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Littératures anglo-saxonnes - Page 6

  • Un autre amour - Kate O'Riordan

    arton19016-4e85b.jpgConnie et Matt sont le couple parfait: unis depuis l'adolescence, toujours amoureux, parents de trois garçons, propriétaires d'une belle maison, entourés. Jusqu'à ce que Connie rentre seule d'un voyage en amoureux à Rome. A son amie Mary et à ses fils, elle raconte que Matt est resté à un congrès professionnel, à d'autres qu'il a été victime d'une commotion... Une commotion dont le nom est Greta et qui va tout remettre en cause...

    La premier qualificatif qui me vient à l'esprit quand je repense à Un autre amour c'est "finesse". Parce que de bout en bout, malgré un sujet difficile, scabreux même, Kate O'Riordan réussit à éviter les clichés rebattus de l'adultère et de la crise de la quarantaine pour se concentrer sur les ondes de choc d'une rencontre. Pas n'importe quelle rencontre d'ailleurs: quand Matt et Connie croisent par hasard, ou presque Greta, c'est un premier amour qui remonte au jour, des relations amicales et une fascination qui ont marqué leurs jeunesses. Pas de jeunette donc, pas de gentil et de méchant, mais une réflexion acérée et toute en nuance sur l'amour et l'amitié, sur le temps.

    Kate O'Riordan imbrique avec patience les points de vue, distille les indices qui laissent deviner, sous le masque que porte chacun, les êtres bruts avec leurs doutes, leurs mesquineries, leurs peurs et l'amour qui les dévore, la solitude. Pourtant, pas d'hypocrisie, l'amour est vrai, l'amitié aussi, mais il y a des failles, des rancoeurs, et de pages en pages, les personnages s'affirment dans leur complexité, deviennent de plus en plus attachants, d'autant plus attachants qu'ils apparaissent terriblement réels. Marqués par leur famille, par leur éducation. Marqués par leurs relations amoureuses. Marqués par leurs amitiés. Mary par exemple est un personnage terrible avec sa solitude qui la ronge, le bonheur qu'elle trouve avec la famille de Connie et Matt, sa terreur de les perdre. Matt, qui essaie d'être un homme bien, qui se pense un homme bien et qui se rend compte de la trahison dont il est capable envers celle qu'il pensait aimer. Connie qui mène son petit monde à la baguette, toujours menée par la peur de recevoir, de se décevoir. Même ceux qui ne font que passer sont plus que des silhouettes, sans doute parce que les rencontres, même brèves, mêmes professionnelles, même de hasard peuvent changer le cours d'une vie ou changer une personne. Tout sonne juste, des réactions des enfants à celle des parents et de Greta.

    Kate O'Riordan rappelle avec brio à quel point il est difficile de comprendre et de juger une crise comme celle que traverse ce couple si comme il faut.

     Un autre amour, c'est aussi un roman sur les insatisfactions, sur les rôles qu'on joue pour trouver sa place, des rôles qu'on a construit pour se protéger et qui deviennent essentiels:

    " C'était pitoyable: même avec sa meilleure amie, celle à qui elle confiait la vie de ses enfants, elle jouait un rôle. Mère de trois garçons, épouse de leur père, soeur, fille. On serrait les dents, on continuait, on se levait tous les matins, on s'habillait et on mettait du mascara et du rouge à lèvre, on disait: "Bien, merci et vous?" Si on perdait cette personnalité, celle qu'on avait façonnée, il était impossible de savoir qui on trouverait pour la remplacer."

    Or, tous les personnages jouent un rôle, Connie, Matt, Mary, jusqu'à ce qu'ils se retrouvent mis à nu dans cette crise et face à la vie qu'ils se sont construits:

    "Elle avait eu ce qu'elle voulait et elle était paradoxalement fâchée contre elle-même d'avoir voulu si peu."

    Finalement, même si on atteint ce que l'on a voulu de toutes ses forces, ce n'est pas toujours suffisant:

    "Au fond de lui-même, Matt pensait que les gens naissaient avec une aptitude au bonheur ou que, comme pour sa mère, celui-ci ne venait tout simplement pas facilement à eux, voire pas du tout. Pour elle, il restait un objet lointain, une lueur attendant au bout  de tunnels sombres. Elle avait beau essayer de toute ses forces, elle ne parvenait pas à s'extirper du labyrinthe d'obscurité pour atteindre cette lumière. Il avait fait consciemment l'effort tout au long de sa vie d'être aussi heureux que possible à chaque moment et dans toutes les circonstances. Il avait travaillé dur, goûté différents degrés de réussite, apprécié sa vie de famille et sa maison. Il aurait trouvé indécent de désirer autre chose, de reconnaître un insatisfaction. Aujourd'hui, tout cela lui semblait un point de vue naïf et simpliste. Ce qui était présent ne compensait pas forcément ce qui était absent."

     

    Ce ne sont là que quelques aspects de ce roman foisonnant, froid et en même temps débordant d'émotions, de colère et d'amour. Kate O'Riordan redonne à une situation statistiquement banale, sa dimension humaine et sa complexité. C'est brillant et touchant.

     

    "Les peines les pires sont celle qu'on ressent quand quelqu'un ne veut surtout pas vous en faire."

     

    Cathulu, Khatel,...

    O'Riordan, Kate, Un autre amour, Joëlle Losfeld, 2010, 300p., 5/5

  • Les étranges talents de Flavia de Luce - Alan Bradley

    9782702435038-G.jpgUn manoir, un colonel veuf, trois filles, l'Angleterre d'après-guerre. Classique? Pas tant que ça quand on creuse un peu: le jardinier a des crises étranges, la cuisinières mitonne des tartes de destruction massive, le colonel sombre dans la philatélie et Flavia, la plus jeune des filles est une chimiste hors pair fascinée par les poisons qui, lorsqu'elle découvre un cadavre parmi les concombres du potager se lance dans une enquête rocambolesque. D'autant plus motivée que son père est le principal suspect et qu'elle n'a pas l'habitude de se mêler de ses affaires...
     
    Ou comment plonger dans la campagne anglaise des années 50. Pour son premier roman, Alan Bradley installe une ambiance délicieusement surannée qu'il s'emploie ensuite à dynamiter dans les règles de l'art avec sa miss Marple transformée en fillette dégourdie. Flavia fait un peu penser à d'autres héroïnes de la littérature policière pour la jeunesse, comme Enola Holmes par exemple. Elle en a l'indépendance, la volonté, le goût du risque. Mais elle a son petit caractère  bien trempé, son insolence, sa naïveté parfois et ses réparties, ses relations pas piquées des hannetons avec ses soeurs, sa fidèle monture et son imagination débridée. De quoi charmer le lecteur quelque soit son âge qui la suis, parfois un peu agaçé, parfois souriant. J'avoue avoir été amusée par l'approche sympathique de la chimie qu'elle permet avec ses expériences, son laboratoire et sa fascination pour les chimistes de tout poil auprès desquels elle puise son inspiration: on découvre les poisons, les contre-poisons, les expériences et leur lien avec la biologie, les plantes et un certain nombre d'autres petites choses. Et puis, la bibliothèque du village vaut quand même le détour... Et la philatélie qu'on découvre un peu au passage.
    Pas besoin de se le cacher, l'intrigue est assez simple, mais ce n'est finalement pas le plus important: on prend plaisir à découvrir la famille de Flavia, le village, le manoir. C'est bourré de rebondissements pas toujours très crédibles, plein d'humour et très plaisant à lire. Bref, un bon petit polar pour se détendre à découvrir en version adulte ou jeunesse!
    Bradley, Alan, Les étranges talents de Flavia de Luce, Ed. du Masque, MsK, 2010, 372p., 3.5/5

  • Changement de décor - David Lodge

    51X97C4Y2CL._SL160_.jpg1975.

    Philip Swallow est un professeur britannique stagnant à l'université de Rummidge. Morris Zap est la superstar d'une université de Californie. Si leurs avions respectifs se croisent en plein ciel c'est qu'ils bénéficient tous deux d'un programme d'échange de 6 mois entre leurs universités respectives. Le premier se demande comme diable il est parvenu à se faire coincer dans ce cauchemars, le second fuit un marasme conjugal haut en couleur. Le résultat, comme on s'en doute, ne va pas être triste: Morris va devenir une icône du mouvement protestataire étudiant, Zap se retrouver embringué dans des histoires hautes en couleur concernant plus ou moins dans l'ordre une jeune femme partant en Angleterre pour un avortement, la modernisation de l'université de Rummidge et un ascenseur au fonctionnement étrange.

    Changement de décor est un roman totalement foutraque, réjouissant et hilarant sur le choc des cultures et le petit monde universitaire. Une fois écrit cela je pourrais partir faire autre chose, mais je vais tenter de développer quelque peu mon argumentaire. Mélangeant récit traditionnel, lettres, articles de presse, scénarios et autres, David Lodge créé un récit dynamique, débordant d'ironie qui prend comme exemple l'université et son fonctionnement pour démonter les rouages des cultures américaines et anglaises. D'un côté les traditions, de l'autre la grande révolution de la jeunesse, chacun en prend pour son grade. On s'attache à suivre les aventures des personnages, attachants avec leurs faiblesses, déstabilisés par l'univers qu'ils découvrent et les changements qui s'annoncent, se découvrant un peu mieux dans ce nouveau contexte et trouvant dans la vie de l'autre des attaches pour le moins inattendues. Leurs deux vies se superposent, se mèlent, et finalement changent et changent celles des autres. Car personne n'est épargné et c'est finalement cela qui amène aussi à se questionner sur la force qu'a notre environnement sur notre devenir. Mais sans jamais oublier d'en rire.
    Lodge, David, Changement de décor, Rivage poche, 1991, 373p., 4/5

  • Lolita - Nabokov

    nabokov_lolita.jpgIl y a des classiques de la littérature autour desquels on tourne jusqu'au jour où, soudainement, une impulsion vous pousse à l'ouvrir. Vous êtes enfin prêts à affronter le monument. Quelqu'un vous en a parlé avec assez de passion pour vous décider. C'est un coup de folie monsieur le juge, je n'ai pas fait exprès. Lolita était de ceux là pour moi. Soigneusement rangés sur mes étagères depuis quelques années, je le regardai d'un oeil plus ou moins torve. En tout cas jusqu'à ce qu'Amanda passe par là et qu'il parte avec moi en vacances.
    Qu'en dire... A part qu'il me laisse, la lecture achevée, perplexe. Je n'ai pas aimé non. Pas du tout même. Et pourtant j'ai été au bout, attachée aux pages par une espèce de fascination en même temps que de la répulsion et de l'ennui. Un drôle de cocktail qui a aboutit à un sentiment de malaise comme j'en ai rarement connu.
    Il faut dire que Nabokov offre à son lecteur une immersion dans la psychée d'un nympholepte, d'aucun dirait un pédophile, admirant de loin les nymphettes jusqu'à ce que sa rencontre avec Lo, Lolita, Dolly, Dolorès le fasse sombrer dans une passion amoureuse sans issue et le mène au meurtre. Car Humbert Humbert se raconte: sa vie en Europe, son premier mariage, son divorce et son départ pour les Etats-Unis, ses dépressions, le mariage avec la mère de Lolita, ses complots, son voyage avec elle, la perte... Il n'épargne rien de leurs tribulations d'amants, victimes l'un de l'autre.
    Le récit est profondément immoral, choquant, et pourtant, au fil des pages, Nabokov parvient à le faire devenir amoral et à brouiller les repères du lecteur. Parce que Lolita est une victime oui, mais elle est aussi le bourreau. Enfant perdue dans la découverte de sa sexualité, jouant de sa séduction, elle se trouve confrontée au désir d'un adulte, soumise à ce désir qu'elle ne peut pas comprendre mais dont elle va aussi jouer et se jouer. Dans l'univers que décrit Humbert, elle finit par revenir à sa juste place: celle d'un être humain aussi égoïste et rusé que les autres, aussi insipide. A cet égard, la fin est atroce: on la sait brisée par sa relation avec Humbert par les indices semés au fil du texte, et pourtant, elle apparaît vivante comme si elle avait oublié ce qu'il s'était passé. Humbert lui-même est aussi une victime: victime de pulsions qu'il ne parvient plus à maîtriser, victime d'une folie dans laquelle il sombre doucement, profondément pitoyable et antipathique au dernier degré dans ses moments de lucidité.
    Voir le monde à travers les yeux de Humbert est éprouvant: des rues de la vieille Europe à l'Amérique, la galerie de portraits est sordide: mères abusives, adolescents se vautrant dans la luxure, pervers soigneusement dissimulés sous les oripeaux de la respectabilité, écrivains atteints de la folie des grandeurs, femmes au foyer désespérées... La critique sociale est bien présente, violente, presque plus violente que l'histoire de Lolita et Humbert.
    Et en même temps Nabokov n'épargne pas son narrateur. Quelque part, le style m'a profondément déplu, aussi parce qu'il est en adéquation totale avec la "voix" de Humbert: froid, et en même temps sinueux, débordant du mépris qu'il porte au monde, de son inadaptation, de cette érudition qui d'une certaine manière le justifie et qu'il étaie de références pour la plupart obscures. On dérape dans le délire avec lui, on revient à la lucidité. C'est à la fois lent, dilué, et insupportable des tensions du personnage, mais drôle par moment, et cynique.
    Lolita est une oeuvre malsaine, ambigüe, dans laquelle on finit par ne plus savoir qui juger et comment le juger. C'est aussi ce qui fait sa force: l'humain y est exposé dans sa complexité, dans l'enfer de ses pulsions et du monde qu'il se construit. Sans aucun doute un chef d'oeuvre, mais pas de ceux que je relirai.

     

    Les avis de Lilly, Erzébeth, Amanda...


     


    Nabokov, Vladimir, Lolita, Gallimard, Folio, 2001, 551p.

     


  • Femmes et filles - Elizabeth Gaskell

    41S0RFH3C8L.jpgHollingford, petit village rural de l'Angleterre. Molly y grandit entre son père médecin, les vieilles filles de la ville et sa nourrice. Une enfance heureuse, entourée, qui prend fin quand son père décide de se remarier après avoir intercepté une lettre d'amour enflammée à destination de son innocente fille. une belle-mère, une demi-soeur, Molly change de vie alors que l'amitié et les prémisses de l'amour viennent bousculer ses certitudes.

    J'avais aimé Cranford, j'avais aimé Nord et Sud, sans surprise, j'ai aimé Femmes et Filles et mes retrouvailles avec la plume d'Elizabeth Gaskell se sont fait dans une atmosphère de bonheur qui ne s'est pas démentie quoi qu'aient pu en dire mes vertêbres et les lanières de mon sac à main. C'est que l'objet est imposant, l'auteur ne s'étant pas privé de raconter, avec un souffle incontestable, l'histoire de Molly Gibson.
    De son enfance à l'orée de sa vie de femme, Elizabeth Gaskell raconte son histoire et celle d'une petite communauté d'hommes et de femmes, fait partager la vie quotidienne d'Hollingford, les drames, les bonheurs, les disputes et les commérages, tous les petits riens qui agitent la bonne société locale et disent mieux que les grands événements l'essence d'une société.
    Une lecture superficielle du roman pourrait laisser penser qu'Elizabeth Gaskell s'appuie sur les clichés pour écrire un long récit irrigué par le thé et solidifié par d'indigestes petits fours. Il est vrai que Molly est une jeune fille digne, morale et vertueuse, que sa demi-soeur Cynthia est frivole et séductrice, que sa belle-mère est aussi inintelligente qu'égoïste, que les nobles sont nobles et capricieux, les vieilles filles et les veuves rigides et cancanières... Mais a bien y regarder, Elizabeth Gaskell croque ses personnages avec une grande finesse psychologique et les rend à la fois complexe et attachants, même les plus agaçants d'entre eux. Au point qu'on regrette de laisser Hollingford à la dernière page tant on a le sentiment d'avoir vécu avec ses habitants.
    C'est souvent drôle, les petits travers des uns et des autres provoquant diverses catastrophes, c'est parfois indiciblement triste, et il va sans dire qu'il arrive que l'on frémisse d'indignation face aux injustices et aux méchancetés auxquelles font face les héros et les héroïnes du récit.
    Elle mêle les fils des intrigues amoureuses et familiales, n'est jamais avare de rebondissements et d'événements qui donnent toujours envie d'en savoir plus tout en brossant avec réalisme le quotidien dans ce qu'il peut avoir de plus prosaïque et en se moquant avec tendresse de ses personnages.
    Un très beau roman donc, à découvrir et savourer comme il se doit... avec une tasse de thé!

    Pimpi a aimé, Karine:) aussi