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Un bûcher sous la neige - Susan Fletcher

Un-Bûcher-Sous-la-Neige-188x300.jpgSa mère l'a appelée sorcière avant de lui donner son vrai nom, le jour de sa naissance. Sorcière, c'est ce pourquoi Corrag est condamnée à l'ordalie par le feu dans les Highlands du 17e siècle. A moins que cette condamnation n'ait à voir avec le massacre de Glencoe dont elle a été témoin. Ce massacre en tout cas est tout ce qui intéresse le révérend Charles Leslie, prompt, comme tout écclesiastique qui se respecte à condamner le suppôt de Satan, la menace sur Dieu et la société mais bien décidé à faire la lumière sur cet événement qui sert la cause jacobite dont il est un fervent défenseur. Mais Corrag impose au révérend une étrange volonté: s'il veut connaître la vérité sur Glencoe, il lui faudra d'abord entendre son histoire, pour que son souvenir demeure après sa mort.  Bientôt, à son corps défendant, le révérend va être pris dans les fils d'une vie qui lui dévoile une vision du monde bien différente de la sienne.

 

Étrange comme parfois, à travers une voix, un personnage, un auteur peut donner à sentir une terre, un peuple, un temps avec une telle intensité. Étrange aussi que cette voix, située dans un temps et un espace prenne des résonances aussi universelles grâce à un don précieux, celui de guérir, de voir, par-dessus tout, de raconter. Un don hors du commun pour cette toute petite femme qui ne sait ni lire ni écrire, dont la vie est marquée par l'intolérance et la violence, par l'errance et la peur.

Car le destin de Corrag, comme celui de sa mère, a été marqué par le meurtre fondateur, celui de la grand-mère de Corrag, accusée d'être une sorcière, noyée alors qu'elle était innocente sous les yeux de sa fille et de son époux. Un sort partagé par des milliers de femmes, et des hommes parfois. A cause de la jalousie, à cause de signes interprétés dans le sens de la superstition par des communautés apeurées et régies par les normes strictes d'une religion se confondant avec justice et politique, à cause de connaissances jugées suspectes, d'une liberté trop grande, d'opinions différentes. Différente, Corrag l'est: fille d'une femme trop libre d'abord, trop libre elle-même. Différente, c'est la raison pour laquelle Corrag a eu plusieurs vie, des vies dont elle ne veut pas qu'elles tombent dans l'oubli, des vies qu'elle raconte à Charles Leslie.

La première se déroule dans le petit village qu'a choisit sa mère pour vivre et la mettre au monde, juste parce que menacés par le brigandages, ses habitants ne pensent pas à persécuter la sorcière. Il y a les mensonges pour vivre en paix, les insultes et les vexations, les services récompensés par la délation, la peur, les médisances, les jets de pierre.  De l'histoire de Corrag et de celle de sa famille, on atteint à celle de toutes ces femmes condamnées pour leur différence, et à celle de tous ceux pris pour cible à travers l'histoire, devenu boucs émissaires pour qu'une communauté, une société puisse se souder autour de règles, d'une appartenance définie contre ce qui est autre. Il est certain que dans le cas de Corrag, c'est le christianisme qui est au centre de cette réflexion, une religion voulue outil de paix, de charité, de compassion transformée en machine de guerre contre ceux qui ne croient pas comme ils le devraient. Mais ce pourrait tout à fait en être une autre.

La seconde est une fuite éperdue pour sauver sa vie qui lui fera croiser la route d'autres rejetés. Dans cette traversée d'Angleterre et d'Ecosse, il y a la nature, la rencontre parfois furtive, parfois riche d'enseignements d'autres parias, le danger et la violence des éléments, la douceur d'un animal.

La troisième vie de Corrag, c'est la découverte que même des femmes comme elles peuvent trouver une place dans le monde, que tout n'est pas indifférence ou rejet et que certains peuvent accepter celui qui croit autrement et qui vit autrement. On découvre le glen en même temps qu'elle et c'est un bonheur de toutes les pages de plonger dans cette nature superbe, à la fois dure et accueillante, de parcourir la lande avec elle, de monter les sentiers escarpés des collines et des montagnes.

 La quatrième vie de Corrag, c'est la prison, la peur de mourir brûlée vive, la rencontre avec le révérend Leslie, la possibilité enfin, de raconter sa vie, d'enchanter et de changer un homme.

Quatre vies et un balancement entre des contraires: au fil des pages deux visions du monde et de la vie s'affrontent, se fondent, se nourrissent l'une de l'autre. Il y a les lowlands et les highlands, deux rois, deux religions, le refus de la violence et la guerre, deux modes de vie. Vivant à la marge, Corrag représente une sorte de troisième voie, dont l'existence même déséquilibre, interroge le monde qui l'entoure, le change, même si ce n'est qu'un tout petit peu.

 C'est un roman magnifiquement écrit (et traduit), poétique, vibrant, passionné comme son personnage principal, mais qui prend aussi le temps de la contemplation et du repos. On alterne le récit de Corrag et les lettres du révérend à son épouse bien-aimée, lettres qui sont autant des respirations et une fenêtre ouverte sur l'âme de cet homme d'église bousculé dans ses certitudes, ouvrant les yeux sur les failles de cette foi qui pousse des hommes à brûler leurs semblables et qui renient quotidiennement les principes même qu'ils professent pour servir leurs intérêts à la lumière de la bonté et de l'empathie pour le monde que montre Corrag. Le talent de Corrag, Susan Fletcher le possède, indéniablement  pour parvenir à faire sentir aussi bien à son lecteur l'univers de Corrag, la nature qui l'entoure, la violence qu'elle subit et l'amour profond du monde que cette jeune femme hors du commun professe.

Indéniablement un des coups de coeur de la rentrée.

 

Liliba, Yspaddaden, Marie, Cathulu, Fashion,... en parlent.

Fletcher, Susan, Un bûcher sous la neige, Plon, 2010, 390p., 5/5


 

 

 


Commentaires

  • Quelle belle découverte que ce livre. Même ceux qui comme moi ne sont pas sensibles à la nature pourront lui porter intérêt dans ce récit est fort. Cette jeune fille est vraiment incroyablement vivante, sa voix résonne longtemps.

  • Voilà un livre que j'ai déjà repéré en lisant le billet d'Ys... Et ton billet ne fait que confirmer : il est à lire... ;-)

    HS : Le livre voyageur d'Aifelle est parti de chez moi hier...

  • Je l'ai réservé à la médiathèque et espère me régaler autant à sa lecture que toutes les blogueuses qui en ont parlé...

  • Eh bien tu sais quoi ?? Je le note !

  • Liliba l'avait mis en coup de coeur. Emballée par son billet, il est vite passé sur ma PAL et ton billet est magnifique et rajoute à cette envie urgente de le découvrir!

  • Jamais lu cette auteure. Il va falloir que je me lance je crois.

  • j'ai hâte de le lire celui-là :-))

  • j'ai hâte de le lire celui-là :-))

  • Fashion m'en a dit du bien aussi. Je commence à me dire que je n'ai lu aucun des coups de coeur de la rentrée, finalement...

  • Vraiment pas mal!!! très tentée malgré une PAL de plus en plus touffue ;)

  • J'ai craqué pour ce livre la semaine dernière. Je ne pouvais plus résister à cette avalanche de coup de coeur... J'adore le style de l'auteur, c'est un style qui fait que l'on vit plus le livre que l'on ne le lit !!! J'ai vraiment hâte de le lire... Merci pour ce très beau billet Chiffonnette !

  • Tout le monde est dithyrambique, on dirait (il est bien écrit, ce mot??? je sais jamais!!) Il est donc sur la liste, bien entendu!

  • Pour l'instant, seule la grosseur de ce pavé m'en a fait repousser la lecture, il m'attend sagement sur mes étagères ! ;-)

  • @ Toutes:désolée pour la réponse collective, la place est chère au clavier pendant les vacances! ;-) Mais oui c'est un merveilleux roman, un bijou qui m'a enchatée et j'espère que celles qui vont le découvrir seront aussi gagnée par cette belle oeuvre!

  • Superbe billet, il donne envie de relire le livre !!!

  • C'est un merveilleux roman! J'avoue que je le relirai avec grand plausur!

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