Il était une fois David, un garçon de 12 ans qui vient de perdre sa mère et qui voit son monde basculer une fois de plus, une fois de trop quand son père se remarie avec Rose et qu'arrive dans cette nouvelle famille le petit Georgie. Mais David n'est pas n'importe quel garçon: il entend les livres murmurer et sa mère l'appeler, il voit un étrange bonhomme biscornu apparaître et disparaître. Et une nuit, alors qu'il vient de trouver un passage caché au fond du jardin, il découvre un drôle de monde, peuplé de personnages de contes et de monstres. Seul sésame pour en sortir, Le livre des choses perdues, conservé par le vieux souverain de cet étrange royaume. La quête de David va être longue.
Parfois, on tombe sur une de ces petites perles qui non contentes d'être follement enthousiasmante sur le principe, le sont aussi sur le fond. On aimerait d'ailleurs que ça arrive plus souvent, mais ceci est, comme dirait l'autre, une autre histoire. Revenons à notre Livre des choses perdues. L'univers créé par John Connolly est une jolie et terrifiante métaphore du chemin que tout être humain doit affronter en devenant adulte. David est encore un enfant quand sa vie bascule et qu'il doit affronter non seulement la maladie de sa mère, mais aussi le deuil, la culpabilité de ne pas être parvenu à aider sa mère à guérir, la colère de voir son père se remarier, la rancoeur et la jalousie quand arrive le petit Georgie. Les réactions et les souffrances de David sont décrites avec finesse et a propos, sans exagération ni misérabilisme.
C'est petit à petit que les choses dérapent. D'abord, il y a ces livres qui murmurent, puis la voix de sa mère qu'il entend, puis cette créature qui rôde dans la maison... Un autre monde se laisse entrevoir, dans lequel David va se retrouvé piégé. Un monde dangereux et cruel dans lequel la méfiance est encore le meilleur moyen de survivre. De fil en aiguille, David va faire la connaissance d'un garde-chasse, de Roland le chevalier en quête, croiser la route des Sire-Loups, plus tout à fait animaux et pas franchement humains, être piégé par une chasseresse cruelle, être mis dans le secret des sept nains et vivre pléthore d'aventures. Chaque rencontre, chaque mésaventure est une épreuve qui fait grandir l'enfant. Il apprend petit à petit à maîtriser sa colère, à accepter la différence, le changement, la mort, il apprend la méfiance, mais aussi la confiance... Jusqu'au choix final qui va décider de son avenir. Céder à la rancoeur ou résister, deux chemins de vie différents symbolisés par le vieux roi et David. Le personnage du Bonhomme Biscornu, connu sous des noms divers est assez fascinant à sa manière. C'est une sorte de mauvaise conscience, un être qui joue sur les désirs secrets et inavouables et est, de ce fait, effrayant.
Tout cela sous-tend un récit passionnant où l'on retrouve au fil des pages les figures et décors des contes anciens. Pas les versions Disney où tout se finit bien, mais les cruels, les terrifiants, où les parents abandonnent les enfants, tentent de les tuer, où les sorcières mangent de la chaire humaine, où les maléfices provoquent les morts les plus atroces. Et puis il y a aussi les matérialisations des terreurs de David, la bête qui dévore tout sur son passage, les Sire-Loups... On frémit pour David et ses alliés. Mais l'humour n'est pas absent pour autant! Croiser la route de sept nains marxistes jusqu'au trognon et opprimés par une Blanche-Neige ébouriffante laisse un sacré souvenir et le sourire! Bref, John Connolly parvient à créer une ambiance et un univers très réussis. Le récit initiatique gagne à sa confrontation aux contes et rappelle par la même occasion le rôle initial des contes populaires et des versions des frères Grimm, de Perrault et de leurs contemporains et successeurs: métaphoriser les peurs et les dangers encourus par les enfants et les adultes. J'ai du coup bien envie de reprendre la lecture de Bettelheim et de relire ces contes que j'avais vraiment découvert à l'adolescence (Seigneur, La belle au bois dormant, je n'en ai pas dormi pendant une semaine!).
John Connolly n'est pas le premier à avoir raconté les aventure d'un enfant ou d'un adulte perdu dans un autre monde, pas plus qu'il est le premier à user du principe du conte détourné. On pense par exemple à Narnia, pourquoi pas à Pierre Bottero plus près de nous, à Orson Scott Card pour les adultes, et j'en oublie. Mais ce n'est pas parce que le principe est connu qu'il est impossible d'en faire un roman enthousiasmant et c'est que prouve John Connolly avec brio et originalité. Dommage cependant que la chute soit un peu facile et fasse retomber dans un univers cartésien... Mais bon, même Alice est rentrée à la maison, et Peter Pan n'est pas totalement parvenu à ses fins non plus... A moins que je confonde version Disney et textes originaux!
L'avis de Leiloona, celui de Fashion, de Cathulu, de Karine:), Cuné, Malice,...
Connolly, John, Le livre des choses perdues, L'Archipel, 2009, 4.5/5