" Pendant que la guerre civile déchirait la France sous le règne de Charles IX, l’amour ne laissait pas de trouver sa place parmi tant de désordres, et d’en causer beaucoup dans son empire. La fille unique du marquis de Mézière, héritière très-considérable, et par ses grands biens, et par l’illustre maison d’Anjou, dont elle était descendue, était promise au duc du Maine, cadet du duc de Guise, que l’on a depuis appelé le Balafré. L’extrême jeunesse de cette grande héritière retardait son mariage, et cependant le duc de Guise, qui la voyait souvent, et qui voyait en elle les commencements d’une grande beauté, en devint amoureux, et en fut aimé. Ils cachèrent leur amour avec beaucoup de soin. Le duc de Guise, qui n’avait pas encore autant d’ambition qu’il en a eu depuis, souhaitait ardemment de l’épouser ; mais la crainte du cardinal de Lorraine, qui lui tenait lieu de père, l’empêchait de se déclarer. Les choses étaient en cet état, lorsque la maison de Bourbon, qui ne pouvait voir qu’avec envie l’élévation de celle de Guise, s’apercevant de l’avantage qu’elle recevrait de ce mariage, se résolut de le lui ôter et d’en profiter elle-même, en faisant épouser cette héritière au jeune prince de Montpensier."
Pour moi, La princesse de Clèves est sans conteste un des plus beaux romans d'amour malheureux qui soit. Bon, force m'est d'admettre avec Aurore que tout cela peut apparaître limite comme de la science-fiction (je t'aime, moi aussi, nous nous aimons, mais non ce n'est pas possible, soyons tous malheureux en coeur, et plus si affinités si tant est que la morale approuve le plus, mais ceci est un autre problème), mais au final, ce n'est guère qu'un raison de plus d'aimer ce texte. Tout ça pour dire que malgré mon amour pour la plume de Mme de La Fayette, les aléas de la vie m'avaient toujours tenue éloignée du reste de son oeuvre et cela aurait pu durer encore longtemps s'il n'y avait pas un dieu pour les LCA, lequel a permis qu'à la faveur de la sortie d'un film que je n'ai pas vu (une crise de tétanie, ma dernière expérience en matière de film en costume français ayant été... en fait il n'y a pas de mots pour ça), La princesse de Montpensier soit mise à l'honneur. Ce qui m'a servi de pense-bête.
Je ne vais pas résumer l'intrigue, l'incipit en tête de cet article, fait le tour du problème. Une fois de plus, c'est d'amour dont il est question, amour passion, amour malheureux, amour secret, amour qui, évidemment, n'amène que drames et déchirements. Autour de la belle princesse de Montpensier, les hommes se pressent. Son époux tout d'abord, Henri de Guise ensuite, mais aussi Henri d'Anjou, et le comte de Chabannes, ami intime du prince de Montpensier. Elle a épousé le premier, aime le second, tente de tenir à distance l'amour du dernier et aurait sans doute pu se tirer à son avantage de cet imbroglio si la passion ne l'avait pas conduite à l'imprudence, et à la mort. D'une certaine manière, elle est le reflet inversé de ce que sera quelques années plus la princesse de Clèves: celle qui cède et en meurt face à celle que ses principes amènent à la mort. Deux destins d'une infinie tristesse qui racontent ce qu'est une femme au 17e siècle: enjeu de luttes amoureuses et de prestige, objet de passion, en tout cas jamais, ou rarement maîtresse de son destin. Une imprudence, et c'est la fin quand ceux qui ont provoqué la perte continuent leur chemin sans presque plus y penser. C'est en tout cas la morale de ce court texte qui présente la passion amoureuse sous des auspices tragiques et s'attache à décrypter de manière magistrale le jeu des sentiments.
La Fayette, Madame de, La princesse de Montpensier, Pocket, 2010, 83p., 4/5