Connie et Matt sont le couple parfait: unis depuis l'adolescence, toujours amoureux, parents de trois garçons, propriétaires d'une belle maison, entourés. Jusqu'à ce que Connie rentre seule d'un voyage en amoureux à Rome. A son amie Mary et à ses fils, elle raconte que Matt est resté à un congrès professionnel, à d'autres qu'il a été victime d'une commotion... Une commotion dont le nom est Greta et qui va tout remettre en cause...
La premier qualificatif qui me vient à l'esprit quand je repense à Un autre amour c'est "finesse". Parce que de bout en bout, malgré un sujet difficile, scabreux même, Kate O'Riordan réussit à éviter les clichés rebattus de l'adultère et de la crise de la quarantaine pour se concentrer sur les ondes de choc d'une rencontre. Pas n'importe quelle rencontre d'ailleurs: quand Matt et Connie croisent par hasard, ou presque Greta, c'est un premier amour qui remonte au jour, des relations amicales et une fascination qui ont marqué leurs jeunesses. Pas de jeunette donc, pas de gentil et de méchant, mais une réflexion acérée et toute en nuance sur l'amour et l'amitié, sur le temps.
Kate O'Riordan imbrique avec patience les points de vue, distille les indices qui laissent deviner, sous le masque que porte chacun, les êtres bruts avec leurs doutes, leurs mesquineries, leurs peurs et l'amour qui les dévore, la solitude. Pourtant, pas d'hypocrisie, l'amour est vrai, l'amitié aussi, mais il y a des failles, des rancoeurs, et de pages en pages, les personnages s'affirment dans leur complexité, deviennent de plus en plus attachants, d'autant plus attachants qu'ils apparaissent terriblement réels. Marqués par leur famille, par leur éducation. Marqués par leurs relations amoureuses. Marqués par leurs amitiés. Mary par exemple est un personnage terrible avec sa solitude qui la ronge, le bonheur qu'elle trouve avec la famille de Connie et Matt, sa terreur de les perdre. Matt, qui essaie d'être un homme bien, qui se pense un homme bien et qui se rend compte de la trahison dont il est capable envers celle qu'il pensait aimer. Connie qui mène son petit monde à la baguette, toujours menée par la peur de recevoir, de se décevoir. Même ceux qui ne font que passer sont plus que des silhouettes, sans doute parce que les rencontres, même brèves, mêmes professionnelles, même de hasard peuvent changer le cours d'une vie ou changer une personne. Tout sonne juste, des réactions des enfants à celle des parents et de Greta.
Kate O'Riordan rappelle avec brio à quel point il est difficile de comprendre et de juger une crise comme celle que traverse ce couple si comme il faut.
Un autre amour, c'est aussi un roman sur les insatisfactions, sur les rôles qu'on joue pour trouver sa place, des rôles qu'on a construit pour se protéger et qui deviennent essentiels:
" C'était pitoyable: même avec sa meilleure amie, celle à qui elle confiait la vie de ses enfants, elle jouait un rôle. Mère de trois garçons, épouse de leur père, soeur, fille. On serrait les dents, on continuait, on se levait tous les matins, on s'habillait et on mettait du mascara et du rouge à lèvre, on disait: "Bien, merci et vous?" Si on perdait cette personnalité, celle qu'on avait façonnée, il était impossible de savoir qui on trouverait pour la remplacer."
Or, tous les personnages jouent un rôle, Connie, Matt, Mary, jusqu'à ce qu'ils se retrouvent mis à nu dans cette crise et face à la vie qu'ils se sont construits:
"Elle avait eu ce qu'elle voulait et elle était paradoxalement fâchée contre elle-même d'avoir voulu si peu."
Finalement, même si on atteint ce que l'on a voulu de toutes ses forces, ce n'est pas toujours suffisant:
"Au fond de lui-même, Matt pensait que les gens naissaient avec une aptitude au bonheur ou que, comme pour sa mère, celui-ci ne venait tout simplement pas facilement à eux, voire pas du tout. Pour elle, il restait un objet lointain, une lueur attendant au bout de tunnels sombres. Elle avait beau essayer de toute ses forces, elle ne parvenait pas à s'extirper du labyrinthe d'obscurité pour atteindre cette lumière. Il avait fait consciemment l'effort tout au long de sa vie d'être aussi heureux que possible à chaque moment et dans toutes les circonstances. Il avait travaillé dur, goûté différents degrés de réussite, apprécié sa vie de famille et sa maison. Il aurait trouvé indécent de désirer autre chose, de reconnaître un insatisfaction. Aujourd'hui, tout cela lui semblait un point de vue naïf et simpliste. Ce qui était présent ne compensait pas forcément ce qui était absent."
Ce ne sont là que quelques aspects de ce roman foisonnant, froid et en même temps débordant d'émotions, de colère et d'amour. Kate O'Riordan redonne à une situation statistiquement banale, sa dimension humaine et sa complexité. C'est brillant et touchant.
"Les peines les pires sont celle qu'on ressent quand quelqu'un ne veut surtout pas vous en faire."
O'Riordan, Kate, Un autre amour, Joëlle Losfeld, 2010, 300p., 5/5