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La petite dame en son jardin de Bruges

 

Une nuit, Charles Bertin a rêvé de sa grand-mère, morte depuis un demi-siècle. Au matin, son rêve lui apparaît comme le signe incontestable qu'il est temps pour lui de rendre une visite à la petite dame en son jardin de Bruges. Au fil du voyage, il se souvient de cette vieille dame, des longues vacances d'été dans la maison de Bruges, du jardin et de l'amour qui les a lié.

 Il y a parfois des textes qui touchent au coeur et qui laissent rêveur une fois la dernière page tournée. La petite dame en son jardin de Bruges est de ceux-là. Ses pages débordent d'amour, de tendresse, de souvenirs au teintes toujours vives, et de mélancolie. C'est un texte bouleversant.

Charles Bertin trace à travers ses souvenirs le portrait d'une femme dont la vie s'est déroulée entre 19e et 20e siècle, pauvreté et petite bourgeoisie, entre une famille qu'elle a fuit et celle qu'elle s'est créée. C'est le regard d'un homme vieillissant sur l'enfant qu'il fut et une grand-mère qu'il a follement aimé et qu'il a de plus en plus aimé à mesure qu'il la comprenait mieux en prenant de l'âge.

" Mais j'ai mis des années à comprendre d'où elle tirait cette extraordinaire force de catactère qui la séparait du commun et faisait d'elle un être dont la vitalité et l'invention paraissaient inépuisables. Je crois qu'elle en devait la plus grande part à cette grâce particulière dont le ciel l'avait auréolée à la naissance: celle de prendre, au sens littéral des termes, ses désirs pour des réalités. Cette orientation de sa nature, qui l'inclinait à la manière des enfants à accorder la prééminence à l'imaginaire sur le réel et la portait la plupart du temps à adopter comme ligne de conduite le contre-pied du convenu, était une source de constantes surprises pour ses proches." Il y a bien sûr dans ces pages une réflexion sur le souvenir, sur le fait de quitter l'enfance, sur la transmission. Mais c'est surtout Thérèse-Augustine qui est au centre de tout: une vieille dame à l'humour dévastateur, à la volonté sans faille, à la fantaisie capable d'illuminer la vie d'un petit garçon. Une vieille dame qui veut que son petit-fils ait une vie exceptionnelle et qui est prête à tout pour cela: lui emprunter en douce ses livres de classes et ses romans, l'emmener dans des promenades historiques sans fin dans Bruges,... Une manière pour elle de prendre sa revanche sur une vie qui l'a contrainte à quitter l'école à 12 ans, à se battre pour quitter la ferme de ses parents, à se faire épouser pour changer de vie. Petit à petit, on voit un lien d'amour exceptionnel se tisser entre la grand-mère et l'enfant, un lien qui se construit sur un passé partagé, un présent partagé dans la tendresse et l'humour. Les souvenirs qu'évoque Charles Bertin sont les fils de ce lien: "C'est à la lumière de souvenirs comme celui-là que je comprends aujourd'hui pourquoi je l'ai tant aimée."

Ces souvenirs sont égrenés les uns après les autres, souvent drôles, parfois douloureux. Presque toujours magiques. Charles Bertin parvient à faire vivre la maison de Bruges, son jardin, la plage du Coq, la ville et ses marchés, le cinéma. Par moment, ce qu'il racontait me ramenait à des épisodes vécus, des sensations à demi oubliées, des petits bonheurs.

Il y a de plus de très belles pages sur la lecture dans La petite dame en sont jardin de Bruges: l'amour des livres est encore une chose que partagent la vieille dame et l'enfant. L'une a commencé parce que les livres sont sa revanche sur une vie qui l'a forcée à endosser le rôle d'épouse et de mère, l'autre parce qu'il s'évade.

"Ainsi qu'on pouvait l'espérer, le temps fit son oeuvre dans l'esprit de ma grand-mère. Au fil des mois, la pratique des livres dans laquelle elle n'avait vu à l'origine que le symbole de sa libération et l'instrument d'une revanche sur le destin, finit par se muer en passion toute pure. Elle connut la surprise d'accueillir en elle, avec la violence des tentations majeures, le besoin de dévorer le monde des autres pour en faire sa substance. Mais comme elle ne disposait pas des instruments de mesure qu'une éducation élémentaire aurait pu lui apporter, elle ne parvint jamais à faire la distinction entre le meilleur et le pire: sa disponibilité permanente à l'égard de tous les dépaysmenents de l'imaginaire l'amenait à absorber avec la même avidité Balzac et Paul Bourget, Zola et Paul Prévost, Maupassant et Henry Bordeaux. Chaque lecture lui ouvrait les portes d'un ailleurs fabuleux, étranger aux mesquineries de la vie quotidienne, où tout était signe et couleur, innocence et plaisir. Il était inévitable qu'en me voyant plongé à toute heure du jour dans ces récits d'aventure qui avaient assez d'empire sur mon esprit pour que j'en oublie l'heure des repas, elle en arrivât à s'intéresse elle-même à mes lectures. C'était d'ailleurs tout à fait dans la ligne du plan qu'elle avait conçu à mon sujet. Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'est qu'elle se prendrait au jeu, et qu'après avoir dévoré en deux ou trois semaines tout le lot de livres que j'avais apportés dans mes bagages, elle me presserait de l'accompagner à la bibliothèque pour l'aider à en choisir d'autre.

Pour finir prisonniers du plaisir de lire et de partager leurs lectures. On "voit" Charles Bertin sourire quand il évoque le moment où il s'est aperçu que sa grand-mère lui empruntait la nuit ses romans d'aventure: "Je découvris un jour qu'elle avait pris l'habitude de lire à mon insu les mêmes romans que moi. Un matin, je m'aperçus que le volume abandonné la veille sur mon lit avait disparu dans mon sommeil. Je me disposais à accuser le fantôme de la maison, lorsque j'eus l'idée de confier à ma grand-mère l'étonnement que je ressentais en découvrant sur la table du salon le Jack London ou le Mark Twain sur lequel je m'étais endormi la nuit précédente; elle m'avoua sans se troubler qu'il n'y avait sous notre toit d'autre fantôme qu'elle-même."

 Charles Bertin offre un texte plein de poésie et d'une force évocatrice qui ramène à nos propres souvenirs. C'est un petit bijou, une bulle de plaisir que je vais conserver précieusement et offrir, parce que le bonheur, ça se partage!

 Lily, Malice en parlent.

Bertin, Charles, La petite dame en son jardin de Bruges, Actes Sud, 1996, 5/5

Commentaires

  • même si ce n'est pas le genre de lectures vers laquelle je m'oriente en général, je trouve que le texte appelle à la poésie! ton billet est très beau, j'ai bien aimé le lire! mais je passerais mon tour pour ce titre

  • Incontestablement, avec une telle présentation, il faut absolument que je rajoute ce livre à ma PAL ! :-)

  • J'aime beaucoup ton dernier paragraphe car c'est vraiment cela un livre d'une grande douceur !

  • Eh bien j'ai envie de le lire, une petite lecture comme cela, de temps en temps, oh que oui!

  • Je l'avais déjà noté sur un blog, tu me le remets en mémoire, il me tente beaucoup.

  • Ton billet est magnifique...

  • @ Lael: c'est un joli morceau de poésie!
    @ Marie: outch! Désolée d'avoir fait du mal à ta PAL!! :-) Mais il vaut le coup!
    @ Alice: oui, beaucoup de tendresse et de poésie dans ces pages. J'ai passé un excellent moment.
    @ Keisha: ça fait du bien!
    @ Aifelle: c'est une lecture qui laisse son empreinte. Et qui convoque son lot d'images et de souvenirs!
    @ Anne: merci Anne!

  • Je l'ai noté il y a un moment, celui-ci... ça semble une lecture doudou!!! Quant à ton blog-it, je te rassure... non, ça ne compte pas! Et Edinburg... j'ai teeeeeeeellement aimé cette ville!!

  • Et dire que je n'ai jamais lu ce livre !!! Un classique pourtant.

  • On ne peut pas résister à un tel billet. Il me fait penser à La grand-mère de Jade que j'ai bcp aimé.

  • Je pense que j'ai ce livre et que je ne l'ai jamais lu ... quel dommage. Je vais devoir y remédier :)

  • Je ne connais pas cet auteur, mais ton billet est tentateur ...

  • Karine:): je suis littéralement en amour avec Edimburgh! Et c'est une lecture doudou! Elle me remet le sourire rien que d'y repenser!
    @ Manu: classique je ne sais pas, mais en tout cas une jolie perle!
    @ Theoma: j'ai très envie de lire La grand-mère de Jade! Dès que j'en ai terminé avec mes urgences de lecture actuelle, je me lance!
    @ Thalia: il se lit très vite, tu vas faire baisser ta PAL, çca fait plein de bonnes raisons de s'y mettre non? :-)
    @ Leiloona: je ne le connaissais pas non plus, mais je suis ravie de l'avoir découvert!

  • je l'avais noté quelque aprt ce lui là, tu me donnes encore plus envie du coup alors que je suis en plein régime amaigrissant de ma pal !!!!

  • Un texte poétique, je pourrais bien me laisser tenter.

  • @ Yueyin: le sort des PAL est vraiment trop cruel!! Faut-il fonder une société protectrice des PAL?? :-)
    @ Alex: très poétique! C'est un coup de coeur pour moi!

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