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SFFF - Page 16

  • La ligue des héros

    Contextualisons un brin: 5ème rencontres de l'imaginaire de Sèvres, 13 décembre 2008. Frigorifiée et surexcitée comme il se doit, je me dirige vers le lieu de toutes les perditions avec mes trois complices dans le crime, oeuvrant pour la promotion de la science-fiction, de la fantasy et du fantastique dans un réseau de bibliothèques publiques dont je tairai le nom. Après plusieurs tours des lieux, des rencontres avec des éditeurs successivement diablement sexy, adorablement touchés et sympathiquement souriants, nous voilà lancées dans la quête de l'auteur intégré avec tambours et trompettes dans nos coups de coeur de l'année 2008. Et me voilà toute gênée, poussée dans le dos par des collègues plutôt hilares (traîtresses) vers M. Xavier Mauméjean que je vénère depuis ma lecture de Lilliputia. Lequel se révèle fort abordable et sympathique au point d'accepter de répondre à quelques questions sur son oeuvre.

    Seulement voilà, Ô rage, Ô désespoir, ma connaissance de l'oeuvre de M. Mauméjean se limite à Lilliputia. Qu'à cela ne tienne, une virée dans la boutique jaune et bleue bien connue plus tard, je m'attaque dans la joie, la bonne humeur et l'angoisse la plus totale (vais-je aimer, la question est cruciale) à La ligue des héros.?

     

    Allons-y pour le pitch:

    Le cycle de Kraven, t. 1, La ligue des héros: 1969, banlieue londonienne. Un vieil homme amnésique est ramené dans sa famille par deux infirmiers. Des bribes de souvenirs vont peu à peu lui revenir à la lecture des comics et des pulps que Syd le hippy, ami de son petit-fils avec qui il a sympathisé, lui prête. Des souvenirs qui font de lui lord Kraven, sauveur de l'empire.

    1902, Angleterre victorienne. Peter Pan et les créatures du Pays de Nulle Part ont envahi Londres. Lord Kraven et les  membres de la Ligue des héros combattent pour sauver l'Empire sous la férule de Sir Baycroft.

     Deux destins, deux époques qui vont finir par se rejoindre de la plus fantastique des manières.

     

    Le cycle de Kraven, t. 2, L'ère du dragon:

    Pékin, 1900. La capitale de l'Empire du Milieu est en proie à la révolte des Boxers. Les créatures de l'Internationale Feérique de Peter Pan se joignent aux insurgés qui menacent les délégations occidentales défendues par les Héros de toutes les nations d'Occident. Au même moment, l'enfant qui refuse de grandir met en branle un terrible complot qui menace l'existence de l'humanité. La ligue des héros parviendra-t-elle à sauver, non plus seulement l'Empire, mais le monde?

     

    Vous n'y comprenez rien? C'est normal. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est normal, mais vu la capacité de Xavier Mauméjean à faire tourner en bourrique son lecteur en deux coups de cuillères à pot, je ne vois pas comment établir quelque chose qui ressemble à un résumé cohérent de l'intrigue. A l'impossible nul n'est tenu, etc., etc. Parce qu'il faut le dire, et tout de suite, tout cela est brillant. J'en suis ressortie avec un pauvre petit cerveau en surchauffe, des étoiles plein les yeux et une nouvelle passion pour les comics, cela étant une autre histoire dont vous aurez bien assez vite les échos.

    Revenons à nos moutons, enfin, nos héros. Lord Kraven, le Seigneur des arbres, autrement dit Tarzan, le shaman détective, English Bob se battent depuis des années contre des méchants fous à lier fermement décidés à conquérir/détruire (rayer la mention inutile) le monde dans une Angleterre dont on ne sait guère si elle est réelle, ou si elle est l'écho des délires d'un vieil homme amnésique qui lit trop de romans populaires et de comics. L'ambiguité, tenace, est accentuée par la construction de l'intrigue: on quitte le vieux Kraven pour suivre les exploits de la Ligue des héros dans une série de fragments plus ou moins chronologiques. On découvre l'histoire du Lusitania, celle du combat contre le Docteur Fatal, le Baron Rouge dans un combat aérien ébouriffant, une mission au Caire contre Le club des dynamiteurs, l'horreur des tranchées de la première Guerre mondiale... C'est foutraque, voire bordélique, mais petit à petit, en sautant de coqs en ânes, on voit se dessiner un univers, une trame dont on ne sait pas où elle nous mène, même si on sait qu'elle arrive forcément quelque part. Et puis, sans qu'on s'y attende, tout bascule en un épilogue qui remet en question tout ce que l'on a pu lire et qui pose la première pierre d'un deuxième tome qui va se révèler tout aussi palpitant.

    Le cycle de Kraven est une somme de références aux comics, à la littérature classique, à la littérature populaire. Tellement fourmillante, la somme, que je n'ai pas tout compris ni perçu. Il m'a fallu la chronique de Nebalpour attraper les chaînons manquants (et principalement mooresque) qui titillaient ma curiosité. Parce que honnêtement, le fait de connaître ou pas les oeuvres auxquelles il est rendu hommage importe peu. On suit très bien sans savoir, et le plaisir ressenti à la lecture de ces aventures rocambolesques, improbables et hautes et couleurs n'en est pas amoindri. Si, si, je vous jure. Xavier Mauméjean a des connaissances encycloépdiques, mais les manie si bien que la pilule passe toute seule et qu'on en ressort avec l'envie irrépressible de relire Peter Pan, pourquoi pas Alice au pays des merveilles, Conan Doyle et les autres. Et de rajouter par dessus quelques comics. Jamais les références ne viennent noyer l'intrigue. Elles l'irriguent et la renforcent et se mélangent jusqu'à donner un univers original et attachant. Jusqu'aux clichés héroïques qui reprennent du poil de la bête.

    En plus de tout cela, La ligue des héros est drôle, haletant et intelligent. Oui, je sais, ça fait beaucoup. On rit beaucoup aux aventures de Kraven et de ses amis, mais on retient aussi son souffle pendant leurs batailles. Les événements de Pékin sont un moment d'anthologie (ah! ce combat contre les dragons!). Pourtant, là-dessous, se trouve une réflexion sur les mythes, sur la figure du héros, l'histoire, la société, les relations humaines qui donne de la profondeur aux aventures de la ligue.

     

    Bref, vous l'aurez compris, j'ai aimé. Et pas parce que Monsieur Mauméjena m'est sympathique, juste parce que son roman est bon. Et que je ne boude jamais mon plaisir à plus forte raison s'il est de lecture.

    L'auteur sera demain dans le terrier, histoire de nous en apprendre un peu plus sur son oeuvre. Pour la petite histoire, ma chronique de Lilliputia est par .

     

    Les chroniques de Nebal et (qui se sent seul mais qui ne l'est plus, moi aussi j'ai aimé L'ère du dragon). Un article sur Yodpub, un autre sur SFMag, encore un sur ActuSF...

     

    Xavier Mauméjean, Le cycle de Kraven, t. 1, La ligue des héros, t.2 L'ère du dragon, Points, Fantasy, 4.5/5

  • Et en guest star, Xavier Mauméjean

    Aux 5ème rencontres de l'imaginaire de Sèvres, Xavier Mauméjean a accepté de répondre à un petit (hem) questionnaire sur ses différentes casquettes et ses romans. Qu'il en soit remercié! 

    Vous faites référence de manière non dissimulée au mythe de Promethée dans Lilliputia, mais aussi à la notion de sacrifice et de rédemption. Il semble que vos connaissances en philosophie et en science des religions nourrissent votre oeuvre (ai-je tort?). Être écrivain a-t-il une influence sur la manière dont vous abordez l'enseignement? 

    Je trouve mon équilibre entre enseignement et écriture. J’aime partager une pensée qui n’est pas la mienne avec mes élèves, et développer une pensée personnelle dans l’intimité de l’écriture. Il se produit bien sûr une interaction entre ces deux activités, que j’estime nécessaire.   
     

    - Vous semblez fasciné par le mythe et sa naissance... Lilluptia est-il une manière d'interroger le mythe américain? D'en faire naître un nouveau? 

    Très certainement. Je suis marqué par une phrase du célèbre mythologue Franz Boas : « Il semble que les univers mythologiques n’ont été bâtis que pour éclater et permettre la reconstruction de nouveaux mondes à partir de leurs fragments. » C’est déjà ce que j’avais entrepris dans La Ligue des Héros et L’Ere du Dragon, une relecture du XXe siècle à partir de ses icônes, sous forme de collage d’inspiration pop-art.

    Le mythe m’intéresse en ce qu’il est toujours récit d’une origine. Et le thème de tous mes textes est précisément le commencement. Quand une situation installée, collective ou individuelle, est affectée par un brusque changement.   

    - Ganesha, Freakshow, Lilliputia, vous faites preuve d'une certaine fascination pour le difforme, ce qui est considéré comme anormal. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi? Est-ce parce que c'est au fond de cette anormalité que l'on trouve ce qu'il y a de plus humain?  

    Sans aucun doute, avec toute la difficulté à définir ce qui relève de la normalité chez l’être humain dont la nature est, par essence, imprévisible. Chaque individu est excédentaire, toujours au-delà de ce qu’il paraît. Sachant que, par ailleurs, l’anormalité ne peut être saisie autrement que par un discours qui se veut normal, ou tout du moins recevable. Il s’agit donc tout au mieux d’une traduction, forcément imparfaite.  

    - La question de l'altérité pose aussi celle de l'identité: est-ce un thème central pour vous? 

    À nouveau juste. Dans un premier temps l’identité subie, conférée par la structure, puis celle gagnée par l’individu, quel qu’en soit le prix.   

    - Une question me titille: dans Lilliputia, il est fréquemment fait référence à la nourriture, et au moins une fois de manière centrale avec la fameuse histoire du hot-dog. Aimez-vous, vous-même la bonne chère?  

    Houlà oui, et mon poids s’en ressent… Et puis, se nourrir est une activité nécessaire, reconduite plusieurs fois par jour. Il était donc fatal qu’elle acquiert une dimension symbolique, dans ses rituels et interdits. Les usages qui y sont liés sont une perpétuelle source d’inspiration.

    J’ai écrit une nouvelle, La Faim du Monde, qui décrit comment la paix est instaurée sur terre par un rituel anthropophagique périodiquement reconduit par l’O.N.U. Beaucoup de lecteurs m’ont dit que, ce qui est horrible, c’est qu’elle donne faim ! On peut l’entendre, très joliment lue par Rita Gay, à :

    http://www.utopod.com/2007/03/31/utopod-002-la-faim-du-monde-de-xavier-maumejean-1-sur-2/ 

    Avec lequel de vos personnages aimeriez-vous partager un repas?  

    Pas avec Elcana car les portions seraient trop petites, ou alors juste pour déguster. Peut-être avec le héros de La Vénus anatomique,Julien Offroy de la Mettrie. J’ai beaucoup d’affection pour ce philosophe, chirurgien et libertin qui a réellement existé. Il était à la fois profond et drôle, sérieux sans se prendre au sérieux.  

    J'aimerais maintenant vous faire parler de vos autres activités...  

    - Vous écrivez notamment des dramatiques pour la radio. Que vous apporte ce format?   

    C’est une manière d’écriture totalement originale, puisque tout doit passer par les dialogues. Cela m’a d’ailleurs beaucoup appris, pour mes romans et nouvelles. Le côté incisif, où chaque mot est important. Et puis l’on travaille avec un réalisateur qui s’approprie votre texte, lui donne une dimension inédite. C’est assez rare pour un auteur d’être surpris par ce qu’il a écrit, la radio le rend possible. Un peu d’ailleurs comme l’avis des lecteurs qui éclaire autrement l’œuvre.  

    - Vous êtes également directeur de collection chez Mango et aux Moutons électriques (vos journées ont-elles vraiment 24h comme les nôtres?). Qu'est-ce qui vous a amené vers cette activité? 

    Un grand plaisir à travailler avec d’autres auteurs, cette fois-ci comme lecteur. Et puis, en ce qui concerne Royaumes Perdus,  la satisfaction de distraire les jeunes lecteurs en les éduquant.   

    - Vous écrivez des romans jeunesse avec Johan Heliot (La série Le bouclier du temps). Écrire pour la jeunesse est-il très différent d'écrire pour les adultes ? 

    Non, pas vraiment, dans la mesure où, à chaque fois, il faut faire preuve d’intégrité, respecter le lecteur. L’écriture jeunesse, loin d’être un parent pauvre, est au contraire exigeante, car le jeune lectorat ne passe aucune facilité. Le philosophe espagnol Fernando Savater disait : « L’enfant est le plus redoutable des lecteurs, car il est le seul à interrompre sa lecture pour aller vérifier le sens d’un mot dans le dictionnaire ». J’aime beaucoup la formule.   

    - Le fait que vous travaillez pour un éditeur jeunesse m'amène à vous demander si vous pensez que les enfants et les adolescents sont plus sensibles à la science-fiction, la fantasy ou le fantastique que les adultes qui pour beaucoup les considèrent encore comme de la sous-littérature?  

    Question pertinente, mais qui n’appelle aucune réponse claire. Je crois qu’enfants et adolescents ne fonctionnent pas par genre. À l’inverse de trop d’adultes, hélas souvent cultivés. Par exemple, pour certains de mes collègues enseignants, je suis devenu auteur le jour où Télérama, ou Le Monde, ou France Culture etc. m’ont adoubé. Du jour au lendemain, j’avais l’estampille « Culturellement correct » et devenais lisible. Les jeunes aiment tel livre, ou pas, sans avoir à se justifier. Ou alors ils ne lisent pas et l’assument parfaitement, ce qui est aussi une attitude recevable.   

    Dans une interview, quelque chose m'a frappé, que j'avais ressenti à la lecture de Peter Pan. Vous en faites un "méchant" dans la Ligue des héros: voyez-vous vraiment en lui une figure du mal? Barrie a-t-il délibérément fait de son personnage un être ambigu? (en tout cas, nous sommes loin des personnages de Disney)... Ces personnages de livres pour enfants sont-ils selon vous un moyen de parler aux enfants du monde qui les entoure? 

    Si, si, Peter Pan est loin d’être gentil dans les récits originaux de James Matthew Barrie. Il règne en despote sur les Enfants Perdus qu’il soumet à des châtiments corporels ; il enlève des bébés ; et quand l’un de ses proches meure, il s’en éloigne car ne plus le voir, c’est ne plus y penser. De même, Alice évolue dans un Pays des Merveilles qui vaut pour authentique enfer. On y voit des créatures monstrueuses, une méchante souveraine ordonne que l’on coupe des têtes à la moindre contrariété. Tout cela trouve effectivement écho dans les peurs des enfants, apporte des réponses à leur questionnement.    

    Quel est votre meilleur souvenir de lecture d'enfance?  

    « Vingt-mille lieues sous les mers » de Jules Verne. J’étais au lit, grippé, et mon père me l’avait passé, ainsi qu’une table de conversion pour les mesures nautiques. J’ai aussi adoré « La guerre des boutons » de Louis Pergaud.   

    Vous avez également collaboré aux ouvrages sur Sherlock Holmes et Hercule Poirot aux Moutons électriques. Et vous êtes membre du Club des mendiants amateurs de Madrid (réunissant des passionnés de Sherlock Holmes). Vous êtes lecteur de polar? 

    Je l’étais beaucoup plus à une époque. J’aime beaucoup le roman policier traditionnel, mais aussi James Ellroy., Joe R. Lansdale… « Prélude à un cri » de Jim Nisbet a été un grand moment de lecture.     
     
     

    Et pour terminer, parlons un peu du lecteur que vous êtes!  

    Êtes-vous un gros lecteur?

    Que lisez-vous? Littératures de l'imaginaire ou autre? 

    Je lis de tout. Déjà, je me documente énormément à chaque projet. Cela peut aller d’un manuel de plomberie à un mémoire d’époque sur les bordels parisiens au XVIIIe siècle, en passant par le cursus d’un pilote dans la Marine impériale japonaise de février 1944 à mars 1945.

    Sinon, pour le plaisir, je lis des essais, des romans, des comics… 

    Quel est votre dernier coup de cœur ? 

    Pas vraiment mon dernier, mais deux lectures marquantes. Rue des maléficesde Jacques Yonnet, chez Phébus, un texte absolument inclassable, ni fiction ni essai, sur le Paris ésotérique durant l’Occupation. Et puis L’usage du Mondede Nicolas Bouvier, chez Payot. On peut tout lire de ce sublime écrivain voyageur.  

    Que conseilleriez-vous à un lecteur qui voudrait découvrir les littératures de l'imaginaire ? 

    De le faire !

    Un grand merci,

    Xavier  

     

    Merci à vous Xavier!

  • La servante écarlate

     

    Defred est une servante écarlate. Dans la république théocratique de Giléad, elle est de celles dont la matrice a été déclarée ressource nationale. Une esclave parmi des esclaves. Car en un éclair, les femmes ont perdu tous les droits acquis par leurs mères, à commencer par celui de décider de leur destin.  A travers son journal intime, Defred donne à voir ce monde dans lequel elle vit, où toute entorse à la règle religieuse est punie de mort, mais où, comme dans tout régime tyrannique, les déviances n'en sont que plus réelles.

    Si l'utopie donne à voir un monde meilleur, la dystopie, elle, raconte le pire. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que Margaret Atwood offre un roman d'une force rare. Par la voix d'une femme, elle raconte la violence faite aux femmes, ou plutôt, elle sythétise toute l'horreur de la condition féminine. Dans la république de Giléad, les femmes sont réduites à leur seule fonction de reproductrices, d'animal à qui la pensée est interdite. Pas d'école, pas de lecture, pas d'écriture, pas de travail, pas de compte bancaire, juste un voile et un vêtement d'une couleur qui définit leurs statut: épouse, martha destinées à servir, servantes écarlates vouées à la reproduction, ... Seule reste la liberté de penser de celles qui ont connu l'avant, le temps de la liberté. Dans de constants aller-retour entre son présent et ses souvenirs, Defred raconte la basculement, les pensées de la femme et de la mère libre qu'elle a été et qui a vu son monde chavirer, et son époux si peu comprendre sa détresse, les hurlements de désespoir et de haine contenus de l'esclave qu'elle est devenue pour échapper à la déportation en zone irradiée. Chacun de ses mots glace un petit peu plus. Car Margaret Atwood n'invente rien. Ce que vit Defred ressemble fort à ce qu'ont vécu et à ce qui vivent encore les femmes dans le monde. Il suffit de se souvenir de la date à laquelle les femmes françaises ont obtenu droit de vote et droit à l'indépendance financière. Il suffit de se souvenir de ce qui se passe dans des pays comme l'Afghanistan... Elle rappelle tout simplement qu'il suffit d'un rien pour que ce que nous croyons acquis ne nous soit enlevé.

    Ce sont par ces souvenirs et par sa perception du monde qui l'entoure que les mécanismes d'installation et de fonctionnement d'une tyrannie sont tout doucement décortiqués. La violence est faite aux femmes, par les hommes, mais aussi par leurs semblables. Les Tantes, chargées d'enseigner et de surveiller les Servantes écarlates, monstrueuses de sadisme en sont un exemple. Tout comme cette propagande qui veut faire croire que tout cela n'est fait que pour protéger les femmes, les rendre à la sacralité qui doit être la leur et qui n'est que règles de vertu imposées par des hommes qui ont peur des femmes. Quand aux hommes, pris dans les rets d'un gouvernement qui fait espionner ses espions, ils ne sont guère mieux lotis, réduits à se cacher pour jouer au scrabble ou rencontrer des putains affublées de ces vêtements qui ont été brûlés parce que laissant voir le corps des femmes.

    La servante écarlate est un roman exigeant par son thème, pas le style de l'auteur, et par la charge politique, religieuse et symbolique dont il est porteur. C'est un coup de poing et un cri extrêment violent contre un monde capable de réduire l'humain à une machine, à l'animal qu'il est physiologiquement, et finalement, mentalement aussi. Le style d'Atwood ajoute encore à la fascination qu'exerce son oeuvre. On a envie, encore et encore, de suivre les méandes des souvenirs et des rêves de Defred, ses amours, les pas hésitants qu'elle fait pour conserver sa santé mentale et un peu de dignité. J'ai particulièrement aimé l'épilogue, qui ouvre une perspective intéressante sur le récit.

    C'est une lecture salutaire, aussi essentielle que celle de 1984 et de ces romans d'anticipations qui en parlant du futur, parlent du monde dans lequel nous vivons. Un roman qui rappelle, que les mauvais genres sont aussi ceux qui parviennent avec le plus de force à ouvrir les yeux.

     

    L'article de Sylvie, des critiques sur L'oeil électrique, Noosfère, le biblioblog, ...

    Margaret Atwood, La servante écarlate, 5/5

  • L'appel de la lune

    Mercy Thompson est mécanicienne spécialisée dans les vieilles guimbardes allemandes. Pas banal? Et vous ne savez pas tout! Non contente de mettre les mains dans le cambouis, elle sort ses griffes au sens propre quand elle se transforme en coyote et au sens figuré quand son si sexy voisin, chef de meute, loup-garou de son état commence à lui taper sur les nerfs. Or, des raisons de s'énerver, Mercy en a: de mystérieux tueurs viennent mettre sa vie déjà pas si tranquille que ça sans dessus dessous, la contraignant à faire appel à la meute qui l'a élevée...

    Le moins que l'on puisse dire c'est que Patricia Briggs sait y faire! En deux temps trois mouvements, elle campe un décor et des personnages plutôt sympathiques dans leur genre. Mercy Thompson rappelle un peu les personnages de Laurel K. Hamilton, ou de Kelley Armstrong: fière, indépendante, têtue comme une mule et abonnée aux embrouilles en tout genre. Ce n'est pas qu'elle cherche les ennuis d'ailleurs, Mercy. Mais quand on est une changeuse, les choses sont un brin compliquées. Et quand on est une changeuse élevée par des loups-garous, amie avec un fae parmi les plus puissants, copine avec un vampire et objet de la convoitise d'un certain nombre de mâles sexys pas franchement humains, c'est pire!  J'ai vraiment aimé cette héroïne peps, drôle, et énervée. Mais le gros plus de ce qui pourrait être un nouveau roman de bit-lit, c'est l'univers dans lequel Mercy évolue, assez complexe dans son genre. même si elle ne renouvelle pas le genre. Le fonctionnement des meutes de loups-garous, des essaims de vampires, le destin des faes, la migration de toutes ces créatures magiques vers le Nouveau Monde, ses conséquences sur les créatures magiques autochtones, c'est tout une structure sociale magique qui se dessine et qui promet de se développer dans les tomes qui suivent.

    Ceci étant dit, le plus gros atout à mon sens (hem) réside dans les personnages masculins: certes, Zee ne fiat pas grand effet, mais que dire d'Adam, de Samuel, et même de Stefan le vampire? A part qu'ils sont... Sexy? Moui, je crois qu'on peut dire ça! Leurs interactions un brin, voire totalement machos avec une Mercy décidée à ne pas s'en laisser conter mettent de l'ambiance dans une intrigue qui sans être ennuyeuse, ne casse tout de même pas trois pattes à un canard.

    Bref, c'est facile à lire, amusant, il y a des beaux messieurs, des aventures et quelques beignes. Parfait sous la couette par un jour de grand froid! On se laisse faire avec grand plaisir par cette héroïne haute en couleur, qu'à titre personnel, j'ai hâte de retrouver dans la suite de ses aventures (qui va gagner d'Adam, de Samuel ou de Stefan, telle est la question fondamentale)!

    Fashion l'a trouvé sympathique, Vladerkan a bien aimé, Stéphane Pons de Yozone aussi. Isil est moins enthousiaste.

     

    Patricia Briggs, L'appel de la lune, Mercy Thompson t. 1, Milady, 2008 3,5/5

  • Serpentine

     

    Une boutique de tatouage, une aire d'autoroute qui se transforme en refuge, un restaurant dont la patronne se nomme Circé, une maison dont l'esprit familier pleure... Dix histoires où le quotidien s'ouvre sur des failles, portes ouvertes vers l'étrange.

     Réédité dans la collection L'ombre de Bragelonne, ce premier recueil de nouvelles de Mélanie Fazi est un petit bijou. Déjà, le fait que Léa Silhol ait travaillé sur ce recueil dans sa précédente édition m'avait fait hausser un sourcil. Le fait que Michel Pagel ne tarisse pas d'éloge dans la préface, m'avait mis la puce à l'oreille. Et puis, j'ai lu les premières lignes de la première nouvelle, et le charme a opèré. Mélanie Fazi raconte des histoires. Avec une plume toute de douceur, elle introduit dans la vie de ses personnages la petite faille qui va les faire basculer dans un monde plus onirique, plus magique et bien plus sombre que celui qu'ils connaissent.

    A chaque fois pourtant, les lieux sont, sinon connus, au moins familiers. Qui ne s'est pas arrêté sur une aire d'autoroute? Qui n'est jamais passé devant la boutique d'un tatoueur? Et que dire de la ligne 5 du métro parisien avec le nom de ses stations égrené au fil des pages? Autant de lieux sur lesquels elle force son lecteur à avoir un regard nouveau. On peut dire que, d'une certaine manière, elle réenchante le monde. Et elle le rend bien plus effrayant.

    Mélanie Fazi puise ses histoires à bien des sources: Mémoires des herbes aromatiques, par exemple, est, ni plus ni moins la suite des aventures d'Ulysse et Ciré. On sent venir la chute de la nouvelle, bien sûr, mais il est tellement jubilatoire de voir ces immortels se venger les uns des autres avec une absence de scrupule totale, que ce n'est pas bien grave. Petit théâtre de rame fait penser au conte Le joueur de flûte de Hamelin. Et il y a toutes ces figures contemporaines: la rock star, l'adolescente, le serial killer dont les névroses se dévoilent petit à petit et qui sont si humains dans leurs failles. Mais attention, il n'y a pas que de la noirceur dans ce recueil! Le faiseur de pluie qui voit deux enfants délivrer l'esprit familier de la maison de leur grand-mère décédée est une petite merveille de tendresse et de poésie. Et Elegie un cri d'amour poignant. De toute manière, il est difficile de dire ce qui est le plus noir, de cet univers fantastique dont l'auteur trace les contours, ou de la réalité, souvent bien plus atroce qu'on sait présente, comme dans Petit théâtre de rame.

    Finalement, dans chaque nouvelle, c'est une petite part d'humanité qui se dévoile à travers la voix d'un narrateur toujours différent. Mélanie Fazi possède le talent incontestable de faire entendre chacune de ces voix avec une force peu commune, et de créer autour de ces voix, en quelques mots, une atmosphère difficile à oublier.

    L'avis de Nebal, Yozone, Fashion, ActuSF,  

    Une interviewsur Yozone, le blog de l'auteur

    L'auteur a obtenu le Grand prix de l'imaginaire 2005 dans la catégorie nouvelles pour ce recueil.

    Mélanie Fazi, Serpentine, Bragelonne, 2008, 317 p.