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Littératures françaises - Page 8

  • Regain

    Je gardais de Regain le souvenir flou d'une lecture scolaire, un peu fastidieuse, voire ennuyeuse, des paysages déserts, un drôle de bonhomme, une plume pas vraiment abordable. Il aura fallu que l'occasion me soit donnée de le relire pour découvrir, enfin, toute la beauté et la force de texte court mais incroyablement intense.

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    En Provence, il y a des villages qui meurent doucement, où restent quelques irréductibles jusqu'à leur mort. C'est le cas à , où ils ne sont plus que trois, Panturle encore jeune, le vieux forgeron et la veuve du puisatier. Mais voilà qu'arrive Arsule, et avec elle, l'espoir d'un renouveau.

    Regain est le dernier volume de la trilogie dite de Pan, dans laquelle Giono s'attache à explorer la nature, la Provence aride et venteuse. Après Colline et Un de Baumugnes, c'est à l'abandon des villages à moitié ruinés qu'il s'attache, une agonie à laquelle il avait assisté  dans sa jeunesse. De cette expérience, il tire un texte superbe. A travers l'histoire de Panturle et d'Asurle, il donne à voir et à sortir la Provence, l'immensité de ses espaces, comme à travers ce plateau qui précède Aubignane et donne le vertige, les forêts, les prés. Un monde dur, violent même dans lequel les hommes abandonnés reviennent à un état sauvage comme le fait Panturle qui finit par subir dans pouvoir contrôler quoi que ce soit le rythme des saisons. Il faut lire les passages où il est saisi, comme les bêtes, par la frénésie du printemps. Par sa manière de décrire décors et événements, Giono symbolise ce retour à la nature sauvage, ce basculement vers une sorte de mort. Avant le regain, la renaissance qui voit par la grâce de la femme, le retour à la civilisation. Il décrit aussi le désir, la peur, la sérénité retrouvée après la folie apportée par le vent, le blé qui pousse de nouveau et permet le retour à la vie. On suit pas à pas, petit événement après petit événement la renaissance du village et d'un couple improbable.

    J'ai adoré me replonger dans cette ambiance, dans ce monde. Regain fait partie de ces romans qui vous emportent et qui vont droit à l'essentiel.

    Tout simplement magnifique.

    Giono, Jean, Regain, in Romans et Essais, Le livre de Poche, coll. Pochothèque, 1991, 4/5

     

  • Mon couronnement - Véronique Bizot

     

    Monsieur Kaplan étant oublié, mais monsieur Kaplan a été subitement couronné pour une découverte dont il ne se souvient guère. Il faut dire qu’il en a fait des choses dans son laboratoire autrefois. Mais comment faire face à cette notoriété subite quand la routine et la grisaille ont envahi une vieillesse tranquille ?

     

    Véronique Bizot avait publié jusqu’alors des recueils de nouvelles. Pour son premier roman, elle offre un drôle d’objet qui s’impose par la petite musique grinçante et touchante qu’il dégage.

    Aux premières pages, on se demande où on l’on a bien pu tomber. Et qui diable est ce bonhomme devant qui on défile et qui reste accrocher à son escabeau. Il y a comme un sentiment d’absurdité, et même si par la suite bien des choses vont se décanter et s’expliquer, ce sentiment, lui, va persister. Parce que Véronique Bizot raconte avant toute chose la vie et les petits et grands événements qui la marquent, qu’on les attende ou pas, qu’ils surprennent ou pas. Elle parvient d’ailleurs à merveille à faire passer le sentiment d'étrangeté et parfois d'insécurité auquel ce vieux savant est en proie, alors qu'il observe, comme le scientifique qu'il est un peu resté, son monde rassurant de routine et d'habitude basculer. Du coup, c’est sa vieille femme de ménage, Mme Ambrunaz qui le prend en main, le gavant de petits plats de lentilles qu’il déteste, c’est son fils qui fait sa réapparition, c’est la ronde des souvenirs qui commence et qui se déroule de brèves promenades en voyage au Touquet. Bref, c’est toute l’incongruité de la vie et des fonctionnements de notre société que Véronique Bizot révèle de sa plume pour le moins étonnante. L’ironie douce déborde, l’humour parfois, la désespérance et la mélancolie aussi. On se laisse porter à la rencontre de ce Gilbert Kaplan si attachant dans sa misanthropie et ses réflexions de vieux monsieur indigne qui ne souhaite qu’une chose, c’est qu’on cesse de bouleverser ainsi sa vie et de briser son cœur qui n’en demandait pas tant.

    Une belle découverte chaudement recommandée et un premier roman qui augure d’une œuvre à suivre de près.

    Cuné a aimé, Cathulu aussi.

     

    Bizot, Véronique, Mon couronnement, Actes Sud, 2010, 4/5

  • Le sommeil des poissons - Véronique Ovaldé

    Tout en haut du mont Tonnerre, dans un drôle de village peuplé de femmes, l'une d'entre elles, la mano triste, attend patiemment dans sa maison à courant d'air, luttant contre la maladie grise qui la saisit à chaque saison des pluies. Jusqu'au jour où débarque au village le grand Jo et Bikiti son managé et où la vie soudain dérape.

    Première rencontre avec Véronique Ovaldé et me voilà devant vous perplexe. Parce que ce n'est pas vraiment un roman. Mais ce n'est pas non plus un conte pour adulte puisque c'est ainsi qu'il est aussi définit. C'est une sorte d'entre deux, un récit oral mis par écrit avec toutes les inflexions de la voix du conteur, un de ces récits qui met en garde contre la folie, contre l'amour qui dévore et le manque d'amour qui ronge. Véronique Ovaldé met en scène un univers qu'on imagine tropical, mais fait voyager son lecteur du désert de sable au désert de glace avant de l'emmener dans un pays de boue et d'insecte. Dans ce cadre étrange, elle distord la réalité, la plie à la folie et aux faiblesses de ses personnages, y met de la sorcellerie pour parler du manque d'amour et des extrêmités où il conduit. L'ogresse de cette histoire est femme et femme vide, tellement vide qu'elle est prête à tout pour se remplir d'un homme, d'un enfant, et enfin éloigner la tristesse des jours. Jusqu'à commettre l'irréparable.

    C'est un conte dans le sens où le récit explore les peurs des adultes et les dangers de la vie. Mais l'écriture, très travaillée, nuit pour moi à la force des thèmes. On a l'impression que l'auteur se laisse emporter par l'exotisme de son décor et par ses personnages. Certains mots inventés, certaines expressions, certaines tournures de phrases m'ont gênée, fatiguée, agacée même. Tout comme l'aspect très oral de la narration. Ce fut donc pour moi une lecture en demi-teinte, marquée par quelques beaux passages, par une atmosphère, mais un brin longuette.

    Dommage, mais la première rencontre ne pouvant pas toujours être la bonne, je continuerai ma découverte de Véronique Ovaldé!

    Je lis a aimé.

    Ovaldé, Véronique, Le sommeil des poissons, Points, 2000, 2.5/5

  • Le soleil des Scorta - Laurent Gaudé

    Montepuccio, petit village des Pouilles, écrasé de soleil, de chaleur et de lumière. C'est là-bas qu'en 1870, un homme un jour, accomplit sa vengeance, donnant naissance à une lignée poursuivie par la malédiction de ses origines. Avec le sang des Scorta, c'est la folie, la haine, l'amour fou et la volonté sans faille de vivre qui se transmet.

    En fait, je m'aperçois que je n'ai pas envie de réduire ce roman à un résumé de quelques lignes. Trop de choses, trop de personnages marquants, trop de lumière. Laurent Gaudé et moi, c'est ou tout, ou rien. Je l'adore ou je le déteste. Dans ce cas précis, je l'adore. Sous sa plume, c'est une histoire familiale aux accents de tragédie qui se déroule avec ses brefs moments de bonheur, les épreuves, la lutte sans fin contre les aléas du sort. 

    L'écriture de Laurent Gaudé transporte littéralement dans ces paysages écrasés de soleil, face à la mer qui étincelle. On sent les odeurs de poisson, on entend les bruits du village et on en perçoit les ruelles et l'atmosphère faite de superstitions, de traditions, du travail rude qui épuise, des ragots et de la solidarité. On habite ces lieux et on vit avec les Scorta tous les moments de leur existence. Grâce sans doute à la voix de Carmela la vieille femme qui se confie au curé du village, grâce, sans aucun doute à la manière dont Laurent Gaudé sait rendre ses personnages et les paysages qui les entourent proches et familiers. Carmela en est un exemple: la manière dont elle s'adresse au curé, l'histoire qu'elle raconte avec cette volonté de faire comprendre à sa petite-fille ce qu'être un Scorta signifie la rend à la fois solaire et attendrissante. Elle est forte Carmela, elle a survécu à tout: à la honte, à la maladie, aux épreuves qui ont jalonné sa longue existence, à la mort de ses frères, à ce qui a fait qu'elle est restée la soeur des Scorta malgré son mariage.

    Ce que Carmala raconte, et ce qui est raconté à travers l'histoire de cette famille, c'est la transmission familiale des valeurs, le poids des drames et des secrets, la force du lieu où on s'enracine. Car les Scorta reviennent toujours à Montepuccio, ne pouvant jamais longtemps quitter la terre où leur lignée est née malgré les changements, malgré la transformation du village de pêcheurs en station balnéaire. Ils sont forgés à l'image de cette terre les Scorta: durs à la tâche, rugueux, taciturnes, intelligents. Avides de vivre et de gagner quelques moments de bonheur. Il y a des passages qui chantent et qui laissent rêveur de tant de beauté et de vérité: celui du banquet en est un. IL m' profondément touché, à la fois pour ce qu'il évoquait et par la puissance de ce moment partagé.

    Comme antipasti, Raffaele et Giuseppina apportèrent sur la table une dizaine de mets. Il y avait des moules grosses comme le pouce, farcies avec un mélange à base d’oeufs, de mie de pain et de fromage. Des anchois marinés dont la chair était ferme et fondait sous la langue. Des pointes de poulpes. Une salade de tomates et de chicorée. Quelques fines tranches d’aubergines grillées. Des anchois frits. On se passait les plats d’un bout à l’autre de la table. Chacun piochait avec le bonheur de n’avoir pas à choisir et de pouvoir manger de tout.

    On mange dans le Sud avec une sorte de frénésie et d’avidité goinfre. Tant qu’on peut. Comme si le pire était à venir. Comme si c’était la dernière fois qu’on mangeait. Il faut manger tant que la nourriture est là. C’est une sorte d’instinct panique. Et tant pis si on s’en rend malade. Il faut manger avec joie et exagération.”

    Il y a encore bien des passages que j'aimerais citer, qui ont fait vibrer en moi la corde du sud. Seul regret, l'impression que par moment Laurent Gaudé est rester à la surface quand j'aurais aimé qu'il plonge et qu'il gratte un peu plus l'histoire de ce village et de cette famille. Mais malgré cela, les Scorta vont rester longtemps dans ma mémoire.

     

    C'était une lecture commune avec Karine:) qui a beaucoup aimé et Reka.

    On en parle sur la blogosphère: chez Marie, Melmelie, Allie, ... 

  • Markus presque mort - Valérie Sigward

     

    Markus et Franck étaient unis par une amitié scellée par les longues virées en mobylette, le loisir principal des jeunes de cette petite ville perdue. Mais l’amitié s’est brisée un soir, comme la mobylette et les corps broyés par l’accident. Devenu adulte, Franck ressent le besoin de parler, de raconter et d’expliquer.
     
    Long monologue intense oscillant entre passé et présent, Markus presque mort donne à entendre à travers Franck la voix d'une amitié adolescente et de vies brisées avant d’avoir commencé. Franck raconte l'accident les blessures, les séquelles avec des mots simples qui nouent le ventre et beaucoup de pudeur. Il raconte aussi la vie quotidienne d’une classe populaire, l’ennui poisseux et étouffant, la routine et le bonheur malgré tout. Petit à petit affleurent les non-dits, les failles et les fragilités des adolescents qu'ils étaient et des adultes qu'ils sont devenus. On est pris au piège d'une plume faussement simple qui parvient avec une grande économie de moyen à faire entrer le lecteur dans un drame psychologique étouffant.
    Par petites touches, à l'aide de petits détails, Valérie Sigward instille un doute, qui fait augurer d'autre chose. Un flottement dans la narration, cette haine que Franck porte à son frère, son refus d'aller voir Markus à l'hôpital... La construction habile du roman : trois longs chapitres découpés en courts paragraphes instille une tension croissante jusqu'au dénouement brutal qui fait presque entrer dans une dimension fantastique. Dans les dernières pages, c'est toute la cruauté et l'absurdité de l'humanité qui est révélée. C'est sans conteste un texte fort et émouvant. Pas un coup de cœur cependant, tant le style, particulier, demande un effort pour entrer dans le récit.

    Sigward, Valérie, Markus presque mort, Julliard, 2009, 3.5/5