Veuf respectable et bien nanti d’une cinquantaine d’année, sir Michael Audley tombe fou amoureux de miss Lucy Graham, préceptrice des enfants du médecin du village. Mais ce qui pourrait être un conte de fée va tourner au cauchemar. George Talboy, ami proche du neveu de sir Audley disparaît mystérieusement dans les jardins du vieux manoir alors que les deux jeunes gens étaient en vacances et logés à l’auberge du village. Cela a-t-il un lien avec le fait que lady Audley s’employait à éviter toute rencontre avec ce veuf désespéré par le décès de sa femme survenu quelques jours seulement avant son retour d’Australie ? Les zones d’ombres s’étendent autour de la jeune et jolie lady…
Paru en feuilleton au cours de l’année 1862, cette œuvre de Mary Elizabeth Braddon, grande amie du sieur Dickens himself a sans nul doute déchaîné les passions de ses lecteurs. Crime mystérieux, angoisse, suspense, disparitions, retournements de situation, chantage, tous les ingrédients d’un bon thriller à la sauce 19e y sont, et même plus ! Tous les atouts et les défauts du feuilleton aussi d’ailleurs. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, ce classique de la littérature est d’une lecture très agréable. Mais dieu que l‘intrigue est cousue de fils blancs et émaillée d’ellipses et de rebondissements improbables ! Autant dire qu’on a deviné presque depuis le début quels sont les affreux secrets des protagonistes de l’histoire. Mais comme ce n'est pas dans le suspense que réside le charme de ce roman, ce n'est pas bien grave. Il reste l'ambiance délicieusement victorienne, les manoirs et leurs passages secrets, la campagne anglaise, ses ports et les us et coutumes d'un monde qui prend pour le lecteur d'aujourd'hui, des teintes agréablement passées.
Je m’arrête un instant sur les aléas de la traduction. Il se trouve que j’ai lu se roman en anglais, avec certes quelques petites difficulté mais en appréciant la saveur de la langue anglaise et les grandes envolées lyriques des personnages. C’est assez amusant, cette propension qu’ont les personnages à se lancer dans de grands monologues sur les hésitations, leurs remords, leur devoir et tout le tintouin. Et encore plus amusant de constater qu’une grande partie de ces monologues sont purement et simplement coupés dans la version française ! il faut dire que certains sont indigestes et n’apportent pas grand-chose à l’intrigue. Le style de la traduction est ceci dit remarquablement lourd.
Là, je risque spoiler quelque peu. Avis donc aux réfractaires, mais je ne vois guère comment analyser autrement la condition féminine telle qu'elle est vue dans ce qui était, avant tout, un divertissement moral.
Il est vrai que Braddon ne pouvait guère adhérer aux mauvaises actions de lady Audley et de quelques autres des dames et demoiselles qui apparaissent dans son récit, mais je n'ai pas pu m'empêcher de m'attacher plus à l'ancienne miss Graham qu'aux autres personnages. Ses actes sont dictés par la volonté d'échapper à la pauvreté, et on se dit que Robert Audley et sa petite vie confortable ont beau jeu de lui reprocher ses actes. Elle est à mon sens beaucoup plus admirable qu'Alicia Audley par exemple, qui rejette sa jeune belle-mère parce que celle-ci lui prend sa place dans le coeur de son père. Lady Audley va au bout du chemin: mauvaise épouse, mauvaise mère, intrigante, meurtrière, elle incarne le diable. Ceci étant dit, aucune des figures féminines du roman n'est lisse: Alicia chasse et affirme sa personnalité, Clara Talboys que Robert Audley voit comme un ange est assoiffée de vengeance encore que freinée par sa condition de femme de bonne famille, Phoebe se marie par obligation mais n'hésite pas à recourir à tous les moyens pour parvenir à ses fins, quand à Lucy Audley, j'en ai déjà parlé. De quoi faire tenir aux personnages masculins quelques propos misogynes sur la nature de ces dames mais voilà qui correspond au moins à l'anticonformisme de la dame, actrice, pionnière du roman à suspense vivant en ménage avec un homme marié et père. La morale est sauve à la fin, c'est inévitable mais presque dommage! Seul regret, les envolées moralistes et philosophico-religieuses alourdissent sans conteste l'intrigue malgé un humour dont on perçoit des traces. Du moins aux yeux de la lectrice du 21e siècle que je suis.
Je cesse de spoiler.
Bref, c'est une romancière que je suis heureuse d'avoir découvert, mais Le secret de lady Audley n'est sans doute pas son oeuvre maîtresse et ne présente à mon avis comme intérêt aujourd'hui que son côté pittoresque de feuilleton et quelques uns de ses personnages. Je ne m'arrêterai pas en si bon chemin!
Le tout a été lu dans le cadre de pas moins de 2 challenges:
Keisha en parle!
Braddon, Mary Eizabeth, Lady Audley's secret, Wordworth, 1997, 400 p., 3/5