Rosamond a été retrouvée morte chez elle. La vieille dame a laissé derrière elle 20 photographies et 4 cassettes enregistrées, à charge pour sa nièce Gill de les transmettre à une mystérieuse Imogen, une jeune femme aveugle briévement croisée à l'occasion de fêtes familiales longtemps auparavant et introuvable. Gill écoute alors avec ses filles les bandes, et découvre une page d'histoire de sa famille qu'elle ignorait.
J'ai, je dois le dire en préambule, découvert Jonathan Coe avec le massacre en règle de Testament à l'anglaise, roman où il lâche la bride à l'ironie la plus amère, une drôlerie affirmée et un sens de l'absurde qui peut s'avérer réjouissant. Autant dire que cette lecture ne me préparait en rien à celle de La pluie avant qu'elle tombe, texte d'une grande tendresse et d'une immense tristesse qui voit se dérouler à travers des photographies et la voix d'une vieille femme l'histoire de plusieurs générations de femmes.
Jonathan Coe prend le temps dans ce roman d'installer les paysages du Shrophire, de laisser se poser la voix de Rosamond et celle de Gill aussi, qui va faire vivre l'histoire racontée par sa tante en l'écoutant avec ses filles, en la transmettant à ses filles.
Ce que raconte Rosamond, est à la fois banal et unique, c'est l'histoire d'une filiation tragique, celle de Beatrix que n'a pas aimé sa mère Ivy, qui a donné naissance à Théa, qu'elle n'a pas aimé, qui a donné naissance à Imogen qu'elle n'a pas aimé. De fil en aiguille, il brode le portrait de femmes détruites les unes après les autres par la reproduction inévitable du drame psychologique qui a saccagé leur enfance, leur confiance en elles-mêmes et en la vie.
Cela pourrait paraître banal, déjà écrit et lu un millier de fois. Certes. Mais Jonathan Coe déroule sa petite musique en se liant à une contrainte qu'il parvient à utiliser et transcender: celle de partir de photographies que Rosamond décrit pour Imogen l'aveugle, et à partir desquelles elle raconte son histoire, et partant, celle de sa cousine adorée, Beatrix, et celle des descendantes de Beatrix, tout autant aimées, et perdues. Il se mêle alors à l'image menteuse la voix de celle qui se souvient et qui ramène à la vie des souvenirs, des sensations, des odeurs. Car elles sont menteuses ces images qui semblent montrer une vie heureuse et insouciante à qui les regarde sans connaitre ceux qui posent ou on été fixés sur la pellicule par surprise. Elles sont précieuses mais ne montrent rien d'autre qu'une apparence de bonheur que détruit Rosamond par ses souvenirs vivants, encore que menteurs eux aussi. On chemine entre photographies, souvenirs, et le temps présent qui se rappelle parfois au souvenir de Gill et de ses filles, qui a leur manière, vivent ce qu'ont vécu Beatrix et les siens. Pourtant, si le malheur a été bien présent dans la vie de Rosamond et dans celle de ces femmes dont elle raconte la vie, il y a eu aussi le bonheur, le grand amour qu'elle a vécu avec Rebecca, le temps trop court passé à élever Théa, la musique et les livres, le Shropshire et sa beauté. L'aventure pour Beatrix, l'amour aussi malgré l'égoïsme. Des éclaircies pour Théa et sa fille Imogen. Rosamond raconte un monde en changement, depuis le Blitz jusqu'à aujourd'hui, ses espoirs déçus, les promesses tenues pour le meilleur ou pour le pire et celles qui ont été oubliées, les regrets qui ne peuvent être évités. Jonathan Coe excelle à faire sentir par un mot, une expression les sentiments, les sensations de ses personnages, l'ambiance dans laquelle ils baignent, la tristesse et l'angoisse, les moments de bonheur parfait, trop brefs sans jamais sombrer dans le pathos et le mauvais goût. C'est poignant, doux et amer, presque magique de suivre ce récit, alors qu'on a l'impression d'entendre tout près de soi la voix de Rosamond.
Dommage que la fin du roman ne soit pas à la hauteur de l'émerveillement ressenti au fil des pages. On quitte La pluie avant qu'elle tombe avec un petit goût d'inachevé et de factice qui ne rend pas justice à l'acuité psychologique avec laquelle l'auteur a exploré ces vies de femmes sur plusieurs générations. Je l'ai malgré tout refermé le coeur lourd du destin de cette lignée de femme que j'aurai bien du mal à oublier.
Je vous laisse avec les chants d'Auvergne de Canteloube qui scandent le récit et qui resteront liés pour moi à cette belle lecture.
L'avis de Cachou, et celui, merveilleux, d'Ofelia.
Coe, Jonathan, La pluie avant qu'elle tombe, Gallimard, 2009, 248 p. 4/5