« Nous sommes fait de l’étoffe dont sont tissés les vents »
Golgoth le traceur, Pietro della Rocca le prince, Sov le scribe, Oroshi l’aéromaîtresse, Carcacole le troubadour et les autres.
Ils sont 23 formés dès l’enfance, 23 à affronter les vents doux ou violents, froids ou chauds d’une terre qu’ils balaient. 23 à rechercher l’origine du vent. Ils forment un bloc, une horde capable de contrer les rafales les plus violentes, une horde que rien ne semble pouvoir arrêter.
Je reste presque sans mots, encore un peu rêveuse, et triste d’avoir refermé cette petite merveille. C’est le genre de livre à vous faire rester dans une rame de métro une fois arrivé au terminus, juste parce que vous ne voulez pas lâcher des personnages qui sont devenus de vieux compagnons dans une situation périlleuse. Juste parce que vous voulez savoir, tout simplement savoir ce qui les attend à la page suivante.
Pourtant, ce n’était pas gagné. Aux premières pages, j’avais été déstabilisée par le style de l’auteur, par l’alternance des points de vue des 23 personnages désignés par un glyphe, par l’entrée directe, sans explications ni préparation au cœur de l’action. Un peu agacée aussi par l’invention d’un langage, par la difficulté à suivre, par la pagination inversée. Très agacée même par les prétentions philosophique de l’auteur. Et puis, allez savoir ce qu’il s’est passé, la magie a opéré !
On se retrouve dans ce monde battu par les vents, cette bande de terre encadrée par des glaces infranchissables. Une bande de terre dont 33 hordes en 800 ans ont tenté d’atteindre le bout, l’origine du vent. Le voyage, le lecteur le fait avec la 34e horde, la dernière sans doute puisque les intrigues politiques et religieuses laissent planer leur menace sur cette tradition.
Alain Damasio recrée un monde avec ses règles physiques, géologiques, sa religion, ses mythes et ses histoires, des sociétés, une histoire qu’on apprend par petit bout.
Finalement, l’utilisation de 23 narrateurs, si elle rend la lecture parfois un peu difficile et brouillée est aussi une formidable richesse. Parce que la confrontation des points de vue, les mots différents de chacun sur les événements dit beaucoup de ce monde, de la horde elle-même et de la personnalité de chacun de ses membres. La horde du contrevent est un récit d’aventure et surtout un récit d’apprentissage. La quête de la horde est collective pourtant à travers les épreuves vécues, les drames, les difficultés, les doutes, les personnages vont devoir aller au bout d’eux-mêmes et de leurs convictions. Et réfléchir sur le sens de leur quête, de leur vie, de leur engagement individuel dans cette entité qu’est la horde. En fait il n’y a rien de bien nouveau dans ce que livre Alain Damasio, mais si on l’écoute autant, c’est sans doute qu’il a su rendre ses personnages infiniment humains, et proche du lecteur. Je me suis attachée à eux comme à de vieux amis. J’irais même jusqu’à dire que j’ai ressenti les pertes, les souffrances, les doutes dans mes tripes.
Le lecteur passe aussi par les doutes, la peur, l’angoisse. Par moment, la lassitude guette un peu, puis une montée brutale d’adrénaline, puis une redescente, un moment de tendresse et de calme, et tout repart. En fait, il suffit de se lancer et de se laisser emporter par la plume de l’auteur.
Quand à la fin, elle est proprement époustouflante. Tout y prend un sens, du choix des narrateurs principaux au mode de pagination et aux épreuves surmontées ou pas par les personnages. Une belle trouvaille qui évite le happy end en laissant une ouverture à l’imagination et à la réflexion.
Voilà, j’ai essayé de mettre des mots sur tout ce que j’ai ressenti pendant cette lecture longue, parfois ardue, toujours fascinante. Je n’y suis pas entièrement arrivée. Mais je ne peux pas faire mieux !
Alain Damasio, La horde du contrevent, Folio Gallimard, 700 p., 2007