au matin, son rêve lui apparaît comme le signe incontestable qu'il est temps pour lui de rendre une visite à la petite dame en son jardin de Bruges. Au fil du voyage, il se souvient de cette vieille dame, des longues vacances d'été dans la maison de Bruges, du jardin et de l'amour qui les a lié.

     Il y a parfois des textes qui touchent au coeur et qui laissent rêveur une fois la dernière page tournée. La petite dame en son jardin de Bruges est de ceux-là. Ses pages débordent d'amour, de tendresse, de souvenirs au teintes toujours vives, et de mélancolie. C'est un texte bouleversant.

    Charles Bertin trace à travers ses souvenirs le portrait d'une femme dont la vie s'est déroulée entre 19e et 20e siècle, pauvreté et petite bourgeoisie, entre une famille qu'elle a fuit et celle qu'elle s'est créée. C'est le regard d'un homme vieillissant sur l'enfant qu'il fut et une grand-mère qu'il a follement aimé et qu'il a de plus en plus aimé à mesure qu'il la comprenait mieux en prenant de l'âge.

    " Mais j'ai mis des années à comprendre d'où elle tirait cette extraordinaire force de catactère qui la séparait du commun et faisait d'elle un être dont la vitalité et l'invention paraissaient inépuisables. Je crois qu'elle en devait la plus grande part à cette grâce particulière dont le ciel l'avait auréolée à la naissance: celle de prendre, au sens littéral des termes, ses désirs pour des réalités. Cette orientation de sa nature, qui l'inclinait à la manière des enfants à accorder la prééminence à l'imaginaire sur le réel et la portait la plupart du temps à adopter comme ligne de conduite le contre-pied du convenu, était une source de constantes surprises pour ses proches." Il y a bien sûr dans ces pages une réflexion sur le souvenir, sur le fait de quitter l'enfance, sur la transmission. Mais c'est surtout Thérèse-Augustine qui est au centre de tout: une vieille dame à l'humour dévastateur, à la volonté sans faille, à la fantaisie capable d'illuminer la vie d'un petit garçon. Une vieille dame qui veut que son petit-fils ait une vie exceptionnelle et qui est prête à tout pour cela: lui emprunter en douce ses livres de classes et ses romans, l'emmener dans des promenades historiques sans fin dans Bruges,... Une manière pour elle de prendre sa revanche sur une vie qui l'a contrainte à quitter l'école à 12 ans, à se battre pour quitter la ferme de ses parents, à se faire épouser pour changer de vie. Petit à petit, on voit un lien d'amour exceptionnel se tisser entre la grand-mère et l'enfant, un lien qui se construit sur un passé partagé, un présent partagé dans la tendresse et l'humour. Les souvenirs qu'évoque Charles Bertin sont les fils de ce lien: "C'est à la lumière de souvenirs comme celui-là que je comprends aujourd'hui pourquoi je l'ai tant aimée."

    Ces souvenirs sont égrenés les uns après les autres, souvent drôles, parfois douloureux. Presque toujours magiques. Charles Bertin parvient à faire vivre la maison de Bruges, son jardin, la plage du Coq, la ville et ses marchés, le cinéma. Par moment, ce qu'il racontait me ramenait à des épisodes vécus, des sensations à demi oubliées, des petits bonheurs.

    Il y a de plus de très belles pages sur la lecture dans La petite dame en sont jardin de Bruges: l'amour des livres est encore une chose que partagent la vieille dame et l'enfant. L'une a commencé parce que les livres sont sa revanche sur une vie qui l'a forcée à endosser le rôle d'épouse et de mère, l'autre parce qu'il s'évade.

    "Ainsi qu'on pouvait l'espérer, le temps fit son oeuvre dans l'esprit de ma grand-mère. Au fil des mois, la pratique des livres dans laquelle elle n'avait vu à l'origine que le symbole de sa libération et l'instrument d'une revanche sur le destin, finit par se muer en passion toute pure. Elle connut la surprise d'accueillir en elle, avec la violence des tentations majeures, le besoin de dévorer le monde des autres pour en faire sa substance. Mais comme elle ne disposait pas des instruments de mesure qu'une éducation élémentaire aurait pu lui apporter, elle ne parvint jamais à faire la distinction entre le meilleur et le pire: sa disponibilité permanente à l'égard de tous les dépaysmenents de l'imaginaire l'amenait à absorber avec la même avidité Balzac et Paul Bourget, Zola et Paul Prévost, Maupassant et Henry Bordeaux. Chaque lecture lui ouvrait les portes d'un ailleurs fabuleux, étranger aux mesquineries de la vie quotidienne, où tout était signe et couleur, innocence et plaisir. Il était inévitable qu'en me voyant plongé à toute heure du jour dans ces récits d'aventure qui avaient assez d'empire sur mon esprit pour que j'en oublie l'heure des repas, elle en arrivât à s'intéresse elle-même à mes lectures. C'était d'ailleurs tout à fait dans la ligne du plan qu'elle avait conçu à mon sujet. Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'est qu'elle se prendrait au jeu, et qu'après avoir dévoré en deux ou trois semaines tout le lot de livres que j'avais apportés dans mes bagages, elle me presserait de l'accompagner à la bibliothèque pour l'aider à en choisir d'autre.

    Pour finir prisonniers du plaisir de lire et de partager leurs lectures. On "voit" Charles Bertin sourire quand il évoque le moment où il s'est aperçu que sa grand-mère lui empruntait la nuit ses romans d'aventure: "Je découvris un jour qu'elle avait pris l'habitude de lire à mon insu les mêmes romans que moi. Un matin, je m'aperçus que le volume abandonné la veille sur mon lit avait disparu dans mon sommeil. Je me disposais à accuser le fantôme de la maison, lorsque j'eus l'idée de confier à ma grand-mère l'étonnement que je ressentais en découvrant sur la table du salon le Jack London ou le Mark Twain sur lequel je m'étais endormi la nuit précédente; elle m'avoua sans se troubler qu'il n'y avait sous notre toit d'autre fantôme qu'elle-même."

     Charles Bertin offre un texte plein de poésie et d'une force évocatrice qui ramène à nos propres souvenirs. C'est un petit bijou, une bulle de plaisir que je vais conserver précieusement et offrir, parce que le bonheur, ça se partage!

     Lily, Malice en parlent.

    Bertin, Charles, La petite dame en son jardin de Bruges, Actes Sud, 1996, 5/5