Encore adolescent Sépha a quitté l’Ethiopie. Bien des années plus tard, il tient une petite épicerie dans une banlieue pauvre de Washington. Entre son oncle, ses amis il tente vaille que vaille de survivre et de se reconstruire. Mais les temps changent, et le quartier voit arriver peu à peu des familles plus aisées. C’est ainsi qu’entrent dans la vie de Sépha Judith la blanche et sa petite fille métisse Naomi. Entre l’homme blessé et l’enfant va naître une amitié étrange, fragile et destructrice.
C’est un roman que je voulais lire depuis un certain temps déjà. Les critiques que j’avais pu lire à son sujet, les présentations passionnées des libraires m’avaient plus que convaincue. J’oscillais donc entre la volonté de ne pas augmenter ma PAL et une envie croissante ! Finalement l’honneur est sauf puisque j’ai pu emprunter l’ouvrage incriminé en bibliothèque ! Enfin, l’honneur est sauf… Maintenant que je l’ai lu, j’ai la ferme intention de lui faire intégrer ma bibliothèque personnelle ! Qu'Emeraude me pardonne, ce n'est pas encore une lecture légère!
Dinaw Mengestu réussit là un très beau premier roman, maîtrisé, mature, profond.
C’est l’exil et le déracinement qui sont au cœur de son œuvre.
« De fait, je n’étais pas venu en Amérique pour trouver une vie meilleure. J’étais arrivé en courant et en hurlant avec les fantômes d’une ancienne vie attachée à mon dos. Mon objectif, depuis lors, avait toujours été simple : durer, sans être remarqué, jour après jour, et ne plus faire de mal à qui que ce soit. »
A travers ses personnages Dinaw Mengestu montre sans didactisme, sans lourdeurs que les noirs américains forment une communauté diverse, que ceux que nous réunissons sous une même dénomination, par facilité sont comme le continent dont ils sont originaires : divers. Sépha est éthiopien, ses amis son congolais kenyans. D’autres dans le quartier sont descendants d’esclaves, d’autres encore viennent d’autres pays d’Afrique. Tous essaient de survivre, de gagner une place, et de vivre entre le souvenir du pays, les traditions et ce grand pays qui les accueille sans pour autant leur faire de cadeau.
En écoutant Sépha dérouler ses souvenirs, on découvre toutes les phases par lesquelles passe un immigrant : le déni, la volonté de croire en un retour possible, l’acceptation et l’espoir d’une vie nouvelle et peut-être meilleure, l’acceptation et la déception, l’acceptation et l’amertume. L’isolement aussi de celui qui a choisit de tracer son chemin hors de la communauté reconstituée. « La vie, ici, est aussi proche que possible de la vie au pays, ce qui est précisément la raison pour laquelle je suis parti au bout de deux ans et celle pour laquelle mon oncle est resté. » Entre un monde idéalisé et autarcique et la confrontation entre le monde extérieur, deux choix de vie, deux échecs finalement. Comment ne pas se perdre quand on a perdu tout ce que l’on connaissait ? Comment retrouver du sens ?
« Que disait toujours mon père, déjà ? Qu’un oiseau coincé entre deux branches se fait mordre les ailes. Père, j’aimerais ajouter mon propre adage à ta liste : un homme coincé entre deux monde vit et meurt seul. Cela fait assez longtemps que je vis ainsi, en suspension. »
Ces questions, Dinaw Mengestu n’y répond pas. Il se contente de montrer Sépha se débattre dans ses contradictions, ses espoirs déçus et ses souvenirs. Et les amis de Sépha faire de même et tenter de se détacher d’un monde qui vire à l’absurde.
« Tout est magnifique avec toi.
- Pas tout.
- Mais presque tout, bordel.
- Il suffit d’avoir la bonne perspective.
- Qui est ?
- L’indifférence. Il faut que tu saches que rien de tout cela ne va durer. Et après, il faut t’en foutre.
- Et après, le monde devient magnifique ?
- Non, il devient ridicule. Ce qui est assez proche pour moi. »
Lorsque Sépha croise le chemin de Judith et Naomi, c’est pour lui l’espoir d’un lien possible, l’espoir de briser la solitude, de s’attacher enfin. Un espoir insensé tant le fossé qui le sépare d’elles deux est profond. Un bref moment de bonheur, de répit avant que le monde ne les rattrape tous les trois
Une Amérique qui peine à faire se côtoyer riches et pauvres, où les tensions sociales, raciales, la méfiance mènent aux drames. Où si l’on sort un jour de l’enfer, comme Dante à qui est dû le titre du roman, on découvre les belles choses que porte le ciel sans toujours pouvoir les atteindre.
On découvre aussi le drame d’un continent déchiré : Sépha et ses deux mais ont un jeu cruel autour des dictateurs et des coups d’Etat, un jeu qui dure encore et toujours tant sa matière semble inépuisable et inépuisable les morts et le sang qui coule. Tous ont eu leur lot d’horreur et de drame, mais plutôt que d’en parler, ils discutent des heures durant des secousses politiques qui agitent l’Afrique. « Nous avions toujours été plus à l’aise avec les tragédies du monde qu’avec les autres. Coups d’Etat, enfants soldats, famines, tout cela faisant partie du même lot de chagrins permanents que nous évoquions sans cesse, afin d’éviter nos propres frustrations et les déceptions causées par la vie. »
C’est un roman au contenu tellement riche que je n’ai même plus envie de parler des quelques petites choses qui m’ont dérangées… Si peu de choses comparé à la qualité du récit : l’alternance temporelle un peu difficile à suivre, quelques petites longueurs. Une belle lecture qui m’a touchée par ses personnages pétris de contradictions, vivant entre deux mondes et incapables d’en sortir.
Dinaw Mengestu, Les belles choses que porte le ciel, Albin Michel, 2007, 303 p.
Dinaw Mengestu, Les belles choses que porte le ciel, Albin Michel, 2007, 303 p.