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lilliputiens

  • Lilliputia




    Elcana est petit, tout petit. Et pourtant il est grand, adulte même. Il est un Parfait, un nain aux proportions parfaites. Un être recherché par les maîtres de Dreamland, parc d'attraction construit sur Coney Island pour peupler la ville de Lilliputia et servir d'attraction aux Grands. Mais cette ville, blanche pour que ses visiteurs puissent y projeter leurs rêves, cache de bien sombres mystères, et la malédiction qui pèse sur l'île depuis des temps immémoriaux ne va pas laisser ses habitants grands et petits indemnes.

    Que voilà un roman intelligent, fascinant, haletant, prenant, profond, et j'en passe tout en pesant mes mots! Pourtant je trainais un peu des pieds, et si je n'y avais pas été un brin contrainte par mes obligations professionnelles, je serais sans doute passée à côté de ce merveilleux récit! Et pourtant, si je l'ai lu dans le cadre de mes lectures imposées en SF et fantasy (oui, la vie est parfaitement atroce, vous pouvez me plaindre), ce n'est pas un roman de fantasy. Pas non plus de la science-fiction. C'est... comme l'a si bien dit
    Fashion, totalement inclassable. Xavier Mauméjean offre un mélange détonnant de fantastique, de réalisme, de  mythologie. Je parlerais presque de réalisme magique en tant que genre littéraire si je n'avais pas peur de me faire taper sur le marque-page!

    Elcana doit fuir le pays slave où il est né pour échapper à la condamnation que fait peser sur lui le meurtre commis pour protéger une jeune fille de son village. Commence alors pour lui un voyage où il va peu à peu endosser les habits de l'Elu, de celui qui libère. Il y a du héros en lui, mais pas le héros chevaleresque dans sa blanche armure. Non, un héros qui a peur, qui a mal, qui n'hésite pas à tuer et à faire mal, même à ceux qui l'aiment. Il est celui qui cherche la vérité et qui veut la connaissance et la liberté quelqu'en soit le prix. On retrouve en lui des traits des héros de la mythologie, notamment de Prométhée qui joue, au sens propre comme figuré avec le feu. Il croise d'ailleurs des personnages qui ressemblent fort au Minotaure, aux Destinées, prend un moment le visage d'Achille. D'ailleurs, le démiurge de cette univers étrange n'est pas sans rappeler les dieux et leurs jeux, leurs colères, leurs inteventions dans le monde des hommes. Se pose alors la question de la destinée et du libre-arbitre, d'autant qu'on ne saura jamais si Elcana n'est que le jouet d'une volonté qui le dépasse, ou celui qui réduit à néant cette volonté. La chute, pour le moins volcanique a sans aucun conteste des résonances tragiques: il y a quelque chose du théâtre dans la manière qu'à Mauméjean de conclure son récit! Ou du cinéma. Il y a des moments où on a l'impression de se retrouver dans un film de Scorsese, ou dans les Il était une fois qui ont écrit en image la violence du rêve américain. On retrouve les gangs, les crochets de boucher, les batailles dans l'ombre des ruelles, les trafics et les règlements de compte.

    L'intelligence du roman est aussi d'utiliser à plein la fascination de l'humain pour ce qui est différent, monstrueux. Si Lillputia est un modèle réduit d'une ville de Grands, d'autres parcs lui sont voisins, dont le Steeple-Chase abandonné, dernier bastion des monstres humains qui ont fait la gloire des foires: femmes à barbe, siamoises, hommes et femmes atteints de difformités et maladies qui leur ont fait dénier la qualité d'être humain pour devenir des objets de moquerie. Des objets de moquerie, c'est aussi ce que sont les lilliputiens dans cet univers rendu sordide par le regard de ceux qui viennent le visiter pour se sentir plus "normaux' et par l'intention de ceux qui l'ont rendu possible. C'est d'autant plus poignant, touchant, révoltant que l'on sait que ces parcs et ces foires ont existé, et que le regard porté au quotidien sur ceux qui sont "anormaux" rappelle que ce genre de dérapage n'est jamais loin. L'Antiquité avait ses jeux, le 20e siècle a eu ses foires et d'autres choses dont il n'y a pas lieu d'être fier.
    En même temps, les lilliputiens eux-mêmes ne sont pas exempts de défauts et le microcosme qu'ils forment est aussi un modèle réduit de communauté humaine avec ses jalousies, ses rancunes, ses petites lâchetés: pas besoin de trop pousser pour que se dévoilent les mêmes schémas. Petits ou grands, les humains sont tous conduits par l'amour, la haine, le sexe et la recherce du plaisir, le tout matiné de plus ou moins de morale et de vernis de civilisation.

    On sort de cette lecture à bout de souffle, écoeuré et en même temps enthousiasmé. Sans aucun conteste un de mes coups de coeur de l'année.



    L'article du
    Cafard Cosmique et l'interview passionnante de l'auteur sur le même site.

    On peut aussi le voir et l'entendre dans un dialogue avec Michel Field:


    Michel Field / Xavier Mauméjean : Lilliputia
    envoyé par hachette-livre

    Pour avoir une idée de ce qu'étaient les Freak Show, quelques photographies d'époque sont visibles en allant par .

    Xavier Mauméjean, Lilliputia, Calmann-Levy, 2008,