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jeu de massacre à l'anglaise

  • Testament à l'anglaise - Jonathan Coe

    testament-a-l.jpgQuand Michael Owen décroche le contrat qui fait de lui l'auteur chargé d'écrire l'histoire de l'illustre famille Winshaw, il ne se doute pas du guépier dans lequel il est tombé. Car son employeur, la vieille Tabitha Winshaw, internée par sa famille, a toujours clamé que sa famille, incontournable dans les affaires publiques et privées de l'Angleterre depuis des lustres, cache quelques secrets peu reluisants...

    Bienvenue dans un jeu de cluedo géant! Croyez moi, la comparaison est loin d'être anodine puisque c'est à un véritable jeu de massacre que se livre Jonathan Coe en dressant le portrait d'une famille qui est la quintessence des défauts de la gentry et de l'aristocratie libérale anglaise, mais aussi à un jeu de piste et de fausses pistes qui mène à un final grandiose et hallucinant.

    Testament à l'anglaise est une merveille de roman dense, riche et foutraque qui utilise avec intelligence les possibilités offertes par son personnage pas si principal que ça, l'écrivain raté Michael Owen. D'un côté on le suit dans ses recherches et dans la rédaction des chapitres qu'il consacre aux membres de la famille, de l'autre, on observe les dits membres de la famille dans leurs réactions à l'intrusion de Michael dans leurs petites affaires et dans leurs interactions, le tout s'enchaînant allégremment avec des chapitres du livre de Michael. On alterne avec bonheur entre les portraits de Winshaw et la vie de Michael, chaque pan du récit fourmillant de détails, d'événements petits et grands qui s'imbriquent petit à petit, l'un nourrissant l'autre puisque bien souvent, le quotidien de l'écrivain donne un aperçu glaçant des conséquences des actes des Winshaw. C'est plutôt brillant, et on y trouve une série de portraits à charge qui sont à la fois réjouissants et glaçants.

    Il y a Thomas le banquier voyeur, pervers et sans merci; Henry le politicien passé maître dans la maîtrise de la langue de bois; Hillary et Roddy, le vernis culturel; Dorothy la femme d'affaire qui empoisonne hommes et animaux pour construire son empire agro-alimentaire... De chapitres en chapitres, on découvre des pans de l'histoire de la famille, de leur existence, mais surtout le tableau d'un monde façonné au gré des intérêts et des désirs d'hommes et de femmes qui ne voient pas en quoi il serait légitime de respecter, qui et quoi que ce soit, à commencer par l'honneur et la vie des autres. Privatisations, démentelement du service public, naissance des tabloïds et de la télé-poubelle, manipulations et escroqueries à l'échelle internationale, les Winshaw sont impliqués partout où il est possible d'acquérir pouvoir et argent. Face à eux, des gens ordinaires: Michael l'écrivain, Phoebe l'artiste devenue infirmière, Fiona qui meurt, victime des réformes du système de santé britannique, Graham qui risque sa vie en tentant de dénoncer les menées des Winshaw, Findley Onynx le vieux détective libidineux...

    Jonathan Coe prend des "types" et les explore de bout en bout en mettant au jour les compromissions, le cynisme, les bassesses et la force que donne l'absence de scrupules et de morale. C'est à la fois drôle et désespérant, tellement que la fin ne peut être que tragi-comique et outrée, digne d'une partie de cluedo perverse, mais pas plus finalement que le jeu mené par les Winshaw toute leur vie. Jonathan Coe se livre avec talent à une attaque en règle des conservateurs, de l'économie capitaliste et de l'argent à travers les années Tatcher et leurs conséquences sociales désastreuses. C'est d'autant plus effrayant que même s'il parle d'une période donnée, on sait pertinemment que tout peut être transposé quasi à l'identique ailleurs et en d'autres temps.

    Tout au long du récit, on trouve des chausses-trappes, des jeux de miroirs, des fausses morts, de vraies folies et le fil d'intrigues diverses qui se croisent avec un talent qui laisse pantois. Tout au plus regretterais-je quelques longueurs et la sensation, parfois, de se perdre un peu dans toutes les informations distillées par l'auteur. Presque rien au regard de la richesse de ce roman, du portrait de l'Angleterre qu'il dresse avec un humour noir et une efficacité totale. Polar sans l'être, roman social sans l'être, roman humoristique sans l'être, Testament à l'anglaise est un bijou complexe aux personnages superbes qui m'a laissée pantoise et hilare encore que d'une hilarité un peu jaune! A ne surtout pas manquer!

    Erzébeth en parle, Mo aussi!

    Coe, Jonathan, Testament à l'anglaise, Gallimard, 1997, 682 p., 4.5/5