Des dragons il y en a douze, douze créatures capables de manipuler l'énergie naturelle présente en toute chose. Par cycles de douze ans, l'un d'eux devient ascendant du cycle de puissance de douze années. Mais depuis 300 ans, un des dragons, le dragon miroir a disparu. Malgré cela, 11 hommes communient avec les dragons pour protéger le pays, leur alliance avec ces créatures leur donnant un pouvoir phénoménal qui les épuise petit à petit.
C'est la veille du premier jour de la nouvelle année, la veille de la cérémonie qui va voir douze garçons de douze ans faire face au dragon ascendant qui va choisir l'un d'eux comme apprenti Oeil du Dragon. Eon est un de ces garçons. Depuis sa naissance il a le pouvoir de voir tous les dragons énergétiques, un don parmi les plus rares qu'il garde secret. Mais ce n'est pas le seul secret qu'il dissimule: Eon n'est pas un jeune garçon de douze ans, il est en fait Eona, une jeune fille infirme de 16 ans, ce qui devrait, de fait, lui interdire le monde de la magie et du pouvoir, strictement réservé aux hommes. Or, si le dragon Rat, ascendant de cette nouvelle année ne la choisit pas, le dragon Miroir réapparaît et en fait son Oeil du Dragon C'est le début de bien des aventures à la cour impériale
Chine impériale, récit d'apprentissage, aventure, amour, Eon et le douzième dragon avait a priori toutes les qualités requises pour me conquérir. L'essais a été transformé avec brio.
Alison Goodman s'est manifestement documentée, et passionnée par son sujet, brosse des décors et des personnages inspirés de la Chine impériale absolument magnifiques. Le résultat est tout simplement époustouflant: l'univers d'Eona est cohérent, crédible et passionnant. Les descriptions de la cour, des vêtements, des cérémonies sont fascinantes et souvent poétiques. Elle a intégré en finesse des éléments de la philosphie du tao et des arts qui en découlent: feng shui, arts martiaux, tout est question d'équilibre entre le lin et le yan, les principes contraires. Mais dans le monde d'Eona, l'équilibre a été rompu, ce qui se traduit dans les structures sociales, les jeux de pouvoir et, symboliquement, dans le fait que le cercle de pouvoir des dragons a été déséquilibré par la disparition mystérieuse du Dragon Miroir. Eona représente ce déséquilibre: normalement, ses talents auraient du rester lettre morte. Fille, elle aurait du rester cantonnée à la sphère des activités féminines: enfants, maison, soumission à l'époux.Ou mourir esclave, puisqu'elle avait été vendue à une mine de sel. Pour pouvoir exploiter ses talents, elle est contrainte à se travestir, à effacer toute trace de féminité au point de se droguer pour faire disparaître les preuves de sa nature de femme. Situation qui la met en danger de bien des manières: danger physique d'être découverte et donc executée pour cette dissimulation et avoir osé briser la loi interdisant aux femmes de devenir Oeil du Dragon, danger mental aussi. IL va falloir qu'elle se réconcilie avec sa féminité, qu'elle l'affirme et l'assume pour avoir une chance de survivre.
Finalement, c'est surtout la question de l'identité et du rejet qui sous-tend le récit: Eona n'est pas la seule dont l'identité est brouillée. Autour d'elle il y a des travestis, comme Dame Dela qui est Contraire, une âme de femme dans un corps d'homme, il y a des Ombres de Lune, des eunnuques dont certains se droguent pour conserver un corps viril. Il y a ceux qui sont rejetés aussi, les infirmes surtout, dont la malchance pourrait "infecter" ceux qui les entoure. Eona et ses compagnons évoluent dans un monde cruel où la survie est rien moins qu'aléatoire, à plus forte raison dans une cour où les ambitions et les luttes de pouvoir gangrènent tout. Eona va se retrouver prise au piège dans les intrigues de cours et dans le combat qui oppose l'empereur et son frère Sethon et qui se répercute dans le cercle des Oeils du Dragon. Eon devient le partisan de l'empereur, s'opposant de fait à l'Oeil du Dragon ascendant, Sire Ido. Le retour du Dragon Miroir marque le passage d'un conflit souterrain en guerre ouverte. Autant dire que les rebondissements vont s'enchaîner. Le tout donne un récit parfois un brin longuet mais passionnant: on suit Eona dans sa découverte de la cour, dans sa prise de conscience des enjeux de sa présence, dans ses combats et dans sa découverte de l'amour. Après tout il faut bien qu'il y ait un peu d'amour!
Je n'ai qu'une chose à dire, vivement le tome 2 pour savoir ce qu'il va advenir d'Eona et qui va conquérir son coeur!
Fashion en parle, Lael aussi, tout comme Karine), et bien d'autres!
Goodman, Alison, Eon et le douzième dragon, Gallimard jeunesse, 2009, 4/5