Londres, années 1870. Lady Carbury espère percer dans le monde littéraire. Son objectif, subvenir aux besoins de son fils, Felix, qui a déjà dilapidé son héritage. Si par le plus grand des hasards elle parvenait à le marier à une riche héritière, son bonheur serait parfait. Une héritière comme Marie Melmotte, fille de ce mystérieux homme d'affaire devenu en quelques mois la coqueluche de Londres malgré sa réputation sulfureuse. Et si seulement sa fille Hetta acceptait d'épouser sir Roger Carbury son cousin, c'est ni plus ni moins la félicité qui serait atteinte.
Mais Hetta n'aime pas Roger, en tout cas, pas de cet amour-là. Elle aime Paul. Paul qui est en affaire avec Melmotte. Melmotte qui soutient un projet titanesque, vaste toile d'araignée qui prend petit à petit au piège l'aristocratie anglaise dont Felix qui souhaite épouser Marie, qui doit épouser un beau parti...
Considéré comme le chef d'oeuvre d'Anthony Trollope, Quelle époque! est aussi sans aucun conteste un énorme pavé. Pavé au sens propre, et pavé dans la mare. Sur un millier de pages (oui, le poche fait 821 pages. Jetez un oeil à la police du texte...), Trollope déploit une vaste satire sociale où les faux-semblants, l'escroquerie, le mensonge et la cupidité règnent en maîtres. Autant dire qu'il n'épargne personne, et surtout pas les quelques personnages qui pourraient attirer la sympathie. Prenons Sir Felix Carbury par exemple. Difficile de faire plus antipathique que ce nobliot égoïste, lache, et menteur dont les vices sont encouragés par une société sont les rouages et les règles sont absolument vides de sens. Tout le contraire de son vertueux cousin Roger Carbury, honnête, incapable de mentir, soutien d'une famille dont il ressent comme autant de blessures les compromissions. Et empli comme une outre de ses certitudes morales issues d'un autre temps incapable de la moindre réelle tolérance. Lady Carbury est une insupportable bonne mère et une horrible bonne femme aveuglée par l'ambition. Marie Melmotte est une jeune cruche qui se révélera la digne fille de son père fort heureusement pour son salut. Hetta est amoureuse, ce qui résume la situation. Paul Montague un idiot emberlificoté dans des affaires amoureuses et financières qui le dépassent.
Le tableau est le même pour tous les personnages, ce qui donne une galerie légèrement désespérante mais profondément humaine puisque du plus profond amour maternel à l'égoïsme le plus crasse en passant par l'ambition, le désespoir, la passion amoureuse, Trollope passe en revue l'ensemble de la gamme des sentiments tout en décryptant le fonctionnement vicié d'une société dont les valeurs sont devenues celles de l'argent et de la réussite mais qui ne pouvait plus avancer sans dépasser le monde ancien des petits et grands propriétaires ruraux.
Le tout donne un roman fleuve qui offre à la fois des résonances résolument contemporaines et un portrait de l'Angleterre de la fin du 19e siècle percutant, une ironie d'une rare violence et des histoires d'amour et haine dépeintes avec sensibilité. Certes on aimerait parfois que Trollope avance un peu plus vite, mais les fils qu'il tire, la complexité de son récit, sa richesse et l'humour dont en dépit de tout il fait preuve, font de Quelle époque! un roman absolument passionnant.
C'est une lecture en commun avec Choupynette qui a eu le courage de s'attaquer au monstre en VO. Moi, je vais aller jeter un oeil ou deux, voire trois sur l'adaptation BBC.
Trollope, Anthony, Quelle époque!, J'ai Lu, 821p., 2011