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  • The hunger games - Suzanne Collins

    Autour du Capitole, douze districts soumis par la terreur. Douze garçons et douze filles entre douze et dix-huit ans sont tirés au sort chaque année pour participer aux Hunger Games : lâchés dans une gigantesque arène, confrontés à une nature hostile, ils doivent s’entretuer jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un seul d’entre eux sous le regard d’une population contrainte à suivre ces jeux.
    Dans le District 12, le district du charbon, Katniss, 16 ans, fais survivre sa mère et sa sœur. Quand cette dernière est tirée au sort pour participer aux Hunger Games, Katniss se porte volontaire à sa place et part avec Peeta affronter l’arène et des concurrents décidés à survivre à tout prix.


    Les abominables citations dithyrambiques sur la quatrième de couverture des romans ont le don de m’agacer royalement la plupart du temps, voire de me faire renoncer à une lecture. Que diable ai-je à faire de l’avis soit disant éclairé de Stephen King et Stephenie Meyer sur tel ou tel roman, je vous le demande. Même s’ils ont raison dans ce cas précis : effectivement, impossible de lâcher ce roman. J’admets qu’il me fallait le lire très vite, mais ce qui aurait pu être une obligation puisque je voulais le lire mais pas forcément à ce moment précis (ahhhhh, la volonté illusoire de laisser le coup de feu se tasser), s’est vite transformé en plaisir.
    The Hunger Games est un roman intelligent, et non content d’être un roman intelligent, il a l’immense avantage d’avoir été écrit par un auteur qui sait ce que suspense et rebondissements signifient. On ne pourra à aucun moment nier que Suzanne Collins maîtrise l’art du page turner, ça non !
    Mais venons-en au vif du sujet. Comme dystopie, Hunger Games ne présente pas de réelle originalité. En le lisant on pense à Battle Royale, on retrouve les thème de centre/ périphéries soumises, de contrôle des masse, avec une trame relativement classique de récit initiatique. Mais tout cela, Suzanne Collins le maîtrise et le place dans le contexte de ces jeux qui ne sont pas sans rappeler les jeux du cirque, certaines des coutumes antiques les plus révoltantes et la télé-réalité qui depuis quelques années sévis sur nos écrans et prend des tous de plus en plus trash. C’est le principe de la télé-réalité poussé à l’extrême et utilisé comme instrument par un pouvoir totalitaire qu’utilise l’auteur.
    Elle prend le temps de décrire brièvement, sans doute un peu trop brièvement l’univers de son roman avant de lâcher Katniss et Peeta dans la fosse. On a du coup une impression de survol des ressorts politiques et sociaux de Panem même si le principal est aisément compréhensible et certaines réactions de la population sont un peu difficiles à saisir. Cela n’empêche aucunement l’auteur d’aborder des questions difficiles sur le libre-arbitre, la dignité, l’identité. On peut même dire qu’effleurer l’aspect scientifique, technique (les armes, les moyens de locomotion) permet d’une certaine manière de mieux s’identifier à cet univers pas si différent du notre. On s’attache aux personnages, à commencer par Katniss, bien moins forte qu’elle n’en a l’air, par Peeta moins naïf qu’au premier abord, et tout ceux qui les entourent. L’histoire sentimentale entre les deux jeunes gens, plus complexe que ce à quoi on pourrait s’attendre ne porte à aucun moment préjudice au rythme du récit, mais au contraire, l’enrichit. On voit petit à petit les rouages bien huilés des jeux se grippés sous l’effet d’une situation inédite et les Juges être pris à leur propre jeu par des adolescents qui sans être plus intelligents que la moyenne, ont des moyens inédits à leur disposition pour s’en sortir : la sympathie du public envers une histoire d’amour qu’ils jouent sans la jouer. La perte de contrôle du Capitole, habitué à manipuler le public est intéressante. Avec cela, les affrontements entre les candidats et les menées des Juges sont haletants sans jamais sombrer dans le sanguinolent ou le voyeurisme.
    Je reprocherais tout juste à l’auteur d’avoir relativement épargné son héroïne et d’avoir laissé quelques ficelles un peu épaisses apparentes à un ou deux endroits. Mais vraiment pour trouver quelque chose à critiquer. D’autant que cette première critique est un peu facile : bien sûr les extrêmes auxquels l’instinct de survie peut pousser ne sont pas explorés comme ils ont pu l’être dans Battle Royale, mais il faut rappeler au passage, que celui-ci est plutôt destiné à un public adulte et que le contexte politique décrit n’est pas le même, et que Suzanne Collins a prévu une trilogie. Difficile de la continuer sans ses personnages principaux (certes, GRR Martin ne s’est jamais encombré de ces considérations, mais nous ne sommes pas dans le même type de littérature : il est plus facile de massacrer ses héros quand on déroule son récit sur 14 tomes)… Il semble que davantage d’explications soient prévues dans le tome 2, historiques, sociales et autres, et une chose est certaine, le premier chapitre offert à la fin de ce tome met l’eau à la bouche

    Très belle réussite, Hunger Games se dévore et laisse présager un second et un troisième tomes tout aussi passionnants. Espérons ne pas être déçus !


    D'autres avis: Chrestomanci, Fashion Emmyne, Karine:), Bladelor, Cuné, La soupe de l'espace,...   

    Et dans la catégorie Anticipation, c'est ma première lecture officielle pour le Défi SF de GeishaNellie!

    defiSF2010

  • Abbés - Pierre Michon

    pierre-michon-quatrieme-L-1.jpeg« Toutes choses sont muables et proches de l’incertain. »

    Trois époques, trois abbés, trois récits qui racontent autour de l'an mil la fondation des premiers monastères dans les terres de Vendées.

    Intriguée par l'émotion avec laquelle plusieurs personnes m'avaient parlé de Pierre Michon j'ai ouvert ce court recueil, ne sachant guère à quoi m'attendre: un roman, des nouvelles? C'est ma foi à la foi un roman, à la fois des nouvelles, mais surtout les chroniques d'un temps où religion, héroïsme et sordide se mêlaient pour constituer la geste d'un Moyen-Âge barbare et raffiné. La première chose qui happe, c'est la plume de Pierre Michon: faussement simple, elle sait parfaitement traduire les sentiments, les sensations et fait percevoir au lecteur cette nature encore sauvage que les hommes vont commencer à domestiquer. Chaque phrase est tarvaillée, ciselée, jusqu'à sonner au plus juste et au plus beau.

    Le premier des récits, le Mont Saint-Michel se dessine, porté par la volonté de cet abbé qui se bat contre la mer et gagne: gagne des terres sur la mer, gagne des chrétiens, et gagne une passion amoureuse fulgurante avec la femme d'un pêcheur. On se croirait face à la mer, à la marée, à ces petites communautés de pêcheur chrétiennes, mais qui conservent dans leurs croyances et leur mode de vie quelque chose du paganisme qui a été le leur. Face à eux les moines, nobles devenus par la force des choses reclus et humbles, encore mus par l'ambition et faibles face aux besoins de leurs corps et de leurs sens. Capables de se disputer une femme et de rompre, pour elle, leurs voeux.

    Dans le second récit, nous voilà projeté au coeur de la chênaie de Saint-Pierre-de-Maillezais, terre de Guillaume Fier-à-bras qui y chasse un énorme sanglier, un de ces animaux fantastiques qui échappent à la traque, un monstre dont la femme de Guillaume, Emma, prend prétexte pour faire élever au coeur de la forêt un lieu saint, avec l'aide de Cluny. Mais entre la châtelaine, le seigneur, le chevalier qui a tué l'animal se nouent une relation de jalousie, de désir et de vengeance qui va faire entrer le meurtre et la cruauté au coeur même du monastère.

    Dans le troisième récit, l'abbé Théodolin, désireux de faire de son monastère un lieu de renom, vole pendant une procession, une dent de saint Jean-Baptiste. L'encombrante relique fera d'un taiseux un prêcheur de talent et de renom. Jusqu'à la révélation de la supercherie.

    Il est difficile de rendre compte de la richesse de ces textes. A cause de leur simplicité sans aucun doute, mais aussi et surtout parce que sous cette apparence, se cachent des symboles, une réflexion sur le divin, son affrontement au réel, les relations qu'hommes et femmes entretiennent avec lui et la manière dont ils l'accordent à leurs passions et leurs désirs, sombrant dans le pêché, cherchant la sainteté, luttant contre eux-mêmes. Ce fond, présent sans jamais étouffer le texte, est passionnant, et n'empêche pas Pierre Michon de mêler de l'humour, de l'ironie parfois, du respect toujours, à l'histoire de ces abbés. Il invite à partager ces chroniques qu'il a découvert, qu'il raconte à sa manière, et qui disent comment les choses changent et comment les hommes tissent la trame de leur propre perte.

    Je m'arrête là, tant il est difficile de rendre justice à ce recueil. Je me contenterai de vous encourager à découvrir cette très belle plume que pour ma part, je vais continuer à explorer.

    Pierre Michon, Abbés, Verdier, 2002, 70p., 5/5

     

     

     

     

  • Zola Jackson - Gilles Leroy

    20091127110114_1_164x240.jpgAoût 2005, l’ouragan Katrina dévaste la Nouvelle-Orléans. Les digues cèdent, les quartiers les plus modestes de la ville sont submergés. Zola Jackson s’organise pour rester chez elle et refuse toute évacuation qui ne lui permettrait pas d’emmener avec elle sa chienne, tout ce qui lui reste de sa famille.

    Gilles Leroy est un écrivain que j’ai découvert avec son magnifique Alabama Song, un très beau portrait de femme. Avec Zola Jackson, c’est le moins qu’on puisse dire, il réitère. A travers cette femme, c’est un superbe portrait psychologique, une description réaliste et poignante des drames d’une vie qu’il offre à ses lecteurs.

    Zola Jackson n’est pas une héroïne : c’est une femme blessée, une mère abusive, une forte tête arrogante, crispante et attachante qui n’a jamais su se taire et en a payé le prix fort. Au fur et à mesure que l’ouragan se déchaîne, que l’eau monte, elle revient sur le passé, et surtout, sur l’histoire de son fils tant aimé. A travers ses souvenirs, se dessine petit à petit son sentiment de culpabilité, sa colère, un amour maternel dévastateur qui l’a poussée à toujours demander plus à son fils et à le blesser. Il y a les rêves qui rendent le réveil difficile, le désespoir parfois, le deuil qui ronge tout,  les espoirs enfuis. Au fil des heures, Zola défile son histoire de femme et de mère. Surtout de mère d’ailleurs. Tout y est, l’aveuglement d’une mère qui refuse de voir ce qui ne correspond pas à ce qu’il croit savoir de son enfant, son sentiment d’avoir été trahie quand l’enfant se révèle ne pas tenir les attentes dont il était chargé, l’espoir d’un avenir meilleur pour lui, la souffrance infligée l’un à l’autre, les non-dits, l'amour qui reste malgé tout inconditionnel. Par touches successives, Gille Leroy raconte une relation mère-fils qui tient presque de l’universel.

    Mais le plus impressionnant dans ce roman est sans aucun doute la capacité hallucinante et impressionnante qu’a Gilles Leroy d’incarner Zola. C’est un personnage totalement crédible dans sa foi pour la connaissance, sa volonté de faire sortir son fils du ghetto, son refus d’avoir peur du monde et du qu’en dira-t-on. C’est une voix émouvante, touchante parce que profondément humaine, servie par une plume juste qui va à l’essentiel.

    Au-delà, Gilles Leroy s’empare de l’Amérique profonde, celle du sud encore raciste, des ghettos, de la survie et de la révolte, celle des médias et excelle à faire monter la tension autour de cette catastrophe qui détruit une ville et qui sera un échec politique cuisant pour le président en poste et provoquera le scandale tant la gestion des secours et l’attitude des médias se sera révélée déplorable.

    Seul bémol, un épilogue en forme de happy end qui gâche un peu la force du texte à mon sens. Mais pas de quoi bouder son plaisir, loin de là !

    D'autres avis: Stephie, Uncoindeblog, Fashion, Amanda...

    Gilles Leroy, Zola Jackson, Mercure de France, 2010, 4/5

  • Cranford - Elizabeth Gaskell

    couv'-Gaskell copie.jpgCranford, petite ville du Nord de l'Angleterre, ses veuves et ses demoiselles, son château, et les mille et une petites histoires qui émaillent le quotidien, entorses aux convenances, amours contrariées ou deuils.

    Dieu que j'aime les romancières anglaises du 19e siècle. Le plus souvent on a l'impression de déguster un thé accompagné de patisseries. C'est à chaque roman un univers bruissant discrètement de scandales et de bonheurs et de malheurs plus ou moins grands qui se déploie, beaucoup plus complexe que ce les apparences pourraient laisser supposer, et bien loin de pouvoir être assimilés à des chroniques à l'eau de rose désuètes auxquelles ils sont souvent réduits. Cranford ne fait pas exception. Le petit monde de Cranford, on le découvre par les yeux de Mary Smith, jeune femme qui vient souvent rendre visite à ses connaissances du lieu, surtout les demoiselles Jenkyns, Doroty et miss Matty, sa soeur cadette. L'une est aussi sêche et rigide que l'autre est tendre et compatissante, mais chacune à sa manière est attentive à son entourage. Autour d'elle veuves et demoiselles se pressent. Car Cranford a une particularité: elle est peuplée presque uniquement de femmes vieillissantes. Mary va raconter au fil des saisons ses visites, et les événements qui vont les émailler: deuils, scandales, ruines, chamailleries, intrigues amoureuses hautes en couleur, lutte contre cette pauvreté qui ne dit pas son nom... Car ces dames, si elles sont de bonne famille et fermement attachées aux convenances, sont pauvres et s'emploient à le dissimuler sous le vernis du bon goût et de d'une économie domestique qui ne peut être qu'élégante.

    De petites histoires en petites histoires, Elizabeth Gaskell déploie un talent d'observation de la nature humaine étonnant, tout en conservant, toujours, une tendresse et un humour qui rendent ses personnages vivants et attachants.  Elle sait à la perfection rendre ces petits riens du quotidien, ces ridicules qui en disent tellement sur l'humain et sur la manière dont une société fait face au changement. Car Cranford doit faire face au progrès: les choses y changent. Il y a le chemin de fer, les oeuvres de M. Dickens, de nouvelles manières et une mode parfois surprenante... Face à toutes ces nouveautés, les standards moraux et les convenances vacillent, ce qui semblait immuable commence à disparaître. C'est un beau portriat d'un monde en train de mourir tout doucement, parfois ironique, souvent débordant d'humour. Il y a des scènes absoluments hilarantes: la vache habillée d'un pyama en flanelle, l'épisode du chat et de la botte. On sourit beaucoup, on rit parfois, mais on pleure aussi tant on s'est attaché aux personnages et à leurs petites manies et défauts.

    Et puis, rien que le regard de ces dames sur la gent masculine vaut le détour! Ces gentlemen en prennent pour leur grade face à ces amazones à qui rien de fait peur, sauf, peut-être, un manquement aux convenances! Après tout, elles vivent depuis des années dans homme à la maison et ce n'est pas pour autant qu'elles ont été malheureuses! J'ai adoré notamment la réplique d'une de ces dames disant qu'elle sait parfaitement à quoi s'attendre avec les hommes, son père en ayant été un! Savoureux!

    Dommage que les fils du récit soient un peu léger et qu'aucune véritable intrigue ne vienne donner plus de profondeur à ce qui aurait pu être un bijou. Sans fil conducteur, les rebondissements semblent parfois un peu exagérés, ou rapidement amenés et délaissés.

    cranford_396x222.jpgBref, j'ai aimé! Et comme j'ai aimé, je ne pouvais pas ne pas me jeter sans aucune autre forme de procès sur l'adaptation par la BBC du roman. Ceci dit, la lecture in english du dos du DVD a commencé par me laisser perplexe: il y avait là des personnages dont je n'avais pas le souvenir et j'en suis un moment venue à me demander si j'avais lu le bon roman! Mais foin de ce mystère, les scénaristes ont tout simplement utilisé des éléments de trois romans de Gaskell pour tourner ce petit bijou de série historico-littéraire, à savoir Cranford, mais aussi My lady Ludlow er Mr Harrison's confessions. Ce dernier se trouve dans mon édition Wordsworth de Cranford and other stories, ce dont je suis ravie!

    Mais revenons à nos moutons, c'est un bijou. Oui, un petit bijou et je pèse mes mots! Cranford est totalement fidèle à l'esprit du roman éponyme. On y retrouve ces personnages hauts en couleur et on en rencontre d'autres, et notamment ce séduisant jeune médecin qui va agiter les esprits et les langues de cette attachante petite bande de commères. dr_harrison.jpg

    Le tout est fluide, extrêmement bien construit et servi par des acteurs qui sont tous parfaits et même plus. Judy Bench est une miss Matty extraordinaire de tendresse et de douceur, Eileen Atkins fait une Doroty plus vraie que nature, Imelda Staunton donne vie à miss Pole comme on n'osait l'espérer, bref, c'est un vrai bonheur.

    cranford_1546365c.jpgEncore plus que le roman, l'adaptation met en valeur ce qui est un des thèmes centraux de l'oeuvre de Gaskell, la mutation d'un monde traditionnel et rural en un monde industriel. A Cranford, apparaissent soudain de nouvelles techniques médicales amenées par le docteur Harrison, le chemin de fer qui se construit envers et contre l'opposition de la population, les vieilles structures sociales sont mises à mal par l'ouverture entre autre, aux classes populaires de l'éducation. Ces changements sont le filigrane de la série et le moteur de bien des rebondissements. IL faut dire qu'ils s'entremêlent avec des intrigues amoureuses qui sont souvent très drôles et dont sera victime le pauvre jeune Docteur!

     

    C'est donc une adaptation superbe, indispensable pour tous les amoureux de Gaskell, de la littérature anglaise et des dramas!

     

    Isil, Rose, Rory... parlent du roman!

    Emjy, Cuné, Isil parlent de la série!

    Merci à Babelio et aux Editions de l'Herne pour cette découverte!

    Merci à Stéphanie pour le prêt de la série!

    Et avec tout ça, j'entre dans la réalisation de quelques challenges:

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  • Cristallisation secrète - Yoko Ogawa

    cristallisation-ogawa-158x300.jpgSur une île, les choses disparaissent petit à petit, au fil des décisions d’une mystérieuse autorité. Les choses, les êtres vivants s’effacent, et avec eux les émotions, et les souvenirs qui y sont liés. Restent quelques uns dont la mémoire résiste et qui sont traqués. Reste une résistance quotidienne et peut-être illusoire à ces disparitions que certains tentent de tenir. Mais quel espoir reste-t-il quand un matin c’est votre corps même qui commence à s’effacer ?

    Yoko Ogawa est une grande plume et elle le confirme de romans en romans. Loin de la veine de La marche de Mina, ou même de La chambre hexagonale, elle a décidé, cette fois-ci, d’explorer les arcanes des tyrannies en un récit angoissant et parfois même étouffant aux accents fantastiques. La voix de la narratrice raconte les disparitions progressives, et surtout, avec une sorte de résignation, l’effacement des souvenirs, des goûts, des émotions associés aux choses et aux êtres. Ce sont les objets du quotidien dont on apprend à se passer, ce sont les oiseaux qui cessent de chanter et de traverser le ciel de l’île, ce sont les fleurs qui s’évanouissent, puis les photographies, puis la capacité à se souvenir. A chaque disparition un nouvel équilibre se crée et le cœur des hommes se creuse un peu plus. Ce processus, acceptation, rééquilibrage, Yoko Ogawa excelle à le faire percevoir ce processus à son lecteur.

    Mais si elle semble se résigner, son héroïne réfléchit, s’angoisse, résiste à sa manière, suivant l’exemple de sa mère disparue pour avoir conservé les objets interdits et disparus. Parce qu’elle a conscience de la stérilité qui menace la société dans laquelle elle vit et qu'elle écrit, qu'elle lit, qu'elle se souvient des objets merveilleux que lui montrait sa mère.

    « Si on ne peut pas boucher les trous des disparitions, l’île va finir par être pleine de cavités. »

    Sur cette île, dont on ne saura pas où elle se trouve, s'exerce un pouvoir qui présente toutes les caractéristiques du totalitarisme: la fermeture au monde extérieure, l’élimination de tout ce qui est ressenti comme une menace, à commencer par ceux qui ne rentrent pas dans le cadre et en finissant par se retourner par l’ensemble des individus constituant la société, dans une logique absurde et glaçante, le contrôle de ce qui est pensé, ressenti... Yoko Ogawa crée un univers d'autant plus terrifiant que l'on parvient pas à en comprendre la logique. On se demande à chaque page quelle est la logique de ce pouvoir qui s’exerce : aucune sans doute, ou en tout cas le lecteur n’en aura pas connaissance. Après tout, cela n’a pas d’importance. Quelques soient les raisons, le résultat est le même.A l'image des totalitarismes qui se détruisent eux-mêmes en détruisant l’objet de leur domination dans un fonctionnement certes cohérent mais profondément absurde. Tout y est, et surtout les mécanismes de contrôle qui sont au centre du récit : les arrestations, les contrôles arbitraires et terrifiants, le mystère entretenu sur le sort de ceux qui sont arrêtés, l’utilisation de la génétique et des techniques qui en sont dérivées. C'est effrayant parce qu’inscrit dans une réalité qui est historique, mais qui est aussi la notre aujourd’hui et parce que Yoko Ogawa ne se contente pas de décrypter un fonctionnement administratif et politique. Elle explore aussi cet aspect de la nature humaine qui pousse à tout accepter pour survivre, à plier l’échine, voire à participer activement.

    A côté de cela, il est question du rôle de l’art et des artistes dans la résistance, de l’importance des mots. La narratrice est un écrivain qui raconte des histoires de disparitions, autour d’elle un éditeur, le fantôme de sa mère sculptrice… Dans leur quotidien, il y a les bibliothèques désertées, les librairies exsangues, la mort de l’art et donc de la capacité de réflechir sur le monde, de s'interroger, de ressentir. Yoko Ogawa ponctue son récit d’extraits du roman qu’est en train d’écrire la narratrice, récit tout aussi terrifiant que ce qui se déroule sur l’île. Une jeune femme perd sa voix, volée par un homme qui en fait ainsi un objet qu’il peut contrôler.

    « Savez-vous que si l’on sectionne ses antennes, un insecte se tient aussitôt tranquille ? Effrayé, il reste tapis et finit même par ne plus se nourrir. »

    La résonance avec le quotidien de l’île est évidente et joue parfaitement son rôle de contrepoint. Petit à petit, tout ce qui fait qu’un être humain est un être humain est effacé : mots, mémoire, émotions, mots qui traduisent et permettent de communiquer, livres et objets qui conservent la mémoire de ce qui a été. Mémoire qui est un des thèmes centraux du texte dans son importance, ses troubles, sa disparition.

    « Mes souvenirs ne sont jamais détruits définitivement comme s’ils avaient été déracinés. Même s’ils ont l’air d’avoir disparu, il en reste des réminiscence quelque part. Comme des petites graines. Si la pluie vient à tomber dessus, elles germent à nouveau. Et en plus, même si les souvenirs ne sont plu là, il arrive que le cœur en garde quelque chose. Un tremblement, une larme, vous voyer ?

    Il parlait en choisissant soigneusement ses mots. Comme si, avant de les prononcer, il pesait un à un sur sa langue ceux qui lui venaient à l’esprit.

    - J’imagine parfois ce qu’il adviendrait si je pouvais prendre votre cœur entre mes mains pour l’observer, ai-je dit. Il tiendrait tout juste sur ma paume et aurait un peu la consistance de gélatine mal prise. Il menacerait de s’effondrer à la moindre manipulation brutale, mais glisserait et tomberait si je ne le serrais pas suffisamment fort, de sorte que je tendrais prudemment les mains. Une autre particularité importante serait sa tiédeur. Puisqu’il aurait été dissimulé quelque part au fond du corps, il serait un peu plus chaud que la normale. Je fermerais les yeux pour apprécier sa tiédeur qui émanerait de partout. Alors, la sensation des choses perdues reviendrait petit à petit. Je pourrais sentir sur ma paume les souvenirs qui sont restés en vous. Vous ne trouvez pas que ce serait merveilleux ?

    - Vous avez envie de vous rappeler les choses perdues ? Questionna-t-il à son tour.

    - Je ne sais pas très bien, répondis-je franchement. Parce que je ne sais même pas ce qu’il vaudrait mieux que je me remémore. Les disparitions sont totales. Il n’en reste même pas de graine. Il ne reste plus qu’à essayer de s’en sortir au mieux avec un cœur desséché, plein de lacunes. C’est pourquoi j’aspire à cette sensation gélatineuse. A ce cœur qui offre une certaine résistance, qui donne la fausse impression de laisser voir son intérieur en transparence, qui lorsqu’on l’xpose à la lumière, prend toutes sortes d’expressions différentes. »

    Ces récits imbriqués, miroirs l’un de l’autre sont une superbe parabole de l’effet des dictatures, tyrannies, totalitarismes. Ils sont aussi une très belle réflexion sur ce qui fait l’humanité et les conséquences de la disparition de cela. Yoko Ogawa livre un roman terrifiant, porté par ce style à la fois distant et totalement impliqué qui est le sien qui touche au cœur et par ces personnages si vivants et attachants qu’elle sait faire vivre. Il y a à la fois la douceur et la tendresse de la vie quotidienne, des liens affectifs et amicaux, et l’horreur pleine et entière au détour d’une rue ou d’une minute écoulée. Elle réussit le tour de force d’accorder à la perfection un réalisme cru, une poésie intense et un univers onirique et fantastique affirmé. Tout simplement un grand roman et un coup de cœur.

    L'avis d'Emeraude.

     

    Yoko Ogawa, Cristallisation secrète, Actes Sud, 2009, 341 p. 5/5