Fin 1667, Magdalena van Beyeren confie au papier ce qu'elle ne peut dire: le secret qui l'étouffe, ses frustrations de femme et d'épouse, ses peurs de mère.
Merveilleux tableau que cette scène d'intérieur toute en détails, en nuance et en mystère. Ces mystères, Gaëlle Josse s'en empare pour donner une voix à cette femme dont on ne connaîtra jamais le visage: Magdalena van Beyeren, épouse de l'administrateur de la Compagnie des Indes orientale dont elle n'a pu prendre la direction, mère et soeur.
Exutoire de ses peines et de ses regrets, les pages de son journal dévoilent la vie foisonnante d'un port des Pays-Bas et le monde des armateurs. Mais si le tableau de cet univers est vivant, ce n'est rien à côté de celui que Magdalena peint d'elle-même, elle qui se sent tout doucement basculer du côté de la vieillesse et qui regarde sa vie présente au miroir des peurs et des espoirs de sa jeunesse. Il y a de la mélancolie, de la solitude, des frustrations, de la joie et de l'amour.
C'est un texte tout en finesse, qui offre de beaux moments de poésie et dont la construction à partir de ce tableau est, à mon sens particulièrement intéressante. On est loin de l'histoire de l'art et des interprétations qui ont pu être données de cette oeuvre de de Witte, mais par le jeu du journal, Gaëlle Josse rappelle ce miroir, le mystère présent sous l'apparente tranquillité domestique tout en s'appuyant sur chaque détail pour donner corps à son récit. L'exercice est merveilleusement réussi.
"Mais la vie est ainsi, elle recèle quantité de portes secrètes dont on ne soupçonne point l'existence, tant que nul événement ne vient y frapper. On se découvre alors un visage bien surprenant que l'on peine à accepter comme sien, tant il diffère de celui que l'on montre d'ordinaire, auquel chacun est accoutumé."
Josse, Gaëlle, Les heures silencieuses, Le livre de Poche, 2012, 88p.