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Chiff' - Page 95

  • The last summer...



    Alice attend Paul sur le quai d'un ferry. Paul, l'ami de sa soeur Riley, le pivot de son enfance et de ces étés sur l'île de Fire Island où les enfants courrent en toute liberté.Paul, son presque frère. Mais tout à changé. Il ont vingt ans, et l'amitié se mêle à l'amour quand ce n'est pas l'amour qui se mêle à l'amitié. Grandir ou mourir, est-ce bien le seul choix?

    Ami lecteur qui passe dans le secteur, dis-toi une chose: le prochain qui vient me dire que la littérature pour "adolescents ", c'est de la daube (je parle comme je veux d'abord), va se faire jeter à coups de tatanes! Et je lui balancerai ce petit moment de bonheur dans les dents pour faire bonne mesure! Non mais!
    Les choses étant dorénavant claires, entrons dans le vif du sujet. Avec Quatre filles et un jean, Ann Brashares avait fait une entrée remarquée dans la chick-litt pour adolescentes: une bande de copines unies comme les doigts de la main, des drames, des amours contratriées, un jean magique et de foles aventures assaisonnées d'humour, elle avait offert une série de romans sympathiques, racontant dans la bonne humeur l'amitié, l'amour et le passage à l'âge adulte. Avec Toi et moi à jamais (je ne sais pas qui a pondu ce titre guimauvesque à souhait... On frôle l'overdose de glucose... Mais bon, je déteste la guimauve, ceci explique sans doute cela... Oui, mon petit coeur est atrocement musclé et dur), elle change de registre en offrant une histoire toute en mélancolie et tendresse.

    Encore une fois il est question du passage de l'enfance à l'âge adulte, de la rupture qui soudain fait grandir même ceux qui ne le voulaient pas. Riley, Paul et Alice formaient un petit groupe en dehors de la norme: des enfants puis des adolescents attachés à la magie du monde qui les entoure, décidés à ne jamais perdre de vue cette magie, à rester campés sur leurs convictions. Mais Alice et Paul ont grandi quand Riley est restée désespérement la même. Or, ce qui ne change pas est condamné. C'est ce qu'il vont apprendre tous les trois en passant par le pire. Cette réflexion sur le changement sous-tend toute l'histoire d'amour passionnée, complexe qui lie Alice et Paul. L'un oscille entre l'envie de céder à cet amour qui l'habite depuis l'enfance et celle de fuir le risque de se voir abandonné par cele qu'il aime comme il l'a été par ses parents. L'autre ne sait que trop qu'elle aime Paul mais l'aimer au grand jour comme en secret revient à trahir sa soeur. Ann Brashares ne cède à aucun moment à la facilité: les aveux, la culpabilité, la "première fois", tout sonne juste. D'autant qu'elle n'hésite pas à porter le même regard tendre sur la manière dont les enfants qui grandissent finissent par changer de regard sur leurs parents et par comprendre leurs blessures.
    C'est un très joli roman qui prend pour décor des paysages naturels et urbains qui ajoutent encore au charme de la lecture. Rien qui n'infirme la très bonne opinion que j'ai d'Ann Brashares.

    "Elle s'était toujours dit qu'elle le saurait, quand ça arriveraitn mais là, tut à coup, elle n'en était plus si sûre. Cela pouvait sans doute se produire de mille manières différentes, sans qu'on en soit forcément conscient. Il n'y avait peut-être pas de rupture, pas de fossé à enjamber. On ne s'oubliait pas d'un seult coup. Peut-être qu'un beau jour on regardait autour de soi en se disant: "Tiens!" Et l'on avait franchi le pas." 

    Ann Brashares, Toi et moi à jamais, Gallimard jeunesse, 2008, 331 p.


  • A mondaine mondaine et demi



    "Si tout manuel d'histoire fait la part belle au rôle politique de Gladstone durant le règne de la reine Victoria, Roy Lewis, lui, a préféré surprendre le grand homme à l'époque où sa croisade acharnée pour la moralisation des prostituées de Londres défrayait la chronique du West End. En ce temps-là, l'honorable Mr Gladstone n'hésitait pas, en effet, à se coleter par de belles harangues avec les souteneurs, qui, eux, à la rhétorique gladstonienne, préféraient le bon vieil uppercut...
    Roy Lewis imagine alors, avec l'humour tout britannique qu'on lui connaît, qu'un débauché célèbre met Gladstone au défit de convaincre Cora Pearl - une des plus grandes demi-mondaines du Second Empire, expulsée de France par les événements de la Commune - de renoncer à sa vie de perdition. Le ministre de Victoria, relevant le gant, est alors introduit à l'hôtel où Cora Pearl le reçoit dans un déshabillé à faireperdre la tête au plus vertueux des saints..."

    Roy Lewis est généralement connu pour Pourquoi j'ai mangé mon père, qui fait hurler de rire ou laisse assez perplexe ses lecteurs. J'avais fait partie de ceux qui avaient hurlé de rire... Pour tout dire, mon professeur d'anthropologie l'avait utilisé comme introduction à son cours! C'est donc intriguée que j'ai remarqué sur les rayonnages de la bibliothèque ce tout petit livre signé de son nom.


    Dans cette nouvelle, il n'invente pas ses personnages.
    Gladstone fut un personnage des plus important, Cora Pearl fut bien la courtisane de haut vol qui tente de séduire le vertueux premier ministre. Quand à savoir s'ils se sont vraiment rencontré et si cette rencontre a eu la teneur que lui donne Roy Lewis, je ne le sais pas, et je ne tiens pas particulièrement à le savoir.

    Avec une grande économie, l'auteur croque le portrait de deux mondes qui s'affrontent à travers deux archétypes. Celui de la morale, et celui du plaisir. Celui d'une société où les femmes doivent être honorables, et celui d'un univers où le pouvoir que donne beauté et intelligence est immense. Le face à face est parfois drôle, mais il est surtout cynique et un peu désespérant. Cora Pearl mène une vie qu'elle est incapable d'abandonner, tant ce qui s'offre à elle si elle embrasse la vertu est empreint de grisaille. La demi-mondaine qu'elle est est exclue de certains cercles, mais fréquente les princes, les ministres et peu donner librement son avis sur la politique et la société. Gladstone lutte de toute ses forces contre ses désirs et son amour des femmes, engoncé dans ses conviction politiques et religieuses. Luxure contre vertu, débauche de plaisirs contre rectitude et retenue, le dialogue se veut explosif. A mon sens, il ne l'est guère. Aucun des trois personnages n'obtient réellement ce qu'il cherche et le contradictions qu'ils cachent, si elles donnent de la profondeur à leur caractère amènent juste un sentiment de lassitude. Il est vrai que j'ai lu ce court texte dans une période un peu difficile, mais mon sentiment est que le désir de l'auteur de montrer comment on se perd soi-même a rendu le récit un brin trop démonstratif et plat.
    Une curiosité qui ne me laissera donc pas beaucoup de traces...


    Roy Lewis, Mr Gladstone et la demi-mondaine, Actes Sud, 1993, 69 p.

  • Le commando des immortels

    Le commando des immortels

    "Au lendemain de Pearl Harbor, l’armée américaine est en déroute dans le Pacifique. Les Japonais s’apprêtent à conquérir la Birmanie. Les États-unis décident de faire appel aux êtres les plus aguerris aux combats en forêt, un peuple en harmonie avec la nature et aux sens plus développés que ceux des humains : les Elfes. Ils ne sont plus qu’une poignée et vivent dans la dernière réserve du territoire américain.

    Le gouvernement leur promet une véritable reconnaissance et les Elfes acceptent d’envoyer cinq des leurs former les soldats en Asie. À une condition : emmener avec eux un vieil Anglais spécialiste de l’elfique, un professeur nommé… J. R. R.Tolkien. Au cœur d’une jungle hostile, le cauchemar commence pour les humains et les Elfes…"


    Autant le dire immédiatement, Le commando des immortels n'est pas la lecture qui m'a le plus passionné ces dernières semaines.
    Le fil suivi par Christophe Lambert  me semblait pourtant prometteur. Un univers alternatif où les elfes sont une réalité, où le professeur Tolkien est en train d'écrire sa grande oeuvre, où se mêlent récit de guerre, fantastique, suspense voire horreur. Dans cet univers, les elfes remplacent les indiens d'Amérique du Nord, une très longue vie en plus. Cela permet à l'auteur de mener une réflexion des plus intéressante sur la différence, la tolérance, le métissage. Dans la méfiance qui oppose humains et elfes, on retrouve la peur, le mépris et la méconnaissance des traditions et des modes de vie de l'autre, le rejet de ceux qui sont issus de couples mixtes. Pour quiconque a une petite connaissance de base des événements survenus ces 100 dernières années, il est évident que Lambert a utilisé avec efficacité et intelligence l'histoire des Etats-Unis et surtout, celle des tribus indiennes, notamment navajos. Le parti pris de faire se rencontrer Tolkien et les elfes donne également un résultat assez étonnant: l'écrivain rencontre ses créatures, et au fil des rebondissements de l'histoire, les fils du Seigneur des Anneaux et de ce que vit le professeur se mêlent au point qu'on se demande par moment si le manuscrit ne s'est pas incarné et si les créations de l'écrivain n'ont pas pris possession de leur créateur. C'est tout le processus de création qui est ainsi interrogé.

    Mais malgré tout ces points positifs, la facture de l'histoire donne une impression de déjà-vu. S'il est agréable de se retrouver en terrain connu, la prévisibilité des rebondissements finit par agacer. Les références filmographiques, livresques et historiques de Christophe Lambert sont admirables, mais elles ont induit chez moi un sentiment de lassitude. J'aurais en plus aimé que les personnages, attachants, soient plus développés et que les interactions entre races, les dialogues soient moins superficiels.

    Reste, par la grâce de l'écriture fluide l'auteur et par les thèmes qu'il traite un roman agréable à lire à défaut d'être inoubliable.


    L'avis d'Elbakin, celui d'ActuSF.

    Christophe Lambert, Le commando des immortels, Fleuve Noir, 2008, 262 p.

  • Jardins de cristal

    Une des choses que j'aime à Paris, c'est qu'il y a toujours des endroits à découvrir. Il y avait belle lurette que j'étais intiguée par le mystérieux jardin de Bagatelle. Pour moi, ce nom a des résonnances de romans de Maurice Denuzière, de folles aventures et de déchirements amoureux. C'est donc avec un fol enthousiasme que j'ai enfourché le métro pour une épique traversée de Paris, que je me suis (comment ça évidemment) perdue dans les méandres du Bois de Boulogne en ralant comme une teigne contre l'inexistence absolement outrageuse de panneaux de signalisation ("c'est pas de ma faute, c'est le panneau!) avant d'aboutir à la ravissante entrée de l'objectif du jour tout en papotant fort agréablement avec Miss J. qui m'accompagnait! Et coup de chance, nous profitions non seulement d'un temps sublime, mais en plus de l'exposition Jardins de Cristal!

    Affiche exposition cristal à Bagatelle



    Bref.

    Le Jardin de Bagatelle donc! Fruit d'un pari entre Marie-Antoinette et le Comte d'Artois, il fut conçu en 1777 par l'architecte Bélanger et réalisé par Thomas Blaikie en à peine 64 jours. Une sacrée prouesse!  A cette époque, l'art du jardin connaissait en France une profonde mutation, en réaction à la rigueur des jardins dits "à la française" du 17e siècle. Il relève donc du style anglo-chinois, mêlant paysages inspirés de la peinture et élèments architecturaux orientaux.

    Le parc échappa aux destructions de la Révolution française et fut transformé: orangerie, grille d'honneur, écuries, pavillons des gardes et Trianon trouvèrent leur place en son sein.
    Son rachat par la Ville de Paris permit sa réhabilitation et sa transformation en jardin botanique.

    Ce point d'histoire ne donne qu'une très vague idée de la beauté de cet endroit. Quand on y pénètre par le côté Porte Maillot, on traverse un tunnel de verdure qui débouche sur l'orangerie et la magnifique roseraie. L'occasion de flaner dans les allées, grisé par l'odeur et les couleurs.




















































    Au détour des allées, on croise des

    folies...

























    Des statues...

































    Des mares et des prairies...

























    De quoi apprécier de se perdre dans le méandre des allées.

    Quand à l'exposition Jardins de Cristal, c'est un petit moment de magie, parfaitement intégré au paysage. Les oeuvres des quatre manufactures participantes s'intègrent au paysage et donnent une impression de féérie. On bascule dans un autre monde ooù les fontaines chantent, où les fleurs brillent des couleurs qu'elle projettent sur ce qui les entoure, les animaux sont d'une rare finesse et où des fruits étranges poussent sur les arbres.

    La fontaine du Maharadjah (manufacture Saint-Louis) accueille le visiteur de tous ses feux...

































    L'orangerie de cristal...

































    Le bestiaire de Lalique...























    Les rives d'Amaryllis de Daum, sans doute la pièce exposée que j'ai préféré par ses couleurs et la magie qu'elle dégageait...




    L'Ours de Baccarat...

























    Une belle balade que je vous conseille donc avec chaleur! Le parc vaut à lui seul le détour, mais l'exposition dure jusqu'au 2 novembre. Les informations pratiques sont par

    . Et quelques photographies supplémentaires ici!

  • Lilliputia




    Elcana est petit, tout petit. Et pourtant il est grand, adulte même. Il est un Parfait, un nain aux proportions parfaites. Un être recherché par les maîtres de Dreamland, parc d'attraction construit sur Coney Island pour peupler la ville de Lilliputia et servir d'attraction aux Grands. Mais cette ville, blanche pour que ses visiteurs puissent y projeter leurs rêves, cache de bien sombres mystères, et la malédiction qui pèse sur l'île depuis des temps immémoriaux ne va pas laisser ses habitants grands et petits indemnes.

    Que voilà un roman intelligent, fascinant, haletant, prenant, profond, et j'en passe tout en pesant mes mots! Pourtant je trainais un peu des pieds, et si je n'y avais pas été un brin contrainte par mes obligations professionnelles, je serais sans doute passée à côté de ce merveilleux récit! Et pourtant, si je l'ai lu dans le cadre de mes lectures imposées en SF et fantasy (oui, la vie est parfaitement atroce, vous pouvez me plaindre), ce n'est pas un roman de fantasy. Pas non plus de la science-fiction. C'est... comme l'a si bien dit
    Fashion, totalement inclassable. Xavier Mauméjean offre un mélange détonnant de fantastique, de réalisme, de  mythologie. Je parlerais presque de réalisme magique en tant que genre littéraire si je n'avais pas peur de me faire taper sur le marque-page!

    Elcana doit fuir le pays slave où il est né pour échapper à la condamnation que fait peser sur lui le meurtre commis pour protéger une jeune fille de son village. Commence alors pour lui un voyage où il va peu à peu endosser les habits de l'Elu, de celui qui libère. Il y a du héros en lui, mais pas le héros chevaleresque dans sa blanche armure. Non, un héros qui a peur, qui a mal, qui n'hésite pas à tuer et à faire mal, même à ceux qui l'aiment. Il est celui qui cherche la vérité et qui veut la connaissance et la liberté quelqu'en soit le prix. On retrouve en lui des traits des héros de la mythologie, notamment de Prométhée qui joue, au sens propre comme figuré avec le feu. Il croise d'ailleurs des personnages qui ressemblent fort au Minotaure, aux Destinées, prend un moment le visage d'Achille. D'ailleurs, le démiurge de cette univers étrange n'est pas sans rappeler les dieux et leurs jeux, leurs colères, leurs inteventions dans le monde des hommes. Se pose alors la question de la destinée et du libre-arbitre, d'autant qu'on ne saura jamais si Elcana n'est que le jouet d'une volonté qui le dépasse, ou celui qui réduit à néant cette volonté. La chute, pour le moins volcanique a sans aucun conteste des résonances tragiques: il y a quelque chose du théâtre dans la manière qu'à Mauméjean de conclure son récit! Ou du cinéma. Il y a des moments où on a l'impression de se retrouver dans un film de Scorsese, ou dans les Il était une fois qui ont écrit en image la violence du rêve américain. On retrouve les gangs, les crochets de boucher, les batailles dans l'ombre des ruelles, les trafics et les règlements de compte.

    L'intelligence du roman est aussi d'utiliser à plein la fascination de l'humain pour ce qui est différent, monstrueux. Si Lillputia est un modèle réduit d'une ville de Grands, d'autres parcs lui sont voisins, dont le Steeple-Chase abandonné, dernier bastion des monstres humains qui ont fait la gloire des foires: femmes à barbe, siamoises, hommes et femmes atteints de difformités et maladies qui leur ont fait dénier la qualité d'être humain pour devenir des objets de moquerie. Des objets de moquerie, c'est aussi ce que sont les lilliputiens dans cet univers rendu sordide par le regard de ceux qui viennent le visiter pour se sentir plus "normaux' et par l'intention de ceux qui l'ont rendu possible. C'est d'autant plus poignant, touchant, révoltant que l'on sait que ces parcs et ces foires ont existé, et que le regard porté au quotidien sur ceux qui sont "anormaux" rappelle que ce genre de dérapage n'est jamais loin. L'Antiquité avait ses jeux, le 20e siècle a eu ses foires et d'autres choses dont il n'y a pas lieu d'être fier.
    En même temps, les lilliputiens eux-mêmes ne sont pas exempts de défauts et le microcosme qu'ils forment est aussi un modèle réduit de communauté humaine avec ses jalousies, ses rancunes, ses petites lâchetés: pas besoin de trop pousser pour que se dévoilent les mêmes schémas. Petits ou grands, les humains sont tous conduits par l'amour, la haine, le sexe et la recherce du plaisir, le tout matiné de plus ou moins de morale et de vernis de civilisation.

    On sort de cette lecture à bout de souffle, écoeuré et en même temps enthousiasmé. Sans aucun conteste un de mes coups de coeur de l'année.



    L'article du
    Cafard Cosmique et l'interview passionnante de l'auteur sur le même site.

    On peut aussi le voir et l'entendre dans un dialogue avec Michel Field:


    Michel Field / Xavier Mauméjean : Lilliputia
    envoyé par hachette-livre

    Pour avoir une idée de ce qu'étaient les Freak Show, quelques photographies d'époque sont visibles en allant par .

    Xavier Mauméjean, Lilliputia, Calmann-Levy, 2008,