J'ai bien failli me lancer dans une étude comparée de l'importance de la capillarité sommitale chez les Francs, Nicholas et les harlequinesques écossais, quelques exemplaires du genre m'attendant sagement au coin d'une étagère, seulement voilà, faisant un peu de ménage de printemps, j'ai retrouvé le brouillon d'un billet qui ne date pas d'hier, mais dont le contenu relève indéniablement de l'inavouable. De l'autrement inavouable. Genre la madeleine de Marcel, mais un tantinet plus...Comment dire ça...
Ne vous en faites pas, c'est comme d'habitude, je vais finir par cracher ma valda et sombrer corps et bien dans ma deuxième, nan troisième, nan... bref, dans une autre de mes innombrables passions, l'histoire. Nous allons remonter le temps jusqu'en 1978 pour commencer. Pourquoi? Parce que Harlequin arrive en France en 1978. Essor de la littérature sentimentale, des couvertures avec éphèbes aux muscles saillants, clairs de lune et tutti quanti. Un succès commercial plutôt faramineux, des collections à la pelle, des déclinaisons à n'en plus finir plus loin, nous voilà rendu à nos jours.
Mais, vu ma passion inavouable pour les épées rouillées et autres aventures s'étant déroulées far far away et en un temps far far lointain (il y avait donc forcément un mais, le Doctor vous dira qu'apprécier le far far away et le far far lointain implique forcément un mais, ce qui n'a rien à voir avec moutons certes, mais après tout aux moutons nul n'est tenu) je ne pouvais en rester là... Oui mais avant? Quid de la littérature sentimentale? Certes pas Je passe sur les romances et autres poèmes d'amour et autres histoires déchirantes des temps jadis pour me contenter du 19e siècle. Certains diraient que c'est diablement trop récent, mais que voulez-vous, il s'est tout de même passé quelques petites choses à cette période abominablement quasi-contemporaine. Par exemple l'alphabétisation. Et oui, c'est grâce au développement de l'alphabétisation que la littérature sentimentale s'est fait une place de choix dans le paysage littéraire! Je vois d'ici les esprits chagrins me rétorquer que ce n'est pas dans le paysage littéraire qu'elle s'est fait une place mais dans le paysage commercial. Certes. Il n'en reste pas moins très chers, que le roman sentimental est une "oeuvre de l'esprit", avec un auteur, un éditeur et toutes ces petites choses qui font un livre.
Littérature sentimentale, paysage littéraire donc.
Nous voilà ainsi en visite à la Belle-Époque un peu avant et un peu après, et sans même l'aide de la Blue Box, côtoyant des auteurs aux noms plus ou moins évocateurs qui vont faire des émules: Max du Veuzit (autrement appelée Alphonsine Vasseur), Magali, Barbara Cartland, Zénaïde Fleuriot, Marie Maréchal, Mathilde Bourdon,... et l'objet du billet du jour, Delly.
Delly donc. Qui est-elle. Ou plutôt, qui sont-ils?
Delly est un pseudonyme, celui de Jeanne Henriette Marie Petitjean de La Rosière et de son frère Frédéric Henri Joseph, issus de la bonne société de la fin du 19e siècle. Ensemble, ils ont écrit une centaine de romans et de nouvelles après que la jeune fille ait envoyé quelques manuscrits à des éditeurs. Même après la mort de leurs auteurs, les romans de Delly ont continué à se vendre par milliers d'exemplaire. Pour tout dire, ils ont été réédités jusque dans les années 1990, années au cours desquelles je les ai découverts dans la bibliothèque de ma grand-mère. Lectrice déjà plus que vorace, je me suis jetée sur ces vieilles éditions Taillandier décrépites et quasi en loque et suis partie à la découverte de cet univers jusqu'alors inconnu et palpitant, bien que manquant singulièrement de chevelures ébouriffées.
C'est qu'attention, on ne rigole pas chez Delly! Les jeune filles sont pieuses et vertueuses, les hommes virils, forts et bons, les prêtres chaleureux, les vieilles personnes porteuses de sagesse et les intriguant(e)s sont horriblement punis de leur manque de morale à la fin. Bref, on y trouve pêle-même de l'aristocratie mais pas de cheikhs dangereux, des hommes virils mais sans kilts, des femmes dévouées mais pas d'infirmières, avec quelques guest stars. Ceci dit, la trame ressemble terriblement au roman sentimental contemporain dans ses déclinaisons classiques. Tout rapprochement avec des collections contenant les mots passion, intense, spicy provoquerait des collisions que même le Doctor ne serait pas en mesure de réparer.
La preuve. Pas des collisions, de la ressemblance.
Nous avons:
La vengeance de Ralph: il va être lord, elle est belle, de bonne naissance mais pauvre et persécutée par une vilaine marâtre, il l'épouse pour se venger, il hérite, elle devient lady à sa grande surprise, mais il ne l'aime pas. Après moult péripéties et turpitudes, ils s'aimeront cependant pour toujours dans le bonheur, la plénitude et entourés de petits angelots voletant. Bien évidemment, la main de Dieu s'est abattue sur les méchants. Pardonnés par leurs victimes victorieuses.
La chatte blanche: il est duc, d'une irréprochable moralité malgré une famille vautrée dans la luxure, elle est belle, pauvre, de bonne naissance et persécutée par une horrible tante par alliance. La tante veut épouser le duc, le duc veut épouser sa belle, rien ne va plus. Péripéties, turpitudes, vexations et persécutions, rien ne va plus. Mais l'amour et la morale vainquent toujours: la main de Dieu s'abat sur l'horrible tante et ils vivront heureux pour toujours dans leur château et dans la vertu.
Gilles de Cesbres: elle est pauvre et méritante, il est riche et s'égare sur les chemins des mondanités. Tout finira bien dans la célébration de justes noces et dans une honnêteté scintillante.
Le sphinx d'émeraude et sa suite: il est duc et puissant, elle est pauvre et persécuté,... Oui, encore. Mais en costume. Avec un mariage à la fin, et des aventures au milieu à base d'enlèvement, de mensonge, d'empoisonnement. C'est qu'on ne rigole pas avec Catherine de Médicis. Sauf quand on s'appelle Wennaël. Non mais! Vous noterez qu'en terme de couvertures on se rapproche là d'un terrain connu moins le torse nu.
Bref, tout ceci déborde de vertus et de conformisme d'un autre temps, de stéréotypes et d'archétypes, de bons sentiments (mais pas que, figurez-vous qu'il y aurait plus que cela en creusant, mais chut, j'explore encore) mais il faut bien que j'admette sous vos yeux effarés que j'adore. Et que je collectionne. Avec les Langelot du Lieutenant X, mais ceci est une autre histoire.
Ah oui, j'ai des sources: pour en apprendre plus sur le roman sentimental, il faut aller jeter un oeil là, ou encore là... Pour Delly, il y a quelques infos intéressantes là...
Et n'oubliez pas, le premier mardi, c'est permis!
Et j'avais oublié, honte à moi!