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Chiff' - Page 127

  • Lettre d'amour

    9782718607276.jpg« Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien. »
     
    Dans cette longue lettre à sa femme Dorine, André Gorz revient sur 58 ans d’amour, de vie commune. Il revient sur cette femme qui est si peu apparue dans une œuvre qui, sans elle, n’aurait sans doute pas existé.
    Lettre à D. n’est pas vraiment une lettre, pas vraiment une description de la femme aimée. André Gorz parle beaucoup de lui au cours de ces 74 pages, il parle beaucoup de son travail de journaliste, de philosophe, de ses relations avec Sartre et d’autres, de sa tendance à refuser le monde. Mais quand il parle de lui, quand il regarde sans concession ce qu’il a été, il parle d’elle.
    Il rend hommage à une femme libre, intelligente, belle et courageuse. Dorine qui a accepté un époux pris par ses théories et ses dogmes, qui l’a aidé à écrire, à travailler, qui a toujours été présente. Dorine qui, par amour, a supporté les vaches maigres, les caprices de son mari, la maladie.
    Alors bien sûr André Gorz a une certaine tendance au jargonnage, à l’égocentrisme jusque dans cette lettre qui se voulait centrée sur sa femme, mais l’intensité de certaines pages, de certaines lignes, la beauté de cet amour qui a résisté à tout valent la lecture. Il y a des perles, des moments où le ventre se serre tant ce que dit cet homme enfin rendu à l’amour qui a traversé sa vie, qui a construit sa vie est fort. Un amour comme celui-ci, on ne peut avoir qu’envie de le connaître, de le vivre soi-même.
     
    « J’entends la voix de Kathleen Ferrier qui chante : ”Die Welt ist leer, Ich will nicht leben mehr“ et je me réveille. Je guette ton souffle, ma main t’effleure. Nous aimerions chacun ne pas avoir à survivre à la mort de l’autre. »
     
    André Gorz et sa femme se sont suicidés ensemble le 24 septembre 2007.

    André Gorz, Lettre à D.: Histoire d'un amour, Galilée, 2006, 74 p.

  • Le rapport de Brodeck

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    Un village perdu dans les montagnes de ce qui pourrait être l’Alsace, un homme, Brodeck, qui a survécu au pire. Et l’Ereignis, l’événement, provoqué par l’étranger, l’Anderer, venu d’on ne sait trop où.
     
    « Rien. Il n’y a rien Mère Pitz, rien de grave, que du naturel : hier soir, les hommes du village ont tué l’Anderer. Ca s’est passé à l’auberge de Schloss, très simplement, comme une partie de carte ou une promesse de vente. Il y avait longtemps que ça couvait. Moi je suis arrivé après, je venais acheter du beurre. Je n’étais pas de la tuerie. Je suis simplement chargé du Rapport. Je dois expliquer ce qui s’est passé depuis sa venue et pourquoi on ne pouvait que le tuer. C’est tout.»
     
    Brodeck, chargé par les hommes de son village de rendre compte et d’expliquer le meurtre de l’étranger va en même temps s’épancher dans une longue lettre, raconter le village, l’écriture du rapport, et, surtout, ce à quoi il a survécu.
     
    Le rapport de Brodeck est un roman moralement exigeant. Que l’on aime ou pas Philippe Claudel, il faut lui reconnaître cette capacité à explorer les noirceurs de l’âme humaine sans aucune concession, sans laisser aucune échappatoire à son lecteur. On a l’impression que la moindre lueur, la moindre parcelle de beauté n’est là que pour contraster avec l’horreur.
    J’ai été impressionnée par la capacité de Claudel à mettre en parallèle la grande et la petite histoire. Bien sûr rien n’est explicitement nommé, mais il n’est guère difficile de deviner où et quand nous sommes : quelque part en Alsace, dans les années qui ont suivi la Seconde guerre mondiale. Après l’horreur pure. On pourrait penser que cela a été le fait d’un homme qui a réussit à mener son peuple et d’autres à cela, qui a réussi à élaborer une machine étatique et militaire si froide et sans âme qu’elle a permis que des millions d’hommes, de femmes et d’enfants soient humiliés, torturés et assassinés. Ce serait trop facile.
    Brodeck a survécu au pire, à la torture et à l’humiliation pour pouvoir, un jour, retrouver sa femme et son village. Mais même ce petit village perdu dans la montagne a été touché par la guerre, la folie. En fait, même ce petit village perdu dans la montagne, surtout ce petit village perdu dans la montagne a été touché par la folie des hommes. Sans aucun doute parce que tout homme au plus profond de lui-même contient les germes de la violence, de la lâcheté.
    L’arrivée de l’Anderer n’est finalement que le révélateur de ce fait. Il est le miroir dans lequel s’est reflété soudainement le mal ordinaire. Et les miroirs, comme le dit si bien le curé Peiper, les miroirs, on les brise.
     
    Le choix de Philippe Claudel de laisser Brodeck sauter du coq à l’âne, évoquer le passé, revenir au présent, rapporter les propos tenus, raconter ses souvenirs perd un peu le lecteur, mais donne du rythme à la narration, tisse peu à peu un tableau d’ensemble d’une communauté d’homme située dans un temps et un lieu mais pourtant universelle dans les rapports que ceux qui a constituent entretiennent entre eux et avec le monde extérieur. Quelques centaines d’âmes suffisent à recréer à petite échelle ce qui s’est passé à grande échelle. L’homme ne supporte pas ce qui est différent de lui, ce qui le renvoie à sa propre image.
     
    J’ai apprécié la simplicité des formulations, leur poésie parfois, et l’apparente banalité de propos qui amènent au final à des questionnements bien plus profonds. A travers les actes des hommes du village, à travers les camps et l’horreur de la guerre, c’est l’existence de Dieu qui est interrogée. Puisque tout cela invalide le concept même d’enfer, qu’en est-il de d’une divinité qui laisse ses créatures semer le mal ? Après tout, « Si la créature a pu engendrer l’horreur, c’est uniquement parce que son Créateur lui en a soufflé la recette ».
    Et dans ce cas, qui donc peut pardonner ? Peut-on seulement pardonner ? Ou ne peut-on qu’oublier ?
    L’homme accomplit le pire mais ne peut vivre avec. Il cherche à se souvenir avec ses monuments. C’est d’ailleurs un moment assez drôle que celui où Brodeck parle de ce monument aux morts d’où son nom a été effacé une fois qu’il a été revenu de l’endroit d’où personne n’est revenu. Mais il a besoin de l’oubli. Le maire du village montre qu’il l’a bien compris quand il brûle le Rapport. « Je suis le berger. Le troupeau compte sur moi pour éloigner tous le dangers, et de tous les dangers, celui de la mémoire est un des plus terribles, ce n’est pas à toi que je vais l’apprendre, toi qui te souviens de tout, toi qui te souviens trop ? […] Il est temps d’oublier, Brodeck. Les hommes ont besoin d’oublier. »
     
    Le danger de la mémoire, Brodeck l’incarne, mais le prêtre aussi, qui sombre dans la déchéance à force d’être la mémoire des hommes, le réceptacle de leurs fautes. Pour qu’ils puissent continuer à vivre malgré leurs actes, lui doit mourir à petit feu.
    «  Les hommes sont bizarres. Ils commettent le pire sans trop se poser de questions, mais ensuite ils ne peuvent plus vivre avec le souvenir de ce qu’ils ont fait. Il faut qu’ils s’en débarrassent. »
    A ce compte là, comment s’étonner de la répétition de l’horreur ? Puisque l’ignorance et la peur gagnent et que l’oubli recouvre le tout, l’homme ne peut rien apprendre du passé. Si tant est qu’il puisse supporter d’apprendre du passé et de se souvenir. Brodeck lui-même d’admet : « Au fond, raconter n’est peut-être pas un remède si sûr que cela. Peut-être qu’au contraire, raconter ne sert qu’à entretenir les plaies, comme on entretient les braises d’un feu afin qu’à notre guise quand nous le souhaiterons, il puisse repartir de plus belle. »
     
    Bref, le rapport de Brodeck est un roman riche, complexe sous son apparente simplicité. Un roman qui pousse à la réflexion. En cela il est une réussite. Je n’aime guère l’œuvre de Philippe Claudel, mais je dois admettre avoir été emportée par ma lecture, contrainte presque à la terminer pour savoir pourquoi, comment, quand bien même je savais déjà que tout reposait sur le meurtre de l’Autre, du différent. J’ai continué malgré le blues qui me prenait parfois, la quasi-nausée.
    Un Goncourt des lycéens mérité.
    Bravo M. Claudel.
     
     Philippe Claudel, Le rapport de Brodeck, Stock, 2007, 400 p.
  • Mangez-moi!!

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    J’ai choisi ce livre pour deux raisons : le club des théières se tenait sur le thème de la cuisine, et ô mystère des mânes, voilà que Mangez-moi était sur la table des coups de cœur de la bibliothèque. Et me voilà partie alors que j’avais fait de la résistance à l’époque de sa sortie. Je lorgnais dessus depuis sa sortie en poche, mais… Pal et Lal aidant… Enfin bref ! Je ne suis pas la première à le lire ! Ca ne m’empêche âs de vous donner mon avis !
     
    Myriam est instable, Myriam est irresponsable, Myriam souffre et essaie d’assumer la faute pour laquelle elle a perdu famille et enfant. Myriam cuisine aussi. Elle cuisine dans ce petit restaurant que, risquant le tout pour le tout, elle a ouvert et où elle vit aussi.
    C’est dans ce cocon où se bousculent fleuristes et cultivateurs, enfants du quartier et pierrots qu’elle va enfin trouver un chemin vers l’apaisement.
     
    Myriam est une femme perdue qui cherche un endroit où enfin se sentir chez elle. C’est ce que représente pour elle ce restaurant qu’elle ouvre en désespoir de cause avoir erré pendant des années et été cuisinière pour une troupe de cirque. Symboliquement, son petit monde prend le nom de Chez moi. C’est d’abord un petit restaurant sans menus, sans enseigne, effacé comme sa propriétaire. C’est enfin un endroit reconnu, apprécié, aimé, une cantine de quartier, un refuge pour les amoureux, les ouvriers, et les gourmands. Un restaurant reconnu comme sa propriétaire qui a repris goût à la vie. Ce n’était pas forcément ce qu’elle attendait, mais c’est ce qui lui permet à la fin d’avancer et de se retrouver.
    A travers la cuisine que sert Myriam, le projet qu’elle essaie de mener à bout avec son restaurant, c’est sa générosité qui apparaît. Sa culpabilité aussi : celle de la mauvaise mère, celle de la femme adultère, celle de la mauvaise, la perverse, celle de la femme qui a osé et s’est libérée de ce qu’elle vivait comme un carcan. Mangez-moi est un beau récit sur la liberté, la culpabilité, le plaisir et le partage. Sur une vie de femme avec toutes ses contradictions. Et surtout sur cet amour maternel que l’on conçoit comme une évidence et qui ne l’est parfois pas.
    Petit à petit, Myriam recommence à faire confiance, à accepter l’échange et le partage. Cela ne va pas sans difficultés, sans paniques, mais l’apaisement se profile. Comme si à force de cuisiner pour les autres, elle acceptait enfin de se reconnaître elle-même et elle acceptait la possibilité que d’autres l’aiment.
     
     
    Et puis il y a ces pages merveilleuses sur la cuisine, le plaisir de fabriquer, d’élaborer, ces noms de recettes, de plats qui font saliver. Le bonheur fou que ressent Myriam quand elle cuisine.
    J’ai apprécié le mélange d’émotion et d’humour qui parcourt les pages, les réflexions de Myriam, ses gaffes. J’ai trouvé quelques longueurs. J’ai ressenti un brin d’agacement à « voir » Myriam ressasser sans cesse ses fautes. Mais j’ai aussi pris un réel plaisir à la suivre, elle et son sens de l’autodérision.  C’est un personnage attachant, fort et fragile, pétri de contradictions, rêvant de chaleur humaine et fuyant quand on la lui offre.
    Les personnages secondaires sont tout aussi réussis et offre une bouffée d’humour : le fleuriste amoureux, le serveur, les deux lycéennes luttant pour terminer leurs devoirs de philosophie, etc. C’est un quartier de Paris qui prend forme sous les yeux dans lecteur dans le petit cadre de Chez Moi.
    Sans compter au récit de toutes les galères qui attendent les restaurateurs en herbe ! Et les références multiples à la littérature ! J’ai adoré le clin d’œil à Alice au pays des merveilles : une petite fille qui rétrécit et grandit, une femme qui ne sait comment trouver sa place... Le parallèle est bien trouvé.
    Mangez-moi est un roman qui fait du bien au moral et à l’imagination. Les odeurs, les textures, les couleurs mettent l’eau à la bouche ! Rien que pour ça, merci Agnès Desarthe ! 

    Quelques extraits:
     
    « Trop petite ou trop grande ma vie se disproportionne et je ne suis jamais à la mesure de ce que j’entreprends. Comme j’aimerais retrouver ma taille originelle, celle qui me permettrait de me glisser dans le gant du jour et de ne m’y sentir ni au large, ni à l’étroit »
     
    «  L’homme qui jamais ne devait me faire pleurer, lui qui me l’avait promis, fait couler des ruisseaux de larmes sur mes joues, depuis mes aisselles et le long de mes jambes. Je ne lui en veux pas pour ce mensonge. La poigne du parjure est toujours meilleure que tout. Je désire qu’il me mente, et qu’il se dédise, et se contredise. Il croit tout savoir et ne sait rien. Et de lui, j’ignore tout et brûle de tout connaître. »
     
    « Des choux luxuriants, des poireaux goguenards, des bettes cambrées, des carottes terreuses, des patidoux à la peau d’ocelot, des potimarrons à bonnets de lutin, des sucrines en forme de calebasse, des navets ravissants. »
     
    « Ca veut dire qu’une relation entre un homme et une femme est comme un firmament. Tantôt bleu, tantôt noir, parfois nuageux, pluvieux même, peu importe, c’est toujours un seul et même firmament. La haine qu’on éprouve pour une personne que l’on a aimé n’a rien en commun avec les autres haines. Elle est nourrie de l’amour ancien. »
     
    « Comment se fait-il que l’on ait plusieurs vies ? Peut-être ai-je tendance à généraliser. Peut-être suis-je la seule à éprouver ce sentiment. Je ne mourrai qu’une fois et pourtant, au cours du temps qui m’aura été imparti, j’aurai vécu une série d’existences contiguës et distinctes. »
      
    D'autres avis de Théières et de non Théières: Flo, Florinette, Lily, Sylire, Anne, Gambadou, Amy.

    Mangez-moi, Agnès Desarthe, Editions de l’Olivier, 2006, 306 p.
  • Chaud cacao

    Aujourd’hui m’est venue l’envie de parler d’une de mes passions. Peu originale la passion d’ailleurs ! Comme une bonne partie de la population féminine et une bonne partie de la population masculine, je suis fascinée par cette substance de couleur sombre, généralement marron foncée, parfois marron clair, de temps en temps blanche.
    Tout le monde a deviné ? 
    Pour vous situer mon niveau, j’ai toujours une tablette à la maison, une dans un tiroir du bureau et je n’hésite pas à en balader une dans mon sac, au cas où. Comme on dit « en cas de drame (ou pas), brisez la tablette ». Une de mes fantasmes est la fontaine à chocolat chaud. J’étais et suis toujours dans un état second quand je vois la rivière de chocolat de Charlie et la chocolaterie. Rien que pour avoir inventé ce concept, Roald Dhal mérite la canonisation. A défaut la création d’un Nobel de littérature jeunesse qui lui serait attribué ! Et quand on a procédé au lâché de Chiffonnette dans le salon du chocolat, ce fut un moment d’anthologie. Le Chiffon ne savait plus où porter ses yeux, que goûter, comment éviter la crise de foie ni quelle recette inventer ! Des étoiles plein des yeux, une jolie moustache en chocolat et une certaine tendance à trépigner ont alors pu être observés !
     
    Bref, me voilà partie pour vous parler d’un de mes doudous préférés, et surtout, d’une version un peu particulière de la chose, le chocolat chaud ! Attention hein ! Pas le truc en poudre qu’on dissout dans du lait chaud comme ça ! Pas de la substance frelatée (sauf soupoudrée sur du pain et du beurre, mais là n’est pas la question) dans la boite jaune avec une bestiole bizarre dessus ! Du vrai chocolat chaud ! Et des deux ou trois meilleurs bus à ce jour par votre servante ici présente.
     
     

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    Le premier, est un souvenir. Ovomaltine, lait chaud, tartines de pain grillé et confiture d’orange amère maison. Vous me direz qu’il s’agit de ce que je fustigeais quelques lignes auparavant. Certes. Mais il faut resituer le contexte ! Un temps hivernal gris et pluvieux, une préadolescente pas encore chiffonnesque revenant de sa séance de voile sur une mer Méditerranée déchaînée. Oui, la Méditerranée peut être déchaînée, ça lui arrive ! Et grise et froide et peu sympathique aussi ! D’où l’intense besoin de réconfort et le bonheur ressenti à ce goûter !
     
    Le second est une institution : LE chocolat Cazenave. Grâce à des vacances basques, entre deux musées, une planche de surf et une guirlande de piments d’Espelette, j’ai pu déguster deux tasses du divin mélange.
    Comment décrire la chose… Par une chaude journée de septembre, vous vous installez bien au frais sous les arcades de la rue Port Neuf, vous passez commande… Et voilà qu’après quelques minutes d’attente, quelqu’un arrive avec une jolie tasse en porcelaine de Limoges,  une tasse d’un chocolat moussant accompagnée de chantilly. C’est chaud, onctueux, goûteux, doux et fort en même temps. Et la mousse… Moussée à la main selon un savoir-faire vieux d’un bon siècle et gardé secret, c’est une véritable explosion pour les papilles.
    Quatre ans après, le souvenir est intact, c’est vous dire !
    Et puis s’il n’y avait que le chocolat moussant… Bayonne est une ville pour les gourmands ! Les chocolatiers y sont légion et tous vendent de petites barres d’or noir mélangé à divers ingrédients tous plus délicieux les uns que les autres !
     
    Le troisième est L’institution parisienne du chocolat chaud. J’ai parlé, mesdames, mesdemoiselles et messieurs de l’incomparable chocolat chaud d’Angelina !
    Il faut savoir que cette tasse se mérite ! Il vous faut tout d’abord trouver l’institution cachée sous les arcades de la rue de Rivoli (avec l’adresse cela aurait sans nul doute été plus facile, mais on ne peut pas toujours être organisé et prévoyant), ne pas trébucher en admirant le décors, ensuite faire la queue en salivant devant les pâtisseries, puis vous installer sans baver sur les assiettes des voisins et sans rien casser. Enfin, faire un choix entre la spécialité maison et le truc avec trois chocolats dedans et un glaçage dessus.
    Une fois passé ces épreuves, il ne reste plus qu’à attendre qu’on vous amène votre tasse, votre pâtisserie, le pichet de porcelaine blanche contenant un chocolat épais, onctueux, parfumé, et le petit ramequin de chantilly maison.
    Ce chocolat est tellement épais qu’étant arrivée au salon la faim au ventre, deux gorgées ont suffit à me rassasier ! Le Mont-blanc (soit une meringue fourrée de crème fouettée et recouverte de crème de marron) n’y était peut-être pas pour rien non plus !
    Pour l’information du lecteur, c’est évidemment cher, le service n’est pas forcément à la hauteur et le lieu est touristique… A faire néanmoins au moins une fois !
     
    Une prochaine fois, je vous parlerai de mes tablettes préférées…
     
    Et vous ? Quel est votre chocolat chaud préféré ?
     
  • La vengeance des aubergines (non mais c'est vrai quoi à la fin)

     
    cat-1140621604-1.jpgConfrontée à une dramatique question de choix pour le club des théières, j’ai finalement jeté mon dévolu sur un recueil de nouvelles. Mais pas n’importe quelles nouvelles ! Non, non ! Des nouvelles culinaires !! Oui, cela existe ! C’est ce que nous offre Bulbul Sharma dans La colère des aubergines : une série de nouvelles, les recettes que cuisinait sa grand-mère Dida et quelques uns de son cru. Dans un très bel avant-propos, elle raconte cette petite femme en sari blanc de veuve qui cuisinait chaque jour pour toute sa famille ce qu’elle-même ne touchait pas. Un beau personnage de femme cette Dida, réfugiée dans une cuisine devenue sanctuaire, avec des mots que les grands-mères utilisent presque universellement à mon avis : « Mange… mange, tu es tellement maigre. » Moi ce n’est pas pour le chou-fleur aux cinq épices mais pour le couscous. Ceci dit le résultat est le même !
     
    En douze nouvelles Bulbul Sharma présente tout un univers de femmes indiennes. Des femmes très différentes les unes des autres. Des veuves, des jeunes mariées, des vieilles femmes, des mères. Des hommes aussi, toujours un peu lâches, un peu veules, un peu perdus. Car les femmes chez Bulbul Sharma sont fortes. Ce qui ne les empêche pas d’être aussi, parfois, ridicules ! Il n’est que de voir cette riche femme qui tente à tout prix de maigrir sous le regard narquois et désespéré de ses domestiques. Ou cette veuve au crépuscule de sa vie qui court après le prêtre susceptible de manger le repas cérémoniel préparé pour les mânes de son défunt époux : « Bien que pour ma grand-mère l’acte de nourrir le prêtre, qui lui vaudrait un bonus important au plan d’épargne mérite géré par le ciel, fût au cœur de la cérémonie, elle n’avait trouvé en dix ans aucun ministre du culte à la hauteur de ses talents culinaires. »
     En tout cas, elles savent mener leur monde.
    Bien sûr tout n’est pas toujours rose pour ces femmes. La cuisine, les femmes, la maison et la famille sont au centre des récits, mais des femmes qui ont des statuts divers, des destins divers. Certaines sont soumises à la tradition et en souffrent essaient de se libérer ou le refusent, d’autres se sont libérées et en souffrent aussi. Bulbul Sharma montre bien qu’entre tradition et « modernité », le choix n’est pas simple et que les conséquences de ce choix peuvent être lourdes à porter.
    En tout cas, avec ces nouvelles, on prend la mesure du rôle central que joue la nourriture dans la culture indienne. Tous les événements sont prétextes à banquets. Enterrements, cérémonies religieuses, mariages. Les familles se livrent même parfois à de véritables compétitions, laissant leurs invités à deux doigts de l’explosion. Les repas sont des sources infinies de discussion, de comparaison, voire de lutte ! Pour savoir qui, de la belle-mère ou de la bru est la plus à même à prendre soin de l’homme.
    Ces nouvelles sont très souvent drôles, parfois tristes, toujours savoureuses. Des tranches de vie indienne sont offertes. Et de très beaux personnages. Dida, Buaji, Maaji, Mani et les autres ne me quitteront pas de sitôt ! Et pour une bonne raison puisque La colère des aubergines va trouver sa place parmi mes livres de cuisine !
    On trouve à la fin de chaque histoire de magnifiques recettes avec les tours de main de l’auteur. Un lexique en fin d’ouvrage permet de se retrouver dans tous les termes hindis. Tout au long des pages on salive, on sent les odeurs et on voit les couleurs de l’Inde dans toute leur diversité.
     
    Une belle lecture.
     

     

    Bulbul Sharma, La colère des aubergines, Picquier poche, 2002, 201 p.