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Littératures anglo-saxonnes - Page 7

  • Prodigieuses créatures - Tracy Chevalier

    prodigieuses-creatures-184x300.jpgSi Mary Anning a bien une particularité, c'est son amour des curios, ces fossiles qu'elle ramasse sur la plage et qui permettent de nourrir un peu mieux sa famille. Si Elizabeth Philpot fait une découverte en venant s'installer avec ses deux soeurs dans le Dorset, c'est celle des fossiles qu'elle ramasse sur la plage. Tout les sépare: âge, classe sociale, éducation, mais c'est ensemble qu'elles vont bousculer le monde scientifique.

    Je dois dire qu'à priori, les fossiles n'ont pas grand chose pour éveiller mon intérêt. Par contre, si on me dit Angleterre du 19e siècle, assez étrangement, vous me verrez lever le nez, l'oeil luisant. Autant dire que ce n'est guère que pour cette raison que j'ai ouvert le dernier roman de Tracy Chevalier dont les oeuvres ne m'avaient pas jusqu'alors attirée. Enfin, comme dirait l'autre, il faut une première fois à tout pour autant qu'on l'ose.
    C'est un très beau roman à deux voix qu'offre Tracy Chevalier, Elizabeth et Mary racontant chacune son tour une partie de leur histoire commune. A travers leurs voix, on découvre donc le monde scientifique du 19e siècle, ce temps où les théories de l'évolution allaient à l'encontre des dogmes et où l'on tentait de donner leur place aux fossiles de créatures qui apparaissaient comme autant de curiosités. Ce temps où la science appartenait aux hommes quelles que soient les connaissances et les compétences acquises par les femmes, où le respect chèrement acquis par ces dernières pouvait être perdu pour un mot ou une ligne, où leurs découvertes étaient minimisées ou leurs étaient arrachées sans vergogne. Ce monde où aller à l'encontre des conventions faisait de vous objet d'admiration et de rejet. C'est assez fascinant de rencontre Mary Anning et son amie, deux femmes assez fortes et passionnées pour assumer de dépasser les bornes assignées à leur sexe. Pour elles, pas de destin d'épouse, de mère ou de vieille fille tristement banale.
    15mary.jpgOn les écoute se raconter, raconter leur monde avec humour, tristesse, colère parfois, chacune marquée par son éducation et ses espoirs, ses révoltes et ses renoncements et le prix à payer pour les miettes de liberté et de reconnaissances qui leur échoient.
    Tracy Chevalier est parvenu à donner vie à ces deux femmes devenues quelques lignes dans les dictionnaires et les encyclopédies avec une certaine finesse psychologique et une grande cohérence, et à brosser un tableau prenant de la société anglaise. Tout juste regretterais-je le style que j'ai finalement trouvé assez plat, et quelques longueurs rapidement oubliées pour savourer un récit haut en couleurs et le cheminement dans un monde scientifique en ébullition, à l'orée de révolutions qui vont forger notre monde.


    Pour en savoir plus sur Mary Anning c'est par ici!

    Pour la petite histoire, Lyme Regis est aussi un des décors de Persuasion, sans doute mon roman préféré de cette bonne vieille Jane à laquelle il est fait allusion. On peut d'ailleurs en admirer certains paysages dans la très sympathique adaptation ITV.

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    Leiloona en parle, Lou aussi. D'autres avis sur A propos de livres, et chez Alwenn.




    Chevalier, Tracy, Prodigieuses créatures, La Table Ronde, 2010, 377 p., 4/5

  • The Bell Jar - Sylvia Plath

    belljar.jpgTout semble sourire à Esther Greenwood: jeune, jolie, brillante étudiante, elle passe une partie de son été à New-York après avoir gagné un concours de poésie organisé par un magazine. Une chance unique qui lui permet de cotoyer le monde dans lequel elle aspire à entrer. Mais les apparences sont trompeuses: dans cet univers mondain auquel elle n'est pas habituée, la jeune femme commence doucement à perdre pied. Jusqu'à sombrer dans une dépression profonde.
    Il y a des romans qui font mal et qui font peur. The Bell Jar est de ceux-là. Parce qu'il sonne terriblement juste, terriblement vrai. Sans doute parce que dans cette unique oeuvre romanesque, Sylvia Plath a mis beaucoup de son expérience: mort précoce du père, dépression, tentatives de suicide, internement, électrochocs, son héroïne traverses le mêmes épreuves que celles qu'elle même a traversé. Mais à mon sens ce n'est pas cet aspect autobiographique qui est pour moi le plus important, même si c'est ce qui a provoqué polémique et procès à l'époque de la publication et de la mort de Sylvia Plath.
    The Bell Jar est un roman riche, dense, qui raconte un passage à l'âge adulte, qui parle de la condition féminine dans les années 1950 aux Etats-Unis, qui explore les méandres du traitement des maladies psychologiques et mentales. C'est un récit d'une rare finesse psychologique et d'une précision étonnante dont on ne sort pas indemne.
    Dès le début de son récit, Esther apparaît en décalage avec le monde qui l'entoure: incapable de s'amuser avec autant d'insouciance que les jeunes femmes qu'elle cotoie, incapable d'être dupe de la frivolité du milieu dans lequel elle baigne, incapable de se sentir en phase avec son entourage.
    Petit à petit, Esther sombre sans que personne ne s'en rendre compte, déchirée entre ses aspirations littéraires, la nécessité de trouver un emploi et le modèle féminin auquel elle est censée se conformer et qui la terrifie. Il y a des pages terribles sur l'univers des femmes au foyer, les enfants à élever, le mari à servir, le métier utile à trouver en attendant de devenir une bonne petite femme soumise à son époux et à son destin de mère. Tout cela Esther n'en veut pas: pas de mari, pas d'enfants pour elle. Mais elle n'est pas pour autant capable de faire face à l'alternative.
    « Je me sentais comme un cheval de course dans un monde dépourvu d’hippodromes, ou un champion de football universitaire parachuté à Wall Street dans un costume d’homme d’affaires, ses jours de gloire réduits à une petite coupe en or posée sur sa cheminée avec une date gravée dessus, comme sur une pierre tombale. Je voyais ma vie se ramifier devant mes yeux comme le figuier de l’histoire. Au bout de chaque branche, comme une grosse figue violacée, fleurissait un avenir merveilleux. Une figue représentait un mari, un foyer heureux avec des enfants, une autre figue était une poétesse célèbre, une autre un brillant professeur et encore une autre Ee Gee, la rédactrice en chef célèbre, toujours une autre l’Europe, l’Afrique, l’Amérique du Sud, une autre figue représentait Constantin, Socrate, Attila, un tas d’autres amants aux noms étranges et aux professions extraordinaires, il y avait encore une figue championne olympique et bien d’autres figues au-dessus que je ne distinguais même pas. Je me voyais assise sur la fourche d’un figuier, mourant de faim, simplement parce que je ne parvenais pas à choisir quelle figue j’allais manger. Je les voulais toutes, seulement en choisir une signifiait perdre toutes les autres, et assise là, incapable de me décider, les figues commençaient à pourrir, à noircir et une à une elles éclataient entre mes pieds sur le sol. »
    Perdue, angoissée, confrontée à une mère qui ne la comprend pas, un fiancé qui voit en elle une future épouse parfaite et dont les parents l'adore, Esther étouffe.  C'est le début d'une descente aux enfers qu'on ne présageait pas vraiment même si elle était là, présente, possible. Après tout, tout le monde a des moments de spleen, de désespoir même. Mais quand certains continuent à avancer vaille que vaille, d'autres, comme Esther, perdent la bataille. Le malaise augmente, la tentation du suicide fait son apparition et Esther bascule totalement.
    C'est là que le roman devient proprement terrifiant. Difficile de ne pas se reconnaître en Esther., en tant que femme, et en tant qu'être humain. Les aspirations contradictoires d'Esther, la peur devant les choix à faire, sont universelles. Et ce n'est pas un problème spécifiquement féminin.
    Or, insidieusement, sans raisons réelles, son spleen et ses peurs se transforment en dépression et en tentatives de suicide, ses fragilités deviennent telles qu'elle ne peut que s'effondrer.
    « L’idée que je pourrais bien me tuer a germé dans mon cerveau le plus calmement du monde, comme un arbre ou une fleur. »
    On encaisse alors sa quête du meilleur moyen de mettre fin à ses jours, ses tentatives de suicide, sa vision déformée du monde qui l'entoure, le poid qui pèse sur elle, l'incompréhension qui l'entoure, son premier traitement par électrochoc (une ironie marquante d'ailleurs dans cette description quand on pense que le récit se déroule à l'époque de l'éxecution des époux Rosenberg), son internement.

    "Névrosée ! ah ! ah ! ah !.... J‘ai laissé échapper un rire plein de dédain : « Si c’est être névrosée que de vouloir au même moment deux choses qui s’excluent mutuellement, alors je suis névrosée jusqu’à l’os. Je naviguerai toute ma vie entre deux choses qui s’excluent mutuellement…"

    On vit avec elle la découverte des hôpitaux psychiatriques, la rencontre avec une psychiatre capable de l'entendre et de l'amener lentement vers une guérison qui ne sera jamais acquise. Sylvia Plath décrit la douleur psychologique, la douleur physique sans jamais sombrer dans le sensationnel, le voyeurisme. Le lecteur accompagne Esther, entre dans sa psychée, parfois dans ses sensations. Et en sort épuisé avec la conviction que l'histoire d'Esther pourrait devenir la sienne. La vulnérabilité qui la détruit, la possibilité de perdre confiance en soi et en ses capacités sont en chacun de nous.
    Pour la petite histoire, j'ai lu The Bell Jar en anglais: si j'ai parfois eu du mal à comprendre certaines choses, j'ai été embraquée par le style limpide, fluide de Plath, par la poésie de sa langue
    « Pour celui qui se trouve sous la cloche de verre, vide et figé comme un bébé mort, le monde lui-même n’est qu’un mauvais rêve. »
    Lilly a aimé, Pimpi en garde un souvenir plus mitigé. Tout est une fois de plus de la faute d'Ofelia, et d'Erzie, mais elle garde son billet pour elle toute seule!
    Plath, Sylvia, The Bell Jar, Faber and Faber, 2005, 234p., 5/5

     

  • Nage libre - Nicola Keegan

    C'est l'histoire d'une fille qui nage comme elle respire. L'histoire de Philomena qui, de catastrophes familiales en drames va devenir femme et championne olympique de natation. L'histoire d'une accro à la piscine grandie trop vite, réglée trop tard. L'histoire d'une drôle de fille.

    Il faut imaginer la scène: Books and the City, un café, un caddie à papillon, deux parapluies, Amanda et moi papotant (entre autre) romans:
    -  moi: ah ben  j'aimerais bien lire Nage Libre
    - Amanda (plongeant dans son sac): tiiiiennnns!
    Amanda est une magicienne, Amanda est merveilleuse, Amanda reconnaît les papesses de la mode, Amanda m'a permis de lire un petit bijou. Que le Grand Livre veille sur elle et sa bibliothèque!

    Des romans comme ça, on en croise parfois, et quand c'est le cas, on s'installe confortablement et on plonge pour n'en ressortir que de longues heures après (la SNCF sert parfois à quelque chose) le sourire aux lèvres et le coeur serré. Le sourire au lèvre parce que Philomena est un sacré personnage et que ses tribulations ne manquent pas de piquant. Le coeur serré parce qu'entre son encombrante personne et sa famille dysfonctionnelle et percluse de deuils, elle a fort à faire pour tenir debout quand elle est hors de l'eau. Pour elle, depuis qu'elle est bébé, l'eau représente la sécurité, le confort, le bonheur. C'est là qu'elle peut oublier, ou du moins supporter la peur qu'elle ressent en la présence de sa soeur Bron, puis sa mort et la souffrance du deuil, la perte de son père, la folie de sa mère et la dérive de ses deux soeurs, l'une confite en bigoterie, l'autre perdue dans la drogue. Elle se confond avec l'eau, avec la natation, jusqu'à en faire l'axe indispensable de son existence, jusqu'à se définir par elle et y trouver une raison de vivre. Là, elle trouve des amies, des amours, des médailles et une reconnaissance, un monde dont elle maîtrise les codes, un père de substitution, là elle se construit, emmerdante au possible, arrogante, fragile, attachante, luttant avec l'héritage encombrant des péripéties familiales.
    C'est parfois drôle, presque toujours d'une ironie mordante, Philomena jetant d'entrée de nourrisson un regard lucide, acéré sur le monde qui l'entoure et sa petite famille. C'est tendre aussi parce que malgré les disputes, la haine parfois, il y a l'amour vache, l'amitié, les petits bonheurs de la vie. C'est dur parce qu'il y a le temps qui passe et qui change les gens et les sentiments, il y a le deuil, les prises de conscience, la retraite qui pointe le bout de son nez et les remises en cause, le spleen qui gagne parfois et la dépression. Dans un joyeux bazar cohabite tout cela et plus encore, l'ensemble donnant un roman foisonnant, dense et difficile à lâcher, plein de passages qui prennent au tripes par leur beauté et de bons mots.
    J'ai découvert Philomena comme on découvre une amie, avec ses défauts, mais aussi son humour imparable, sa joie explosive, ses bêtises, ses excès, ses moments de déprime, sa phase connasse, ses fous rires, sa passion et son jusqu'au boutisme.
    Et puis c'est fascinant de découvrir au prisme de son regard le monde de la natation, la passion chevillée au corps de ces athlètes qui se dépassent. On vit avec elle les entrainements qui amènent le corps au bord de la rupture, la volonté féroce de passer les limites et de tenir bon, de gagner, les compétitions et leur ambiance pleine de tension, les conversations de vestiaire.

    Bref, un roman plein d'humour, de tendresse, de drames, qui évite l'écueil du pathos, qui cumule les personnages hauts en couleur (les bonnes soeurs sont quelque chose, la galerie d'entraineurs une autre, je les ai adorés), qui déborde d'énergie et qui se paie en plus le culot d'être original. Je ne sais pas ce que vous attendez, mais si j'étais vous, j'essaierai de trouver une bonne fée susceptible de sortir cette merveille de son sac ou une bonne librairie/bibliothèque. C'est un indispensable!

     

    "Lors du carême j'ai tiré un trait sur toutes sortes de chocolat possibles et imaginables, sauf le malté, je suis allée me coucher sans me plaindre, je me suis tenue à carreau à l'église et j'ai écouté avec attention soeur Séraphine nous expliquer que la convoitise combinée à la frustration nous enseigne une leçon capitale sur le sort de l'homme et par l'homme elle entendait l'humanité en général, y compris nous; Lilly lui a posé la question, histoire de s'en assurer. Moi, je m'étais mis en tête que me priver de chocolat compenserait ma convoitise et révèlerait à la terre entière que j'étais un prix d'excellence, qu'au bout du compte mes efforts seraient récompensés.

    Faux."


    C'est de la faute de Cuné, et d'Amanda, et de Cathulu et de Fashion. Les filles, vous devriez avoir honte!

    Keegan, Nicola, Nage Libre, L'Olivier, 2010, 425p. dévorées en 5 heures, 5/5

     

  • Testament à l'anglaise - Jonathan Coe

    testament-a-l.jpgQuand Michael Owen décroche le contrat qui fait de lui l'auteur chargé d'écrire l'histoire de l'illustre famille Winshaw, il ne se doute pas du guépier dans lequel il est tombé. Car son employeur, la vieille Tabitha Winshaw, internée par sa famille, a toujours clamé que sa famille, incontournable dans les affaires publiques et privées de l'Angleterre depuis des lustres, cache quelques secrets peu reluisants...

    Bienvenue dans un jeu de cluedo géant! Croyez moi, la comparaison est loin d'être anodine puisque c'est à un véritable jeu de massacre que se livre Jonathan Coe en dressant le portrait d'une famille qui est la quintessence des défauts de la gentry et de l'aristocratie libérale anglaise, mais aussi à un jeu de piste et de fausses pistes qui mène à un final grandiose et hallucinant.

    Testament à l'anglaise est une merveille de roman dense, riche et foutraque qui utilise avec intelligence les possibilités offertes par son personnage pas si principal que ça, l'écrivain raté Michael Owen. D'un côté on le suit dans ses recherches et dans la rédaction des chapitres qu'il consacre aux membres de la famille, de l'autre, on observe les dits membres de la famille dans leurs réactions à l'intrusion de Michael dans leurs petites affaires et dans leurs interactions, le tout s'enchaînant allégremment avec des chapitres du livre de Michael. On alterne avec bonheur entre les portraits de Winshaw et la vie de Michael, chaque pan du récit fourmillant de détails, d'événements petits et grands qui s'imbriquent petit à petit, l'un nourrissant l'autre puisque bien souvent, le quotidien de l'écrivain donne un aperçu glaçant des conséquences des actes des Winshaw. C'est plutôt brillant, et on y trouve une série de portraits à charge qui sont à la fois réjouissants et glaçants.

    Il y a Thomas le banquier voyeur, pervers et sans merci; Henry le politicien passé maître dans la maîtrise de la langue de bois; Hillary et Roddy, le vernis culturel; Dorothy la femme d'affaire qui empoisonne hommes et animaux pour construire son empire agro-alimentaire... De chapitres en chapitres, on découvre des pans de l'histoire de la famille, de leur existence, mais surtout le tableau d'un monde façonné au gré des intérêts et des désirs d'hommes et de femmes qui ne voient pas en quoi il serait légitime de respecter, qui et quoi que ce soit, à commencer par l'honneur et la vie des autres. Privatisations, démentelement du service public, naissance des tabloïds et de la télé-poubelle, manipulations et escroqueries à l'échelle internationale, les Winshaw sont impliqués partout où il est possible d'acquérir pouvoir et argent. Face à eux, des gens ordinaires: Michael l'écrivain, Phoebe l'artiste devenue infirmière, Fiona qui meurt, victime des réformes du système de santé britannique, Graham qui risque sa vie en tentant de dénoncer les menées des Winshaw, Findley Onynx le vieux détective libidineux...

    Jonathan Coe prend des "types" et les explore de bout en bout en mettant au jour les compromissions, le cynisme, les bassesses et la force que donne l'absence de scrupules et de morale. C'est à la fois drôle et désespérant, tellement que la fin ne peut être que tragi-comique et outrée, digne d'une partie de cluedo perverse, mais pas plus finalement que le jeu mené par les Winshaw toute leur vie. Jonathan Coe se livre avec talent à une attaque en règle des conservateurs, de l'économie capitaliste et de l'argent à travers les années Tatcher et leurs conséquences sociales désastreuses. C'est d'autant plus effrayant que même s'il parle d'une période donnée, on sait pertinemment que tout peut être transposé quasi à l'identique ailleurs et en d'autres temps.

    Tout au long du récit, on trouve des chausses-trappes, des jeux de miroirs, des fausses morts, de vraies folies et le fil d'intrigues diverses qui se croisent avec un talent qui laisse pantois. Tout au plus regretterais-je quelques longueurs et la sensation, parfois, de se perdre un peu dans toutes les informations distillées par l'auteur. Presque rien au regard de la richesse de ce roman, du portrait de l'Angleterre qu'il dresse avec un humour noir et une efficacité totale. Polar sans l'être, roman social sans l'être, roman humoristique sans l'être, Testament à l'anglaise est un bijou complexe aux personnages superbes qui m'a laissée pantoise et hilare encore que d'une hilarité un peu jaune! A ne surtout pas manquer!

    Erzébeth en parle, Mo aussi!

    Coe, Jonathan, Testament à l'anglaise, Gallimard, 1997, 682 p., 4.5/5

  • Nord et Sud - Elizabeth Gaskell

    9782213627304FS.gifMargaret Hale vient tout juste de regagner le presbytère familial quand son père, décidant qu’il ne peut faire a profession de foi qui lui est demandé, quitte son emploi et abandonne sa profession pour embrasser celle de professeur dans une ville du Nord. Déracinée de son Sud rural et bucolique pour une grande ville industrielle, Margaret va connaître une vie totalement différente de celle qu’elle menait. Entre patrons et ouvriers, elle va passer à l’âge adulte.

    Séduite par Cranford, j’ai décidé de ne pas m’arrêter en si bon chemin et de partir à la découverte du reste de l’œuvre de cette grande plume britannique du 19e siècle. Le hasard a voulu que le premier disponible soit Nord et Sud, ce qui m’a permis une lecture passionnante. Nord et Sud, c'est un gros roman dense, fourmillant d’informations, de petites histoires, de rebondissements, un magnifique roman d’apprentissage qui montre une jeune femme de bonne famille se heurter et apprendre à composer avec la pauvreté, et avec un monde industriel auquel rien ne l’a préparée et dont les règles lui sont non seulement inconnues, mais lui paraissent souvent immorale, ou d’une dureté difficilement compatible avec la foi chrétienne.

    Elizabeth Gaskell fait preuve du même talent à créer et faire vivre des personnages que dans Cranford, mais approfondit, étudie les questions qu'elle ne faisait qu'effleurer dans cet autre roman: l'entrée dans l'ère industrielle et ses conséquences, la confrontation de ce nouveau monde avec une Angleterre rurale conservatrice. En fait, elle raconte purement et simplement l'entrée dans l'ère industrielle à travers l'histoire de Margaret et de John Thornton le manufacturier. Face à lui, qu'elle méprise au premier abord pour ses origines et son métier, elle va devoir revoir ses certitudes, et apprendre à aimer cet univers si différent de celui de la bonne société londonienne où elle a vécu ou du presbytère où elle a grandit. La critique sociale est sous-jaçente, la peinture du monde industriel, des grèves et des conditions de vie ouvrière, même si elle n'est que toile de fond, est passionnante et révèle les grandes questions que posait au moment même de son éveloppement, le modèle industriel.

    Tout cela, Elizabeth Gaskell en parle sans jamais ennuyer, tant elle sait parfaitement le mêler à l’histoire d’amour tourmentée qui uni Margaret Hale et John Thornton et aux scènes de vie familiale et quotidienne tant ouvrière que bourgeoise. En fait, elle raconte le choc de ces deux mondes à travers Margaret et John, sans jamais déprécier l’un ou l’aure, simplement en confrontant leurs manières de penser et en aboutissant à la conclusion qu’une alliance entre ces deux monde, ou au moins une compréhension mutuelle est possible. Margaret apprend à comprendre John, et John, lui, apprend à accepter les opinions de Margaret et leur validité.

    C’est d’une étonnante richesse et d’une certaine modernité, puisqu’on verrait bien certaines situations et certaines questions se poser encore de nos jours. Par contre, il est bien certain qu’Elizabeth Gaskell laisse transparaître ses convictions, l'influence du syndicalisme chrétien et ses espoirs qu’un jour, patrons et ouvriers prendront conscience qu’ils sont interdépendants. Elle fait en tout cas montre d’un réalisme assez cru ou rien n’est épargné : crasse, misère, ignorance, pauvreté ouvrière ou bourgeoise, inconscience des classes supérieures, maladie et mort, tout y est et sans aucune concession. Jusqu’à l’amour qui est loin d’être simple et gagné. Les personnages sont d'ailleurs absolument magnifiques, à commencer par Margaret bien sûr, et par John Thornton le sombre et taciturne. Ils ont tous une profondeur rare qui le rend fascinants.

    Il ne me reste plus qu'à regarder l'adaptation BBC de ce petit bijou et à l'ajouter à ma bibliothèque pour être totalement satisfaite! Et à continuer à découvrir l'oeuvre de cette romancière!

    Pimpi en parle avec enthousiasme. Isil aussi!

    Gaskell, Elisabeth, Nord et Sud, Fayard, 2005, 512p., 5/5