Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Chiff' - Page 66

  • Le ciel de Bay City

     

    Rares sont mes échecs de lecture dont je parle dans ce blog. Tout simplement parce qu’en général je n’ai pas envie d’en parler. Mais Le ciel de Bay City fait partie de ces rares romans qui m’ont tellement agacée que je ne les ai non seulement pas terminés, mais qui m’ont aussi laissée en colère.
    Même en frôlant l’overdose de récits sur la Shoah et ses conséquences sur les victimes et descendants de victimes, je n’avais pas franchement d’a priori en commençant ce roman. Je manquais d’un peu de motivation, mais rien d’insurmontable. Je m’attendais en fait à un texte fort, empreint de noirceur. Le hurlement de souffrance d’une jeune femme portant sur ses épaules le destin d’une famille en grande partie décimée dans les camps de concentration. C’est exactement ça : Amy raconte les quatre jours qui ont précédé l’incendie de la maison familiale, et la mort de ce qui lui restait de famille, elle raconte l’enfance entre une mère qui ne l’aime pas et une tante qui en fait une sainte, la difficulté de se construire, l’impossibilité de sortir du désespoir malgré l’ivresse et l’amour. C’est un long monologue, répétitif, glauque, où il est difficile de faire la part du vrai, du fantasmé, des hallucinations.   Je l’ai trouvé insupportable. Il est vrai que le style de l’auteur est étonnant, maîtrisé, mais il n’a pas fonctionné sur moi et m’a mené à l’écoeurement. Je ne pouvais plus supporter cette image du ciel dont les couleurs défilent et dont le vide devient une sorte de symbole du vide intérieur de la narratrice et de l’impasse dans laquelle elle se trouve. J’ai malgré tout parcouru les dernières pages : l’espoir renaît dans une certaine mesure sans que le mal ait disparu pour autant.
     
    L’avis de Venise, Martine Laval, Papillon, Lucie Renaud a aimé et donne pléthore de liens intéressants, Marielle en fait une analyse intéressante.

    Mavrikakis, Catherine, Le ciel de Bay City, Sabine Weispiser, 2009, 2/5

  • Eifelheim

     

    1348 en Forêt-Noire, un astronef s'écrase près du petit village d'Oberhochwald. Des créatures étranges survivent au crash, mettant à l'épreuve les habitants du village et leur pasteur, Dietrich, homme cultivé qui a étudié les sciences et la philosophie.

    1349, le village est rayé de la carte. D'histoires en légendes, il devient Eifelheim, le lieu maudit où le diable s'est établi.

    Aujourd'hui, Tom Schwoering, historien cliologue cherche à comprendre pourquoi Eifelheim n'a jamais repris vie. Ses recherches vont croiser de bien étrange manière celles de sa compagne, Sharon Nagy, cosmologue réputée.

    Soyez d'ors et déjà averti, je vais ici hurler toute ma reconnaissance à Michael Flynn pour m'avoir sortie du marasme dépressif dans lequel m'avait plongé la rentrée littéraire. Tombant de Charybde en Scylla, j'avais ni plus ni  moins l'impression que plus jamais je ne lirais quoi que ce soit susceptible de déclencher chez moi un fol enthousiasme. Erreur de ma part, bien évidemment. Il est vrai, que j'ai l'enthousiasme facile.

    Ceci dit, dans ce cas précis, mon enthousiasme est à mon humble avis, tout à fait justifié. Eifelheim est non seulement un roman original, mais en plus superbement construit et passionnant. Rien de moins.

    Original, il l'est par l'utilisation que fait l'auteur du Moyen-Âge. Habituellement, celui-ci sert d'ingrédient assaissonné à toutes les sauces par la fantasy médiévale. Il est beaucoup plus rarement utilisé par la science-fiction, et encore plus rarement par la hard science-fiction. Or, Michael Flynn parvient de manière étonnante à mélanger le 14e siècle et les technologies de voyage interstellaire tout en offrant au passage de très belles pages sur le choc des cultures, l'acceptation de l'autre, et la vie intellectuelle du Moyen-Âge.

    C'est un roman infiniment intelligent, ne serait-ce que par le tableau qui est brossé du Moyen-Âge. On sent que Michael Flynn s'est documenté sérieusement. Jamais il ne fait de cette période le pseudo-âge de l'obscurantisme qui est un des clichés les plus répandus au sujet de cette période. Non, les hommes du 14e siècles n'étaient pas des barbares incultes et violents. Non, ils n'étaient pas des fanatiques enclins à pousser au bucher tout ce qui n'avait pas l'heur de leur ressembler. Cela, le lecteur le découvre à travers la chronique de la vie quotidienne d'un petit village de la Forêt-Noire, chronique qui aborde bien des aspects de la vie de l'époque: culture des terres, justice, vie religieuse et spirituelle, commerce, loisirs et fêtes, rôle du seigneur des terres... On est littéralement immergé dans la vie de cette communauté, attachante par bien des aspects et on frémit pour eux quand la peste d'invite à la fête. L'identification n'est guère difficile, ces hommes et ces femmes ressemblent par bien des aspects à ceux que nous pouvons croiser tous les jours, avec leur part d'ombre, leur bêtise pour certains, leurs peurs, leurs bonheurs.

    Par contre, le fait qu'ils fonctionnent selon des schémas mentaux et sociaux qui nous sont presque totalement étrangers est aisément perceptible à travers la rencontre des oberhochwaldois et des extra-terrestres qui seront vite appelés Krenkens. Je parlerais un peu plus tard des tenants et aboutissants de cette rencontre. Elle est en tout cas le point de départ d'une confrontation des points de vue entre les communautés, et surtout, entre le pasteur Dietrich, homme cultivé et scientifique, et les Krenkens. Ce sont deux visions de la nature et de ses mécanismes qui s'opposent, reposant sur des conceptions extrêment différentes du monde, rationnalité scientifique d'un côté, rationnalité scientifico-spirituelle de l'autre, se rejoignant parfois, mais se heurtant souvent à une incompréhension profonde. De mêmes mots peuvent recouvrir des significations et des concepts extrêmement différents. Je rejoins Nebalsur ce point: par moment, les Krenkens nous sont plus compréhensibles que les humains. Preuve en est que bien des siècles plus tard, les humains ont les clés nécessaires (pour certains du moins) pour comprendre ce que les Krenkens ont laissé derrière eux. Eifelheim est un roman fourmillant, qui plonge en profondeur dans les arcanes de la pensée médiévale et de la science qui en découle. C'est passionnant de croiser la route de Buridan, d'Occam, et de voir confronter leurs idées à la conception du monde des Krenkens.

    Le roman est rythmé par les oppositions: opposition entre Oberhochwald et les Krenkens qui s'y sont échoués, opposition entre Tom l'historien et sa compagne physicienne, opposition entre 1348 et nos jours, oppositions dans l'Eglise aussi, opposition entre les religieux et les scientifiques. Ce jeu constant permet d'introduire des éléments de réflexion sur la manière dont nous appréhendons le monde qui nous entoure et l'Autre. J'ai pensé par moment à la controverse de Valladolid qui aura lieu deux siècles plus tard, avec ce questionnement sur l'âme qui obsède Dietrich: lui accepte que ses étranges visiteurs aient une âme, et bien que différents des humains, puissent et doivent être sauvés. D'autres voient en eux des démons. La facilité n'est donc pas au rendez-vous. Les extra-terrestres ne sont pas acceptés si facilement, voire pas acceptés. du tout dans certains cas.  Cela donne à la rencontre un aspect réaliste assez étonnant. Il y a sans doute quelques facilités dans l'aspect des krenkens, dans les technologies utilisées. Mais on voit petit à petit les relations entre les humains et les extra-terrestres évoluer, du rejet et de la peur à l'amitié et la connaissance, ou stagner au stade de la terreur. Aucun sentiment de superficialité ou d'irréalité: les liens se forgent au fil des épreuves partagées, des joies aussi. Et les tensions persistent. Eifelheim, raconte aussi de quelle manière des communautés très différentes peuvent apprendre à vivre ensemble, et combien les liens sont fragiles.

     Seul bémol pour moi, les passages philosophies et scientifiques sont parfois un brin déroutant si on n'est pas en forme. Et la vie de Tom et Sharon bien moins intéressante que ce qu'il se passe en Forêt-Noire, même si j'ai bien compris l'intérêt de ces passages contemporains dans l'intrigue: ouverture sur le future de l'humanité, réflexion sur l'histoire et la manière dont les hommes font l'histoire, découverte du passé.

    En dehors de ça, j'ai passé quelques jours de pur bonheur en Allemagne médiévale. Par pitié, ne vous arrêtez donc pas à la couverture absolument hideuse (encore que finalement assez bien trouvée)! Le contenu vaut la peine de passer outre!

    On en parle sur Sci-Fi Universe, sur le Cafard Cosmique, sur ActuSF, chez Manu qui n'a pas trop aimé,  d'Angua, chez Nebal, chez SBM.

    Flynn, Michael, Eifelheim, Ed. Robert Laffont, 2008, 5/5

  • Démon

     

    Pierre Rothko, grand reporter pour un journal parisien est grièvement blessé en Tchétchénie. Sur son lit d’hôpital, il commence à raconter ce qui l’a mené dans ce pays en guerre : l’histoire de sa famille paternelle, dévoilée par son père quelque jour avant son suicide.
     
    Démon est un roman épais. Tolstoïen selon des articles chinés au gré du web, porteur d’un souffle épique selon d’autre, important quoi qu’il en soit.
    Certes. En ce qui me concerne, je ne sais pas si c’est que je frôle l’overdose de récits concernant la Seconde guerre mondiale et son héritage, mais je me suis ennuyée. Pas au point d’interrompre ma lecture, mais j’ai refermé ce roman avec une pointe de soulagement, le sentiment du devoir accompli et la certitude qu’il n’intégrera pas ma bibliothèque personnelle ni mes souvenirs de lecture marquants.
    On retrouve dans une certaine mesure les thèmes et réflexions abordés par Fabrice Humbert dans L’origine de la violence, roman que je vais bien finir par chroniquer : secret de famille, Seconde guerre mondiale, Shoah, héritage familial, quête de soi, réflexion sur le mal et l’humain. Mais alors que Fabrice Humbert avait réussi à me passionner, Thierry Hesse m’a noyée dans les 464 pages de son roman. J’ai eu le sentiment de lire une leçon d’histoire du 20e siècle à travers des destins individuels, leçon rendue lourde par de nombreuses longueurs et un certain didactisme. A aucun moment les personnages « principaux » n’ont réussi à me toucher. Non pas que ce soit le but recherché par l ‘auteur je pense, mais je ne me suis tout simplement pas sentie concernée par leurs tourments.
    Ceci dit, il y a eu des moments de grâce : certaines pages sur les régimes autoritaires ou sur le mal sont passionnantes. Tout comme le regard porté sur la Tchétchénie et la guerre qui s’y déroule. Ou encore le rôle des femmes dans cette guerre. A travers ce conflit un certain nombre de constantes de l’histoire de l’humanité sont mises à jours. J’ai d’ailleurs particulièrement apprécié le personnage de Zeinap, la femme renard, au destin tragique. C’est la réflexion portée par le récit plus que le récit lui-même qui m’a intéressée en fait.
    Je pense que je suis passée à côté de ce roman, chose qui arrive.
     
     
    «Le «Juif», au-delà d'un destin historique, est aussi une idée, un nom universel pour désigner celui dont l'existence est nue, soumise à tout, soumise à pire.»

    Hesse, Thierry, Démon, Ed. de l'Olivier, 2009, 3/5

  • Seul en solo

    Le célibat, c'est sympa. Enfin parfois. Parce qu'il y a les soirs où on se couche seule, le traiteur chinois, les copains qui demande toujours si on s'est enfin casée, les parents aussi, les cinés et les vernissages sans intérêt, les histoires d'amour sans lendemain...

    Oxolaterre et Sophie Zuber racontent dans cette petite BD pleine de couleur et de peps le parcours d'une célibattante trentenaire. Un thème certes loin d'être original et qui revient périodiquement dans les Cosmo et autres revues féminies mais qui est traité là de manière fort sympathique: des personnages tout ronds, des couleurs vives, des pages qui croquent avec a-propos et humour le petit monde de cette demoiselle et son quotidien. On la suit dans les dîners de famille où elle est le nombre impaire, sur son canapé, dans ses crises de larme ou de nerfs, dans ses fous rires, chez les amis, avec les copains célibataires de toujours, bref, partout où peut mener la vie. On rit, on grince un peu des dents en se reconnaissant, célibataire ou non, dans certains gags, en tout cas, Sophie Zuber n'a pas hésité à introduire dans le monologue de sa petite héroïne une bonne dose d'humour et d'ironie.

    Alors bien sûr tout est bien qui fini bien dans la béatitude de la vie à deux, mais cette nouvelle aventure n'est pas sans dangers, comme le rappelle une dernière page plutôt hilarante qui montre qu'on oublie bien vite les déboires de la vie de célibataire!

    Une jolie découverte.

    Quelques bulles pour vous donner une idée!

     

  • Jan Karski

    Fichier:Jan Karski.jpg

     

    "A plusieurs reprises, la caméra s'approche du visage de Jan Karski. Sa bouche parle, on entend sa voix, mais ce sont ses yeux qui savent. Le témoin, est-ce celui qui parle?. C'est d'abord celui qui a vu. Les yeux exorbités de Jan Karski, en gros plan, dans Shoah, vous regardent à travers le temps. Ils ont vu, et maintenant, c'est vous qu'ils regardent."

     Jan Karski, ésistant polonais de la première heure pendant la Seconde guerre mondiale, courrier de l'Armée de l'Intérieure, témoin de l'extermination du peuple juif en Pologne. Yannick Haenel a choisit dans son nouveau roman de revenir sur la vie et le témoignage de cet homme exceptionnel. Encore qu'il est presque difficile de parler de roman: Haenel mélange les genres pour donner au final une oeuvre à la construction brillante, et au fonds passionnant.

    Parlons un peu de la construction: il ne d'agit à aucun moment de raconter la vie de Karski de manière romancée. On ne part pas du point A pour arriver à un point B. D'entrée de jeu, c'est le témoignage, la période spécifique de la guerre qui est au centre du propos. Le premier chapitre est basé sur le témoignage de Karski dans le film de Claude Lanzmann, Shoah. Haenel décrit ce témoignage, cite Karski, commente et réfléchit sur le sens de ce témoignage. On passe de l'image à l'écrit. Le deuxième chapitre, lui, se base sur le livre de Karski publié en 1944 (Story of a secret state), livre dans lequel il raconte son expérience de la résistante et tente une nouvelle fois de faire passer ce témoignage dont il a été chargé. C'est une sorte de résumé, mais un résumé commenté, qui recoupe par bien des points le contenu du premier chapitre et qui ressemblerait presque à un récit d'aventure palpitant et passionnant si ce n'était la froideur de la plume. Ce n'est que dans le troisième chapitre que Karski prend la parole. Ou plutôt, que l'écrivain s'empare du personnage historique pour lui donner une vois qui n'est plus celle de Shoah, et plus celle de Story of a secret state. C'est l'homme qui parle et qui raconte la difficulté d'être le témoin de l'inconcevable, la souffrance de ne pouvoir être entendu, la rage et le désespoir qui l'habitent pendant des années, et la vie qui revient petit à petit sans que l'oubli soit possible. Cette voix est intense, presque tragique, en tout cas, elle touche  profondément et laisse l'estomac noué.

    Trois chapitre dont le fonds est le même mais qui ne sont jamais redondants et qui interrogent tous, à leur manière, sur le statut du témoin, sur le moment où le messager devient témoin. Car c'est ce qui arrive à Karski: d'abord il est le messager de l'horreur. L'homme qui a visité deux fois le ghetto de Varsovie, qui a visité un camps. Celui que les dirigeants juifs polonais ont chargé d'un message pour les alliés. Puis, face à la surdité et l'incrédulité des alliés, il s'est petit à petit transformé en témoin, pour le devenir pleinement après la libération des camps. Or, ce statut de témoin, Karski va l'assumer, puis le rejeter, pour y revenir parce que l'oubli est impossible et qu'il était finalement le gardien de la mémoire, de la parole de ces hommes menés à la mort. Dans ce troisième chapitre, Haenel fait parler Karski de ce qu'il a vu, mais surtout de ce que ce message porté si longtemps a fait de lui, des réflexions que ce message et l'impossibilité de le faire entendre ont fait naître.

    C'est un chapitre qui peut prêter à la polémique sans doute. Il y a ce qui est avéré, ce que Karski a dit, et ce qu'on lui fait dire de la responsabilité des Alliés, de la responsabilité du monde, du Mal et de la rupture que représente la Shoah pour l'humanité. Jusuq'à quel point Karski a-t-il pu penser cela?

    Mais est-ce vraiment important de savoir dans quelle mesure le romancier a rendu avec fidélité la pensée de Karski? Ce n'est finalement pas son travail. Il ne fait pas oeuvre d'historien et ne prétend pas le faire sauf erreur de ma part. Il a fait de Karski un être de fiction porteur d'un message et d'une pensée. Haenel fait de la littérature et donne à entendre la rage et la détresse d'un homme qui affirme ce qui est son intime conviction. Cela dit, le fonds du roman interroge le rôle du roman quand il s'empare de faits historiques aussi sensibles et sujets à débat. La responsabilité des Alliés dans la Shoah, la question de savoir qui savait quoi et à quel degré fait encore l'objet de débats et de recherches. Or, le pas est vite franchi qui fait d'un texte de fiction une vérité. Mais il faut reconnaître la force du texte et sa construction impeccable. C'est un roman difficile, exigeant, qui interroge sur l'humain et sur la fiction avec force.

     Jan Karski a reçu le 8e prix du roman Fnac.

    Un débat intéressant dans Lire,  un interviewde Haenel dans Le nouvel observateur, Le billet de Pierre Assouline, on en parle aussi sur le blog de la librairie Mollat.

    Pour terminer, une interview de Yannick Haenel

     

    Yannick Hanel, Jan Karski, Gallimard, 2009, 4/5