En la belle ville de Macil se côtoient marchands, soldats, nobles et vilains. A la Citadelle s'oppose le Port, et au Port la Colline, enclave dans la ville, quartier des miséreux. En la belle ville de Macil les poètes révoltés meurent et ceux qui restent, sur la Colline, n'attendent plus qu'un rêve pour enfin se révolter contre l'injustice de leur lot quotidien. Ce rêve, est celui de Karel, le poète assassiné dont Parleur reprend les mots jusqu'à entraîner la Colline dans ce que personne n'aurait imaginé.
Ce pourrait être de la fantasy. En un sens, c'est de la fantasy, de celle qui est inclassable et qui laisse totalement émerveillé. Pourtant point de sorciers, de lutte contre le bien et le mal, de fées ou de barbares, en tout pas de ceux qui rebutent les réfractaires au genre. Juste un cadre époustouflant, des personnages fascinants et une histoire passionnante. Macil est un vase clos, enfermé entre mer, marais et montagnes. Dans ce vase clos, un univers féodal, dominé par une noblesse qui, enfermée dans la Citadelle des princes de Macil, ne voit plus ni n'entend le peuple derrière les murailles. Famines, impôts, vexations, violences sont le lot quotidien, particulièrement sur la Colline, ce quartier à la réputation sulfureuse d'où venait Karel. Mais Karel a laissé derrière lui des mots, des idées, et surtout, surtout, des rêves. Or, "On ne bâtit rien sur le désespoir, fors la haine, mais avec la colère et l'usure des souffrances qui se répètent, avec la faim et la peur du lendemain, avec nos seuls coudes serrés pour nous tenir chaud, et nos larmes en échos, et nos rires enfuis, un jour, avec juste ça, entre hommes et femmes, nous n'aurons plus besoin que d'un rêve pour nous éveiller."
Ayerdhal raconte ce rêve, et l'utopie qui prend corps et âme à la Colline, portée par Parleur le vagabond qui a jeté son baluchon du côté de l'auberge des Enselvains, par Vini, la soeur de Karel, par quelques autres, et, finalement, par toute une communauté. IL est intéressant de constater qu'entre la première édition et celle-ci, le titre, Parleur ou les chroniques d'un rêve enclavé est devenu Chroniques d'un rêve enclavé. C'est révélateur de la place de la communauté dans cette oeuvre qui est avant tout politique. Avec la Colline, Ayerdhal met en place les conditions de la création d'une commnauté égalitaire, pacifiste, libre et démocratique à l'antique. Poussée par la famine et un hiver atroce, la Colline va s'enfermer derrière des murs, sans recourir à la violence. Derrière les murs élevés qui en font une enclave, elle va réunir ses forces, s'organiser, d'abord portée par le petit groupe des Enselvains, puis par l'ensemble des collinards. Il faut se nourrir, se défendre, négocier avec les contrebandiers qui tiennent les marais pour trouver des moyens de subsistance, commercer aussi dès lors qu'il y a enfin assez pou survivre. Il faut aussi faire face au pouvoir, celui de Macil, mais aussi celui qui s'exerce forcément aussi dans l'enclave, qu'il ait été donné par un vote, ou par la légitimité qu'apporte une compétence. Du coup, c'est toute une réflexion sur le pouvoir, la place et la force des puissants, la révolte, la violence politique et le pacifisme qui sous-tend le récit. L'histoire de l'enclave n'est pas celle d'une utopie, mais bien un regard sur la manière dont l'utopie se confronte à la réalité, s'en nourrit et en meurt pour donner autre chose.
Mais il n'y a pas que ça. Dès le prologue, Ayerdhal happe le lecteur. C'est parfait, tout simplement parfait: Vini et Parleur qui se rencontrent pour la première fois, les souvenirs, le décor de Macil, la Colline autour et cette atmosphère incroyable de tristesse, mais aussi de vitalité. La première impression est souvent la bonne? Et bien dans ce cas précis, rien par la suite n'est venu infirmer le sentiment de bonheur qui m'a saisit dès les premières. On suit avec bonheur les personnages et la plume d'Ayerdhal jongle entre prosaïsme et poésie. On a parfois l'impression de flotter dans un rêve, à d'autres moments de sentir le bonheur qu'apporte le soleil par une belle journée d'été, et parfois, de devoir supporter la morsure du froid et des vexations. Une chose est certaine, je me suis investie dans l'aventure de la Colline et attachée aux personnages au point de sentir par moment les larmes poindre ou la peur me nouer le ventre.
Dans tout cela il y a une humanité, un espoir malgré une fin que je ne dévoilerai pas qui en font un grand roman, en tout cas un de ceux qui vont prendre racine dans ma vie de lectrice et y laisser une trace durable. Merci monsieur Ayerdhal.
Ayerdhal, Chroniques d'un rêve enclavé, Le diable Vauvert, 2009, 5/5