"Si tout manuel d'histoire fait la part belle au rôle politique de Gladstone durant le règne de la reine Victoria, Roy Lewis, lui, a préféré surprendre le grand homme à l'époque où sa croisade acharnée pour la moralisation des prostituées de Londres défrayait la chronique du West End. En ce temps-là, l'honorable Mr Gladstone n'hésitait pas, en effet, à se coleter par de belles harangues avec les souteneurs, qui, eux, à la rhétorique gladstonienne, préféraient le bon vieil uppercut...
Roy Lewis imagine alors, avec l'humour tout britannique qu'on lui connaît, qu'un débauché célèbre met Gladstone au défit de convaincre Cora Pearl - une des plus grandes demi-mondaines du Second Empire, expulsée de France par les événements de la Commune - de renoncer à sa vie de perdition. Le ministre de Victoria, relevant le gant, est alors introduit à l'hôtel où Cora Pearl le reçoit dans un déshabillé à faireperdre la tête au plus vertueux des saints..."
Roy Lewis est généralement connu pour Pourquoi j'ai mangé mon père, qui fait hurler de rire ou laisse assez perplexe ses lecteurs. J'avais fait partie de ceux qui avaient hurlé de rire... Pour tout dire, mon professeur d'anthropologie l'avait utilisé comme introduction à son cours! C'est donc intriguée que j'ai remarqué sur les rayonnages de la bibliothèque ce tout petit livre signé de son nom.
Dans cette nouvelle, il n'invente pas ses personnages. Gladstone fut un personnage des plus important, Cora Pearl fut bien la courtisane de haut vol qui tente de séduire le vertueux premier ministre. Quand à savoir s'ils se sont vraiment rencontré et si cette rencontre a eu la teneur que lui donne Roy Lewis, je ne le sais pas, et je ne tiens pas particulièrement à le savoir.
Avec une grande économie, l'auteur croque le portrait de deux mondes qui s'affrontent à travers deux archétypes. Celui de la morale, et celui du plaisir. Celui d'une société où les femmes doivent être honorables, et celui d'un univers où le pouvoir que donne beauté et intelligence est immense. Le face à face est parfois drôle, mais il est surtout cynique et un peu désespérant. Cora Pearl mène une vie qu'elle est incapable d'abandonner, tant ce qui s'offre à elle si elle embrasse la vertu est empreint de grisaille. La demi-mondaine qu'elle est est exclue de certains cercles, mais fréquente les princes, les ministres et peu donner librement son avis sur la politique et la société. Gladstone lutte de toute ses forces contre ses désirs et son amour des femmes, engoncé dans ses conviction politiques et religieuses. Luxure contre vertu, débauche de plaisirs contre rectitude et retenue, le dialogue se veut explosif. A mon sens, il ne l'est guère. Aucun des trois personnages n'obtient réellement ce qu'il cherche et le contradictions qu'ils cachent, si elles donnent de la profondeur à leur caractère amènent juste un sentiment de lassitude. Il est vrai que j'ai lu ce court texte dans une période un peu difficile, mais mon sentiment est que le désir de l'auteur de montrer comment on se perd soi-même a rendu le récit un brin trop démonstratif et plat.
Une curiosité qui ne me laissera donc pas beaucoup de traces...
Roy Lewis, Mr Gladstone et la demi-mondaine, Actes Sud, 1993, 69 p.