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Littératures anglo-saxonnes - Page 5

  • My man, Jeeves, - P.G. Wodehouse

    my-man-jeeves-p-g-wodehouse-hardcover-cover-art.jpgBertram Wooster est riche, bien né, et imbécile. Il l'admet d'ailleurs lui-même. Heureusement, un dieu veille sur les imbéciles, ou, parfois; un ange gardien. Et dans ce cas précis, l'ange gardien s'appelle Jeeves: valet stylé, diaboliquement intelligent, et prêt à faire face à toutes les situations. Même les plus improbables.

    C'est tout simplement délicieux. Grinçant et donc totalement hilarant avec ses intrigues complétement absurdes et ses personnages tous plus excentriques les uns que les autres. Dans les huit nouvelles qui constituent ce recueil, on plonge dans l'univers oisif et futile de la gentry à travers les aventures d'un jeune dandy, Bertram Wooster qui parvient à se fourrer dans les situations les plus improbables, toujours guidé par sa bonne volonté et son envie de rendre service à ses amis: le voilà qui devient kidnappeur, entremetteur, voleur, comploteur, certes pour les meilleures raisons du monde et qui parvient à tirer son épingle des imbroglios qu'il crée lui-même sans trop savoir lui-même comment. Là où j'ai été un peu déçue, c'est de ne pas trouver Jeeves dans toutes les nouvelles tant la relation entre le maître et le valet est drôle, le second menant le premier par le bout du nez et le premier reconnaissant les mérites du second en se soumettant à ses diktats en matière de mode.  Mais que Jeeves soit présent ou pas, P.G. Wodehouse croque avec brio et talent la bonne société anglaise comme nord-américaine et n'épargne personne, des jeunes gens qui vivent en parasites aux oncles et tantes fortunés qui tyrannisent leurs héritiers, des jeunes femmes capricieuses en amour aux artistes sans talents.

    Indiscutablement à découvrir! Je vais filer en quête de l'adaptation télévisée des aventures de Bertie et Jeeves, Hugh Laurie et Stephen Fry constituant, en ce qui me concerne une sacrément bonne raison d'y jeter un oeil, en plus de celle de retrouver ces deux hurluberlus!

    Lu en VO dans une drôle d'édition Bed Book. Je ne m'y attendais pas!

    Wodehouse, P.G., A Bed Book, 120p., 2005, 4/5

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  • Outside Valentine - Liza Ward

    Outside-valentine.jpegNebraska, années 50. Caril Ann, quatorze ans est embarquée par son petit ami dans une fuite sanglante. Nebraska, années 60, Susan guette son jeune voisin dont les parents ont été victimes des amants meurtriers. Années 90, un antiquaire tente de renouer les fils de sa vie.

    J'aimerais pouvoir en dire plus, mais il est finalement assez difficile de résumer avec concision et sans trop en révéler ce récit où trois voix s'entrecroisent pour raconter un fait divers qui a fasciné les Etats-Unis et inspirés écrivains et réalisateurs. Car l 'histoire que raconte Liza Ward est vraie, et son récit prend une teinte particulière quant on sait qu'elle est la petite-fille de deux des victimes de Caril-Ann et Charles Starkweather.

    Outside Valentine est un récit étonnant à plusieurs égards.

    Etonnant d'abord par le regard que Liza Ward porte sur Caril-Ann et Charles Starkweather. Loin de se faire accusatrice, de chercher le sensationnel, elle s'attache aux mécanismes, aux petites choses accumulées qui ont pu amener l'un à basculer dans la folie meurtrière, et l'autre à le suivre, voire à participer aux tueries.

    Etonnant ensuite par le fait que ce n'est pas tant le meurtre qui est coeur du roman que l'amour auquel chacun des personnage aspire et qui les bouscule. Amour de Caril-Ann pour Charles, de Charles pour Caril-Ann, amour de Susan pour le fils des victimes, Lowell, amour de Lowell pour Susan. Et autour,  déception amoureuse, amours névrotiques, amours déçues, amour filial, manque d'amour. C'est l'amour qui tisse la trame de ce drame et de ses conséquences, ce qui donne une tonalité douce-amer, poignante au récit, mais sans pathos.

    Il n'est pas question de faire pleurer dans les chaumières sur le sort de ces enfants perdus, ou de faire frémir d'horreur et d'indignation face à une violence intolérable et incompréhensible ou face à une fascination morbide pour un fait divers atroce. Liza Ward porte sur ses personnages et sur ce qu'ils sont devenus un regard exempt de pitié comme de jugement. Juste neutre, voire bienveillant envers les failles humaines et ce que l'amour ou le manque d'amour peut provoquer. C'est une analyse magistrale des sentiments, touchante, intense. De quoi me faire oublier après quelques semaines, des petites longueurs.

    A découvrir.

    Merci à Marie-Laure P., sans qui je n'aurais sans aucun doute pas été vers ce texte.

    D'un livre l'autre, L'ivresque des livres,...

     Ward, Liza, Outside Valentine, 10/18, 2008, 439p., 3.5/5

  • Le diable danse à Bleeding Heart Square - Andrew Taylor

    arton22968-a8a2f.jpgQuand Lydia Langstone quitte son mari et sa confortable demeure, son seul abri est la pension de famille modeste où habite un père qu'elle n'a jamais connu et où se croisent des locataires pour le moins étranges, quand ils ne sont pas purement et simplement inquiétants. Pourtant, tout vaut mieux que les coups, même s'il faut trouver du travail, même s'il faut se passer de domestique et affronter les mystères que cache la disparition de la propriétaire de la pension, miss Penhow.

    Je ne lis guère de littérature policière, mais que voulez-vous, d'abominables tentatrices sont passées par là et ma légendaire faiblesse étant ce qu'elle est, j'ai d'autant moins résisté à l'attrait de ce gros roman que la quatrième de couverture cite Jonathan Coe et dame Agatha. Deux excellentes raisons de lire ce roman "terriblement britannique" (dixit Cuné) qui se révèle effectivement prenant avec son atmosphère brumeuse où l'on devine au détour des escaliers de la pension ou des recoins de Bleeding Heart Square de sombres secrets, des liens occultes et des violences soigneusement masquées par le tissu épais des convenances. Petit à petit, les relations entre les personnages se dévoilent, tissant la trame d'une intrigue qui rappelle effectivement celles qu'offrait à ses lecteurs Agatha Christie y compris le twist final qui fait tourner en bourrique le lecteur mais avec un petit arrière-goût de detective story des années 50 sans le détective revenu de tout mais avec le journaliste fouineur et la "femme fatale". L'intrigue, sans être débordante d'originalité, est bien construite, alimentée par des aspects sociaux et politiques qui rappellent la réalité des années 1930 avec le chômage et la montée du fascisme. Elle n'édulcore pas pour autant le poids persistant des convenances dans la haute société et les drames et trahisons qui s'y déroulent, presque imperceptibles pour qui ne fait pas partie de ce monde. L'ambiance se fait souvent oppressante, de plus en plus lourde au fil des révélations, des secrets mis au jour, et de l'histoire de miss Penhaw qu'on devine, puis découvre tragique à travers son journal intime, chronique d'espoirs déçus et d'une lente descente aux enfers qui n'a rien à envier à ce que subissent ou ont subis ceux qui cherchent à comprendre ce qui lui est arrivé et se retrouvent pris dans les rets d'une violence protéiforme qu'ils combattent chacun à leur manière ou à laquelle ils cèdent. 

    Une franche réussite donc!

    Cuné, Stephie, Keisha, Mivava,...

     Taylor, Andrew, Le diable danse à Bleeding Heart Square, Le cherche-midi, 2011, 480p., 45

     

  • La couleur des sentiments - Kathryn Stockett

    9782742792917FS.gifJackson, Mississipi, 1962. Rosa a déjà refusé de céder sa place à un blanc dans le bus, la voix de Martin Luther King résonne. Mais dans cette ville du Sud des Etats-Unis, les lois raciales font encore autorité et ceux qui osent les enfreindre savent ce qu'ils encourent. Mort, mutilations, ostracisme, la peur règne et l'hypocrisie aussi dans ce monde où les noires s'occupent des foyers et des enfants des blanches. Mais cela n'empêche pas de tenter de faire changer les choses, comme Aibileen, et Minny l'insolente. Et Skeeter qui veut plus que tout réaliser ses rêves.

    Je ne suis pas la première et je ne serai sans doute pas la dernière à chanter les louanges de ce premier roman superbe lu il y a déjà quelques semaines. Superbe oui, j'assume et je pourrais même me fendre de quelques superlatifs tant ce texte est une franche réussite, touchant, magnifiquement construit, pudique, drôle et révoltant. Dès les premières pages, on est emporté par les voix entrecroisées de ces deux bonnes et de cette jeune fille de bonne famille, liées par une amitié improbable et une révolte qu'elles vont oser assumer, contre leur condition de femmes noires pour les deux premières, contre sa condition de femme pour la dernière.

    Pourtant, et le sujet et les personnages auraient pu laisser craindre le pire et un récit dégoulinant de pathos et de guimauve. Que nenni. Kathryn Stockett apporte un soin constant à son histoire, à ses personnages et aux nuances vitales quand on traite un thème aussi difficile. Il y a pourtant des personnages qu'on adore détester, comme Hilly la peste, abominable caricature de la femme blanche du Sud dont on finit pourtant par se demander ce qui lui fait si peur ou quel échec et quelle souffrance intime elle fait payer au monde qui l'entoure pour être aussi mauvaise. Il y a des violences morales, symboliques et physiques qui serrent le coeur. Mais tout est un peu à l'aune de Hilly dont on aperçoit les failles: complexe, difficile à exprimer, touchant au coeur des intimités et des ambivalences de chacun. Je garde un souvenir extraordinaire de certaines scènes, et de ce passage par exemple, où l'on découvre cette ligue des femmes qui envoie de la nourriture aux enfants africains mais défend la ségrégation raciale avec virulence. Une forme de schizophrénie, mais aussi un paternalisme détestable dans une société d'autant plus violente à défendre ses fonctionnements qu'ils sont mis en danger. La couleur des sentiments, c'est le tableau d'un monde qui en plein bouleversement, l'esquisse d'un changement difficile des mentalités, que ce soit celle des dominants, ou des dominés, des blancs ou des noirs, des hommes ou des femmes. C'est le tableau des relations étranges, complexes qui lient les noirs aux blancs.

    C'est surtout quelques magnifiques portraits de femmes et une belle étude de la condition féminine, qui m'a fait penser par certains côtés à The bell jar avec ces femmes éduquées, prises entre les injonctions de la morale et de la société et leurs désirs, détruites par un univers qui ne leur laisse de place que celle de faire-valoir de leurs époux et de mère ou luttant pour assumer leurs désirs, vivant à côté de femmes noires affrontant un quotidien fait de travail et de peur. Pourtant, c'est souvent drôle, débordant de tendresse, d'une solidarité qui pour être cachée, n'en est pas moins réelle. On sourit par endroit, on rit franchement à d'autre avant de se retrouver avec les larmes aux yeux. Seigneur, cet épisode des toilettes! A la fois immensément drôle et incroyablement tragique.

    Il y a mille et une chose dont je voudrais parler encore, mille merveilles sur l'amitié, sur l'amour, sur la liberté. Mais je m'arrête là. Lisez ce bijou, vous rirez, pleurerez, frissonnerez et laisserez à la dernière page des amis plus que des personnages de papier. Il rejoint l'étagère de mes indispensables.

    Cuné en parle, Fashion aussi, et Amanda, et Cathulu, et bien d'autres...

    Stockett, Kathryn, La couleur des sentiments, Jacqueline Chambon éditions, 525p., 2010, 5/5

  • Un bûcher sous la neige - Susan Fletcher

    Un-Bûcher-Sous-la-Neige-188x300.jpgSa mère l'a appelée sorcière avant de lui donner son vrai nom, le jour de sa naissance. Sorcière, c'est ce pourquoi Corrag est condamnée à l'ordalie par le feu dans les Highlands du 17e siècle. A moins que cette condamnation n'ait à voir avec le massacre de Glencoe dont elle a été témoin. Ce massacre en tout cas est tout ce qui intéresse le révérend Charles Leslie, prompt, comme tout écclesiastique qui se respecte à condamner le suppôt de Satan, la menace sur Dieu et la société mais bien décidé à faire la lumière sur cet événement qui sert la cause jacobite dont il est un fervent défenseur. Mais Corrag impose au révérend une étrange volonté: s'il veut connaître la vérité sur Glencoe, il lui faudra d'abord entendre son histoire, pour que son souvenir demeure après sa mort.  Bientôt, à son corps défendant, le révérend va être pris dans les fils d'une vie qui lui dévoile une vision du monde bien différente de la sienne.

     

    Étrange comme parfois, à travers une voix, un personnage, un auteur peut donner à sentir une terre, un peuple, un temps avec une telle intensité. Étrange aussi que cette voix, située dans un temps et un espace prenne des résonances aussi universelles grâce à un don précieux, celui de guérir, de voir, par-dessus tout, de raconter. Un don hors du commun pour cette toute petite femme qui ne sait ni lire ni écrire, dont la vie est marquée par l'intolérance et la violence, par l'errance et la peur.

    Car le destin de Corrag, comme celui de sa mère, a été marqué par le meurtre fondateur, celui de la grand-mère de Corrag, accusée d'être une sorcière, noyée alors qu'elle était innocente sous les yeux de sa fille et de son époux. Un sort partagé par des milliers de femmes, et des hommes parfois. A cause de la jalousie, à cause de signes interprétés dans le sens de la superstition par des communautés apeurées et régies par les normes strictes d'une religion se confondant avec justice et politique, à cause de connaissances jugées suspectes, d'une liberté trop grande, d'opinions différentes. Différente, Corrag l'est: fille d'une femme trop libre d'abord, trop libre elle-même. Différente, c'est la raison pour laquelle Corrag a eu plusieurs vie, des vies dont elle ne veut pas qu'elles tombent dans l'oubli, des vies qu'elle raconte à Charles Leslie.

    La première se déroule dans le petit village qu'a choisit sa mère pour vivre et la mettre au monde, juste parce que menacés par le brigandages, ses habitants ne pensent pas à persécuter la sorcière. Il y a les mensonges pour vivre en paix, les insultes et les vexations, les services récompensés par la délation, la peur, les médisances, les jets de pierre.  De l'histoire de Corrag et de celle de sa famille, on atteint à celle de toutes ces femmes condamnées pour leur différence, et à celle de tous ceux pris pour cible à travers l'histoire, devenu boucs émissaires pour qu'une communauté, une société puisse se souder autour de règles, d'une appartenance définie contre ce qui est autre. Il est certain que dans le cas de Corrag, c'est le christianisme qui est au centre de cette réflexion, une religion voulue outil de paix, de charité, de compassion transformée en machine de guerre contre ceux qui ne croient pas comme ils le devraient. Mais ce pourrait tout à fait en être une autre.

    La seconde est une fuite éperdue pour sauver sa vie qui lui fera croiser la route d'autres rejetés. Dans cette traversée d'Angleterre et d'Ecosse, il y a la nature, la rencontre parfois furtive, parfois riche d'enseignements d'autres parias, le danger et la violence des éléments, la douceur d'un animal.

    La troisième vie de Corrag, c'est la découverte que même des femmes comme elles peuvent trouver une place dans le monde, que tout n'est pas indifférence ou rejet et que certains peuvent accepter celui qui croit autrement et qui vit autrement. On découvre le glen en même temps qu'elle et c'est un bonheur de toutes les pages de plonger dans cette nature superbe, à la fois dure et accueillante, de parcourir la lande avec elle, de monter les sentiers escarpés des collines et des montagnes.

     La quatrième vie de Corrag, c'est la prison, la peur de mourir brûlée vive, la rencontre avec le révérend Leslie, la possibilité enfin, de raconter sa vie, d'enchanter et de changer un homme.

    Quatre vies et un balancement entre des contraires: au fil des pages deux visions du monde et de la vie s'affrontent, se fondent, se nourrissent l'une de l'autre. Il y a les lowlands et les highlands, deux rois, deux religions, le refus de la violence et la guerre, deux modes de vie. Vivant à la marge, Corrag représente une sorte de troisième voie, dont l'existence même déséquilibre, interroge le monde qui l'entoure, le change, même si ce n'est qu'un tout petit peu.

     C'est un roman magnifiquement écrit (et traduit), poétique, vibrant, passionné comme son personnage principal, mais qui prend aussi le temps de la contemplation et du repos. On alterne le récit de Corrag et les lettres du révérend à son épouse bien-aimée, lettres qui sont autant des respirations et une fenêtre ouverte sur l'âme de cet homme d'église bousculé dans ses certitudes, ouvrant les yeux sur les failles de cette foi qui pousse des hommes à brûler leurs semblables et qui renient quotidiennement les principes même qu'ils professent pour servir leurs intérêts à la lumière de la bonté et de l'empathie pour le monde que montre Corrag. Le talent de Corrag, Susan Fletcher le possède, indéniablement  pour parvenir à faire sentir aussi bien à son lecteur l'univers de Corrag, la nature qui l'entoure, la violence qu'elle subit et l'amour profond du monde que cette jeune femme hors du commun professe.

    Indéniablement un des coups de coeur de la rentrée.

     

    Liliba, Yspaddaden, Marie, Cathulu, Fashion,... en parlent.

    Fletcher, Susan, Un bûcher sous la neige, Plon, 2010, 390p., 5/5