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Lolita - Nabokov

nabokov_lolita.jpgIl y a des classiques de la littérature autour desquels on tourne jusqu'au jour où, soudainement, une impulsion vous pousse à l'ouvrir. Vous êtes enfin prêts à affronter le monument. Quelqu'un vous en a parlé avec assez de passion pour vous décider. C'est un coup de folie monsieur le juge, je n'ai pas fait exprès. Lolita était de ceux là pour moi. Soigneusement rangés sur mes étagères depuis quelques années, je le regardai d'un oeil plus ou moins torve. En tout cas jusqu'à ce qu'Amanda passe par là et qu'il parte avec moi en vacances.
Qu'en dire... A part qu'il me laisse, la lecture achevée, perplexe. Je n'ai pas aimé non. Pas du tout même. Et pourtant j'ai été au bout, attachée aux pages par une espèce de fascination en même temps que de la répulsion et de l'ennui. Un drôle de cocktail qui a aboutit à un sentiment de malaise comme j'en ai rarement connu.
Il faut dire que Nabokov offre à son lecteur une immersion dans la psychée d'un nympholepte, d'aucun dirait un pédophile, admirant de loin les nymphettes jusqu'à ce que sa rencontre avec Lo, Lolita, Dolly, Dolorès le fasse sombrer dans une passion amoureuse sans issue et le mène au meurtre. Car Humbert Humbert se raconte: sa vie en Europe, son premier mariage, son divorce et son départ pour les Etats-Unis, ses dépressions, le mariage avec la mère de Lolita, ses complots, son voyage avec elle, la perte... Il n'épargne rien de leurs tribulations d'amants, victimes l'un de l'autre.
Le récit est profondément immoral, choquant, et pourtant, au fil des pages, Nabokov parvient à le faire devenir amoral et à brouiller les repères du lecteur. Parce que Lolita est une victime oui, mais elle est aussi le bourreau. Enfant perdue dans la découverte de sa sexualité, jouant de sa séduction, elle se trouve confrontée au désir d'un adulte, soumise à ce désir qu'elle ne peut pas comprendre mais dont elle va aussi jouer et se jouer. Dans l'univers que décrit Humbert, elle finit par revenir à sa juste place: celle d'un être humain aussi égoïste et rusé que les autres, aussi insipide. A cet égard, la fin est atroce: on la sait brisée par sa relation avec Humbert par les indices semés au fil du texte, et pourtant, elle apparaît vivante comme si elle avait oublié ce qu'il s'était passé. Humbert lui-même est aussi une victime: victime de pulsions qu'il ne parvient plus à maîtriser, victime d'une folie dans laquelle il sombre doucement, profondément pitoyable et antipathique au dernier degré dans ses moments de lucidité.
Voir le monde à travers les yeux de Humbert est éprouvant: des rues de la vieille Europe à l'Amérique, la galerie de portraits est sordide: mères abusives, adolescents se vautrant dans la luxure, pervers soigneusement dissimulés sous les oripeaux de la respectabilité, écrivains atteints de la folie des grandeurs, femmes au foyer désespérées... La critique sociale est bien présente, violente, presque plus violente que l'histoire de Lolita et Humbert.
Et en même temps Nabokov n'épargne pas son narrateur. Quelque part, le style m'a profondément déplu, aussi parce qu'il est en adéquation totale avec la "voix" de Humbert: froid, et en même temps sinueux, débordant du mépris qu'il porte au monde, de son inadaptation, de cette érudition qui d'une certaine manière le justifie et qu'il étaie de références pour la plupart obscures. On dérape dans le délire avec lui, on revient à la lucidité. C'est à la fois lent, dilué, et insupportable des tensions du personnage, mais drôle par moment, et cynique.
Lolita est une oeuvre malsaine, ambigüe, dans laquelle on finit par ne plus savoir qui juger et comment le juger. C'est aussi ce qui fait sa force: l'humain y est exposé dans sa complexité, dans l'enfer de ses pulsions et du monde qu'il se construit. Sans aucun doute un chef d'oeuvre, mais pas de ceux que je relirai.

 

Les avis de Lilly, Erzébeth, Amanda...


 


Nabokov, Vladimir, Lolita, Gallimard, Folio, 2001, 551p.

 


Commentaires

  • Tu trouves que Lolita a l'air indemne ? Elle a fuit, épousé un loser, elle meurt bêtement. Elle a été brisée, quoi qu'elle en dise à mon avis.
    Sinon, malgré ta déception, je te pardonne, parce que ce livre t'a visiblement marquée, ton billet est très beau ;o)

  • Bravo pour ce billet. J'ai lu ce livre il y a plusieurs années sans l'aimer mais depuis, je suis incapable de mettre des mots sur la raison de ce désamour. Je crois que tu l'as très bien fait et je partage en grande partie ton avis. Un livre qui m'a sans aucun doute marquée mais que je n'ai pas su/pu aimer.

  • @ Lilly: non, pas indemne, mais qu'elle en a l'air à travers les yeux de Humbert même si on sait qu'elle est brisée. Son personnage est difficile à cerner puisqu'on ne le perçoit qu'au travers des dires et des fantasmes de son beau-père. Elle est complexe, victime, en même temps capable de ruse et d'une vengeance finalement assez subtile, vénale et fragile,... Elle épouse un loser, mais elle sait toujours ce qu'elle fait et pourquoi elle le fait. Assez impressionnante en fait dans ce qu'on arrive à percevoir d'elle. Enfin bref... Nabokov a su construire des personnages plus que complexes et un récit hallucinant! :-)
    @ Zarline: ça a été dur à rédiger! Mais c'est typiquement le genre de roman qu'on adore ou qu'on déteste et qui continue à trotter en tête pendant longtemps.

  • Ta critique est effectivement très belle. Lolita n'est pas un roman qui laisse indifférent, même si pour moi, il a été un immense coup de coeur littéraire, un peu du genre de celui d'Amanda.
    Je pense que ce n'est pas Nabokov qui cherche et réussit à brouiller les repères du lecteur, mais Humbert Humbert. C'est lui qui veut nous faire voir Lolita comme une perverse (alors que pour moi elle n'est qu'une victime qui essaie de se sortir des rets de son beau-père) ; c'est lui qui nous montre le corps des femmes adultes comme répugnant, et celui des petites filles comme attirant ; tout passe par son esprit dérangé.
    Je n'ai pas pris de plaisir (à part littéraire : le style est vraiment trop beau !!) à cette lecture, mais elle m'a profondément marquée et un peu changée.

  • ahh.. Lo... que de maux elle provoque. Elle ou Humbert, d'ailleurs. Enfin, Nabokov. Le style qui t'a déplu est justement celui que j'ai adoré... et pour les mêmes raisons... On en parlera ma Chiff. Je suis tellement encore sous "l'influence" de ce roman.. :)

  • dans ma PAL depuis trop longtemps !

  • malgré le très beau billet d'Amanda je n'ai toujours pas très envie... Mais ta description de Lolita me fait furieusement penser à la Salomé de Strauss, que j'ai adoré, alors finalement peut-être que je vais changer d'avis, bref, voilà, quoi. Un jour où j'aurai envie d'être bousculée!

  • Mon plus grand souvenir de Lolita c'est d'être tombé amoureuse du style de Nabokov qui m'a littéralement transporté... pourtant l'histoire aurait dû me révulser et d'une certaine manière c'est bien le cas. Pour moi la fin est terrible, la vie de cette gamine ravagée et cet humbert qui ne comprend rien... brrr !!! mais je ne pense pas le relire non plus...

  • Mon plus grand souvenir de Lolita c'est d'être tombé amoureuse du style de Nabokov qui m'a littéralement transporté... pourtant l'histoire aurait dû me révulser et d'une certaine manière c'est bien le cas. Pour moi la fin est terrible, la vie de cette gamine ravagée et cet humbert qui ne comprend rien... brrr !!! mais je ne pense pas le relire non plus...

  • Ton analyse est très fouillée en tout cas ! Mais elle ne m'incitera pas à lire un livre qui ne m'attirait déjà pas... je crois que je serais gênée par les mêmes choses que toi.

  • Un roman vraiment déroutant... je m'étais laissé totalement happé par l'écriture de Nabokov (je me revois lisant dans la voiture en rentrant de la brocante où je l'avais trouvé alors que je suis malade quand ça roule, tssss !). C'est étonnamment le personnage de la mère m'avait certainement le plus interpellé... et puis ce moment où ça bascule, quand Lolita commence à faire marche arrière... brrrr !

  • Je suis d'accord avec toi : il est des monuments autour desquels on tourne longtemps avant de se jeter à l'eau. Celui-ci en fait partie pour moi. Mais contrairement à toi, je n'en suis pas venue à bout : trop vite écoeurée, par le style (pourtant tout à fait adéquat effectivement) et par le sujet, par d'autres choses aussi surement... Mais contrairement à d'autres monuments, celui-ci je n'ai pas envie de lui donner une seconde chance : il fera partie de ceux que je ne lirai jamais.

  • J'ai été moi aussi tellement happée par le billet d'Amanda que j'ai également sorti Lolita des étagères...
    Mais je l'ai reposé au bout d'une centaine de pages. Une belle écriture oui mais difficile. Et je crois aussi un avant goût de nausée... Une chose est sûre, j'ai eu très mal aux yeux en lisant ça !! ;-)

  • Un billet effectivement très beau, très explicatif pour détailler ce que tu n'as pas aimé. Je l'ai lu aussi et je n'ai pas du tout accroché. Je n'ai même pas pu le finir et pourtant le style me plaisait. Mais le malaise était trop présent.

  • Un livre qui m'a toujours fait fuir !!!

  • @ Céline: et se pose là la question du rapport de l'écrivain à ses personnages! Je suis d'accord ceci dit, Nabokov a "laissé" la plume à Humbert, et d'une certaine manière, le résultat est époustouflant. Voir Lolita par ses yeux est profondément dérangeant en tout cas, et je dois dire que la lecture a été difficile pour moi!
    @ Amanda: oh que oui on va en parler! J'attends ça avec impatience!
    @ Lystig: tu sais, il y en a qui attendent depuis plus de dix ans sur la mienne... :-)
    @ Mo: il vaut mieux avoir envie d'être bousculée effectivement! Je l'ai été et pas qu'un peu! :-)
    @ Yueyin: c'est le style qui m'a donné le plus de difficulté, parce qu'il "est" Humbert et que j'ai détesté ce personnage! Enfin, c'est la marque des chefs d'oeuvre aussi!
    @ Anne: ceci dit, je ne regrette pas d'avoir sauté le pas, c'était une découverte!
    @ Pickwick: la mère est effectivement un personnage captivant, à la fois naïf et roué, victime d'elle-même et bourreau de sa fille d'une certaine manière. Comme tous les personnages du roman, elle marque!
    @ Petite Fleur: je te comprends! Si je n'avais pas été au bout, je ne pense pas que j'aurai repris un jour!
    @ Emeraude: il est totalement inconfortable. J'ai vraiment, vraiment eu du mal. Mais sans regret une fois fini, je suis contente de l'avoir découvert et d'avoir découvert Nabokov.
    @ Restling: je vois tout à fait. Comme je disais à Petite Fleur, je crois que si je ne l'avais pas terminé, je l'aurais définitivement laissé tomber!
    @ Marie: alors il vaut mieux ne jamais l'ouvrir! Il est porteur d'une charge émotionnelle assez hallucinante!

  • J'ai succombé au charme de ce roman. Ton billet est très beau.

  • Un objet livre étrangement attirant et repoussant...comme tout ce qui est beau et ténébreux !

  • @ Markovitch: exactement. La marque des grands romans aussi, de ceux qui poussent le lecteur aux limites!

  • @ Manu: merci!

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