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Chiff' - Page 45

  • Stalker - Arcadi et Boris Strougaski

    stalker.jpgIls sont venus, ils sont repartis et jamais les hommes n'ont pu savoir ce qu'ils étaient venus faire sur Terre, ni pourquoi ils étaient repartis brusquement, laissant derrière eux des zones contaminées et des objets étranges que les stalkers viennent piller au péril de leur vie et au mépris de la loi des Etats qui préfèrent de loin mettre à profit les avancées technologiques que permettent ces choses. C'est l'histoire d'un de ces stalkers et d'une virée au coeur de la Zone que les frères Strougatski racontent.

    Des fois je fais des choses bizarres. Comme lire de SF soviétique. A ma décharge, j'avais visionné peu de temps auparavant et dans un état, faut-il le préciser, second, le film éponyme de Tarkovski. Du coup, mettant la main sur le roman qui l'avait inspiré, j'ai eu le réflexe limite pavlovien d'aller voir de plus près le lien que les deux entretiennent. Si vous voulez tout savoir: pas grand chose. Là. Et j'ai préféré le roman. Magnifique. Abouti. Percutant. Porté par un style que l'on devine dur, sans concession, sec, parfois difficile, et par des personnages noirs et dépeints sans concession.

    Le lien avec le film de Tarkovski est évident: il y est question d'une quête, quête de soi en même temps que quête d'un objet mythique censé exaucer les voeux. Mais là où Tarkovski livre un film presque contemplatif et centré autour de la quête de soi, la Zone étant le décors étrange qui la met en valeur, les frères Strougaski vont au-delà.Ils parlent certes de cette quête de soi, de ce que l'on pense souhaiter pour soi et pour les autres, de l'inanité de pouvoir réaliser ses voeux par le biais d'un objet ou d'une machine. Ils parlent du chemin à parcourir pour accepter de regarder en soi. Mais ils parlent aussi de l'arrogance de l'humanité et de son rapport à l'altérité. La Visite est une remise en cause de la place de l'humanité dans l'univers. Plus aucun moyen de se penser, de se croire au centre, de se croire l'espèce la plus évoluée. En tout cas pour tous ceux qui pensent, qui conceptualisent. Certains la voient comme un don, d'autres comme une malédiction, les plus cyniques comme un monstrueux hasard qui donne son titre à la précédente édition du roman. Un Pique-nique au bord de la route dont les hommes glaneraient les miettes comme les fourmis glanent les miettes des hommes malgré le danger. Une pensée glaçante, dérangeante, qui n'éclaire pas, loin de là, un monde en déliquescence où la convoitise et la volonté de posséder des armes plus puissantes que ses voisins donne lieu à une course absurde et dangereuse.

    Dans cet univers, le Stalker, le Rouquin puisque tel est son surnom, est celui qui marche au coeur du danger. La question est de savoir pourquoi il continue à aller dans la Zone, à l'explorer et l'utiliser: pour le danger? par par appât du gain? pour autre chose? Le Rouquin est un personnage complexe, qui élève son métier au rang d'art, qui le possède, et qui est possédé par lui, par sa profonde humanité et son envie d'aider ceux qu'il aime: sa fille, sa femme, Kirill, etc. Autour de lui d'autres stalkers, aux parcours et motivations aussi complexes. Des scientifiques menés par la volonté de trouver la gloire, d'autres qui veulent la connaissance. C'est l'autre aspect fascinant de ce roman: pénétrer dans la Zone, c'est pénétrer dans des terres inconnues de la science et de la connaissance avec tous les dangers que cela implique et la possibilité de se brûler les ailes. Mais aussi le courage de passer outre la peur qui paralyse et agite le monde extérieur pour affronter l'inconnu et la possibilité de ne jamais parvenir à le réduire à quelque chose de compréhensible pour l'humanité. Pénétrer la zone, ça peut aussi être l'expression de la convoitise et de la bêtise. Pénétrer la Zone ça peut être accepter le danger pour le bien de tous. J'avoue ne pas trop savoir par quel bout attraper ce roman et avoir très peur d'en donner une analyse idiote tant il est dense.

    Stalker est un roman âpre, profondément pessimiste, mais fascinant, profond. J'ai été totalement happée par cette histoire inépuisable quand le film m'avait laissé assez froide en dehors de ses plans superbes. Une très belle découverte à faire.

    Strougatski, Arcadi et Boris, Stalker, Denoël, 2010, 5/5

     

  • Mémoires de deux jeunes mariées - Honoré de Balzac

    9782070372683FS.gifQue les choses soient tout de suite claires, je n'aime pas Balzac (j'entends d'ici le hurlement outré de Fashion), je ne l'ai jamais aimé, mais allez savoir pourquoi, de temps à autre, me vient la lubie de me prouver que j'ai tort. Dans ces cas-là, je m'empare généralement d'un roman de ce bon vieil Honoré que je laisse généralement tomber avec un soupir de souffrance absolu après un nombre plus ou moins important de pages. Pour vous donner un exemple, je n'ai jamais passé les quarante premières pages du Père Goriot, Splendeur et misère d'une courtisane a tenu le choc un peu plus longtemps puisque je suis parvenue au début de la dernière partie et seules sont rescapées du massacre les oeuvres que j'ai du lire contrainte et forcée pendant mes études. Les aventures du colonel Chabert m'ont laissé un souvenir perplexe, mais j'avais 13 ans et quelques excuses. J'admets avoir plutôt apprécié La recherche de l'absolu, mais la peau de vache qui me servait de professeur de lettre cette année là m'aurait fait aimer n'importe quoi tant était grand son talent à être peau de vache ET passionné par son sujet (et à porter les cravates les plus improbables et les moins assorties à son costume, mais là n'est pas le sujet). Tiens, j'allais oublier cette pauvre Eugénie et son triste destin... Pour tout dire, je ne me souviens quasi plus de ce en quoi consistait le triste destin de cette brave et pauvre Eugénie, si ce n'est qu'il contenait un banc et de la mousse. Enfin je crois. Bref, entre Honoré et moi ce n'est pas gagné, et pour tout dire, ce n'est pas Mémoires d'une jeune mariée qui va me faire changer d'avis sur la question.

    Mais venons-en au sujet de ce billet et à nos deux jeunes mariées. Louise de Chaulieu et Renée de Maucombe sont amies intimes depuis leurs études au couvent des carmélites de Blois. Toute leur vie, elles vont échanger des lettres racontant leur vie familiale et amoureuse. La première, Louise, est destinée au couvent par ses parents, mais se révoltant, elle fait son entrée dans le monde et se permettra deux mariages d'amour, le premier avec un noble espagnol qui la laissera veuve éplorée, le second avec un poète plus jeune qu'elle qui la fera mourir d'amour. Face à elle, Renée qui tente de la raisonner et de lui donner en exemple son mariage de raison et sa vie heureuse de mère de famille malgré les luttes qu'elle a du mener contre elle-même dans les premiers temps d'une union dans laquelle elle était entrée avec la volonté de se sacrifier et de se dévouer à un homme qu'elle n'aimait pas plutôt que de regagner le couvent.

    S'il y a une chose que je reconnais à Balzac, c'est sa capacité à créer et faire vivre des personnages étonnants. Louise et Renée sont, chacune à leur manière, assez fascinantes. Louise, amoureuse de l'amour, incapable d'entendre raison et refusant la tiédeur d'une union sans passion. Renée capable de l'abnégation la plus totale, mère dévouée. Louise et Renée, chacune à sa manière monstre d'égoïsme et de rouerie, chacune à sa manière affirmant sa liberté dans les chaînes que leur condition de femme leur impose. Par le mode épistolaire, Balzac entre dans leur intimité et livre leurs échanges autour de leurs conceptions opposées de l'amour et du mariage. Mais s'il lui arrive de faire preuve d'une certaine finesse psychologique, ses personnages m'ont plus paru être l'incarnation de principes que des êtres de chair et de sentiment. L'une est l'Amoureuse, l'autre la Mère, et chacune défend son pré carré avec moult arguments et j'oserais dire, arguties. Pour être franche, j'ai trouvé cette lecture longue et fastidieuse ce qui est un comble pour un récit qui dure un peu moins de 300 pages. Les premières lettres, où Louise et Renée racontent la découverte qu'elles ont de leur nouvelle vie sont intéressantes: elles montrent la société et ses moeurs à travers les yeux de deux jeunes femmes qui ont oublié d'être bêtes et dont l'esprit leur permet de percer à jours le fonctionnement du monde dans lequel elles entrent. Puis, chaque lettre redit peu ou prou ce que disait la précédente: Louise répète les mêmes erreurs, porte toujours ou presque le même regard sur la vie de Renée, et inversement. Chacune reste campée dans sa conception du monde. Seul intérêt de la chose, Balzac montre ainsi ce que peut cacher la façade de mère ou d'épouse présentée au monde et dit bien que dans la société dans laquelle il vit, mariage et amour sont antinomiques, il confronte, il montre parfois la cruauté de cette amitité féminine, la jalousie, les doutes. Il crée aussi et au-delà de cet aspect deux personnages de femmes qui cherchent le pouvoir et dans une certaine mesure, l'obtiennent et font preuve d'une ambition certaine. Ce qui est dommage, c'est que finalement, le débat sur le mariage, sur la famille et sur l'amour prend le pas sur les personnages et leur histoire, ce qui rend la plupart des lettres assez fastidieuses malgré de beaux passages. Je passe sur le fait que les deux parties m'ont parues un miroir assez lassant et sur le fait que nos deux héroïnes ont fini par m'agaçer prodigieusement. Il semble que les grandes envolées lyriques sur l'amour et la maternité ne soient pas ma tasse de thé.

    Bref, si la langue est belle et le fond intéressant, c'est de nouveau un semi-échec! Mais je ne m'avoue pas vaincue!

     

    Lilly en parle. Marie aussi.

    Balzac, Honoré de, Mémoires de deux jeunes mariées, Gallimard, 1981, 344 p., 2/5

  • Testament à l'anglaise - Jonathan Coe

    testament-a-l.jpgQuand Michael Owen décroche le contrat qui fait de lui l'auteur chargé d'écrire l'histoire de l'illustre famille Winshaw, il ne se doute pas du guépier dans lequel il est tombé. Car son employeur, la vieille Tabitha Winshaw, internée par sa famille, a toujours clamé que sa famille, incontournable dans les affaires publiques et privées de l'Angleterre depuis des lustres, cache quelques secrets peu reluisants...

    Bienvenue dans un jeu de cluedo géant! Croyez moi, la comparaison est loin d'être anodine puisque c'est à un véritable jeu de massacre que se livre Jonathan Coe en dressant le portrait d'une famille qui est la quintessence des défauts de la gentry et de l'aristocratie libérale anglaise, mais aussi à un jeu de piste et de fausses pistes qui mène à un final grandiose et hallucinant.

    Testament à l'anglaise est une merveille de roman dense, riche et foutraque qui utilise avec intelligence les possibilités offertes par son personnage pas si principal que ça, l'écrivain raté Michael Owen. D'un côté on le suit dans ses recherches et dans la rédaction des chapitres qu'il consacre aux membres de la famille, de l'autre, on observe les dits membres de la famille dans leurs réactions à l'intrusion de Michael dans leurs petites affaires et dans leurs interactions, le tout s'enchaînant allégremment avec des chapitres du livre de Michael. On alterne avec bonheur entre les portraits de Winshaw et la vie de Michael, chaque pan du récit fourmillant de détails, d'événements petits et grands qui s'imbriquent petit à petit, l'un nourrissant l'autre puisque bien souvent, le quotidien de l'écrivain donne un aperçu glaçant des conséquences des actes des Winshaw. C'est plutôt brillant, et on y trouve une série de portraits à charge qui sont à la fois réjouissants et glaçants.

    Il y a Thomas le banquier voyeur, pervers et sans merci; Henry le politicien passé maître dans la maîtrise de la langue de bois; Hillary et Roddy, le vernis culturel; Dorothy la femme d'affaire qui empoisonne hommes et animaux pour construire son empire agro-alimentaire... De chapitres en chapitres, on découvre des pans de l'histoire de la famille, de leur existence, mais surtout le tableau d'un monde façonné au gré des intérêts et des désirs d'hommes et de femmes qui ne voient pas en quoi il serait légitime de respecter, qui et quoi que ce soit, à commencer par l'honneur et la vie des autres. Privatisations, démentelement du service public, naissance des tabloïds et de la télé-poubelle, manipulations et escroqueries à l'échelle internationale, les Winshaw sont impliqués partout où il est possible d'acquérir pouvoir et argent. Face à eux, des gens ordinaires: Michael l'écrivain, Phoebe l'artiste devenue infirmière, Fiona qui meurt, victime des réformes du système de santé britannique, Graham qui risque sa vie en tentant de dénoncer les menées des Winshaw, Findley Onynx le vieux détective libidineux...

    Jonathan Coe prend des "types" et les explore de bout en bout en mettant au jour les compromissions, le cynisme, les bassesses et la force que donne l'absence de scrupules et de morale. C'est à la fois drôle et désespérant, tellement que la fin ne peut être que tragi-comique et outrée, digne d'une partie de cluedo perverse, mais pas plus finalement que le jeu mené par les Winshaw toute leur vie. Jonathan Coe se livre avec talent à une attaque en règle des conservateurs, de l'économie capitaliste et de l'argent à travers les années Tatcher et leurs conséquences sociales désastreuses. C'est d'autant plus effrayant que même s'il parle d'une période donnée, on sait pertinemment que tout peut être transposé quasi à l'identique ailleurs et en d'autres temps.

    Tout au long du récit, on trouve des chausses-trappes, des jeux de miroirs, des fausses morts, de vraies folies et le fil d'intrigues diverses qui se croisent avec un talent qui laisse pantois. Tout au plus regretterais-je quelques longueurs et la sensation, parfois, de se perdre un peu dans toutes les informations distillées par l'auteur. Presque rien au regard de la richesse de ce roman, du portrait de l'Angleterre qu'il dresse avec un humour noir et une efficacité totale. Polar sans l'être, roman social sans l'être, roman humoristique sans l'être, Testament à l'anglaise est un bijou complexe aux personnages superbes qui m'a laissée pantoise et hilare encore que d'une hilarité un peu jaune! A ne surtout pas manquer!

    Erzébeth en parle, Mo aussi!

    Coe, Jonathan, Testament à l'anglaise, Gallimard, 1997, 682 p., 4.5/5

  • Les soeurs Eden et la marque du dragon - Lyn Gardner

    COUV-SOEURS-EDEN-TOME-2-OK_Mise-en-page-1-245x370.jpgAu manoir Eden, après les péripéties provoquées par le maître des loups, la vie a repris son cours normal entre soucis pécuniaires, madeleines, expéditions en forêts et petites révoltes domestiques. Une existence bien trop routinière pour Alice qui voit avec bonheur une fête foraine s’installer dans les parages : barbe à papa, grande roue, train fantôme, l’endroit parfait pour s’amuser. Mais dans l’ombre des attractions se cache une sorcière déterminée qui veut s’approprier non seulement la flûte, mais aussi le cœur d’Aurore.

    Ou les sœurs Eden sont de retour pour notre plus grand bonheur. Après un premier volume follement enthousiasmant, on pouvait craindre que l’auteur ne parvienne pas à rester à la hauteur, ou du moins à renouveler le terreau sur lequel elle avait bâti les débuts des sœurs Eden. Mais force est de constater que Les sœurs Eden et la marque du dragon est une petite merveille même si l’effet de surprise est passé. Le récit est toujours passionnant et dynamique, le suspense bien présent et le tout agréablement inventif. Si dans le premier volume, Lyn Gardner s’attaquait aux grands classiques des contes, là, elle joue avec les codes, les personnages et les grands récits de la mythologie grecque, avec les contes, toujours (principalement Blanche-Neige d’ailleurs), et avec les classiques de la littérature. On croise ainsi au détour d’une page le miroir de Dorian, la boîte de Pandore, les sept nains qui ont manifestement du se faire arnaquer par Boucle d’Or, une méchante marâtre un peu, voire très sorcière sur les bords, un loup aux dents acérées, Hermès et Prométhé, un dragon affamé, une Nico transformée en grenouille, le baiser de Blanche-Neige et une foule d’autres petites choses. Autant dire que l’intertextualité s’enrichit et rend la lecture d’autant plus intéressante que Lyn Gardner sait parfaitement utiliser tous ces éléments pour les détourner, les combiner, les transformer, voire s’en moquer gentiment. J’ai adoré ce qu’elle a fait du monde des morts avec son métro, sa station thermale et ses gentils organisateurs, significatif de l’humour dont elle fait preuve à toutes les pages, et la gourmandise manifeste dont on se doutait déjà : dans le premier volume on avait une maison d’Hansel et Gretl effrayante mais qui mettait l’eau à la bouche, dans le second, on a des recettes de Mère-Grand et d’Aurore qui donnent l’envie folle de se ruer aux fourneaux ! Surtout pour faire des madeleines au chocolat d’ailleurs !

    Mon seul regret, les personnages semblent répéter à peu de choses près les mêmes erreurs que dans le premier tome. Alice succombe à la jalousie, Aurore à sa naïveté et à ses angoisses, Nico à sa confiance en elle-même. Mais les relations fraternelles sont toujours aussi bien vues et les grands événements de la vie permettent de faire évoluer tout de même les personnages vers l’âge adulte. Et malgré ce tout petit bémol, c’est une jolie manière de parler des difficultés à accepter les changements, de la peur devant l’avenir que tout le monde a connu un jour ou l’autre. Je suis donc toujours aussi enthousiaste et j'attends avec autant d'impatience le troisième volet des aventures des soeurs Eden, en espérant qu'il y en aura un!

    Lael en parle, Emmyne aussi.

    Gardner, Lyn, La marque du dragon, Les soeurs Eden t.2, 2010, 4/5

  • Nord et Sud - Elizabeth Gaskell

    9782213627304FS.gifMargaret Hale vient tout juste de regagner le presbytère familial quand son père, décidant qu’il ne peut faire a profession de foi qui lui est demandé, quitte son emploi et abandonne sa profession pour embrasser celle de professeur dans une ville du Nord. Déracinée de son Sud rural et bucolique pour une grande ville industrielle, Margaret va connaître une vie totalement différente de celle qu’elle menait. Entre patrons et ouvriers, elle va passer à l’âge adulte.

    Séduite par Cranford, j’ai décidé de ne pas m’arrêter en si bon chemin et de partir à la découverte du reste de l’œuvre de cette grande plume britannique du 19e siècle. Le hasard a voulu que le premier disponible soit Nord et Sud, ce qui m’a permis une lecture passionnante. Nord et Sud, c'est un gros roman dense, fourmillant d’informations, de petites histoires, de rebondissements, un magnifique roman d’apprentissage qui montre une jeune femme de bonne famille se heurter et apprendre à composer avec la pauvreté, et avec un monde industriel auquel rien ne l’a préparée et dont les règles lui sont non seulement inconnues, mais lui paraissent souvent immorale, ou d’une dureté difficilement compatible avec la foi chrétienne.

    Elizabeth Gaskell fait preuve du même talent à créer et faire vivre des personnages que dans Cranford, mais approfondit, étudie les questions qu'elle ne faisait qu'effleurer dans cet autre roman: l'entrée dans l'ère industrielle et ses conséquences, la confrontation de ce nouveau monde avec une Angleterre rurale conservatrice. En fait, elle raconte purement et simplement l'entrée dans l'ère industrielle à travers l'histoire de Margaret et de John Thornton le manufacturier. Face à lui, qu'elle méprise au premier abord pour ses origines et son métier, elle va devoir revoir ses certitudes, et apprendre à aimer cet univers si différent de celui de la bonne société londonienne où elle a vécu ou du presbytère où elle a grandit. La critique sociale est sous-jaçente, la peinture du monde industriel, des grèves et des conditions de vie ouvrière, même si elle n'est que toile de fond, est passionnante et révèle les grandes questions que posait au moment même de son éveloppement, le modèle industriel.

    Tout cela, Elizabeth Gaskell en parle sans jamais ennuyer, tant elle sait parfaitement le mêler à l’histoire d’amour tourmentée qui uni Margaret Hale et John Thornton et aux scènes de vie familiale et quotidienne tant ouvrière que bourgeoise. En fait, elle raconte le choc de ces deux mondes à travers Margaret et John, sans jamais déprécier l’un ou l’aure, simplement en confrontant leurs manières de penser et en aboutissant à la conclusion qu’une alliance entre ces deux monde, ou au moins une compréhension mutuelle est possible. Margaret apprend à comprendre John, et John, lui, apprend à accepter les opinions de Margaret et leur validité.

    C’est d’une étonnante richesse et d’une certaine modernité, puisqu’on verrait bien certaines situations et certaines questions se poser encore de nos jours. Par contre, il est bien certain qu’Elizabeth Gaskell laisse transparaître ses convictions, l'influence du syndicalisme chrétien et ses espoirs qu’un jour, patrons et ouvriers prendront conscience qu’ils sont interdépendants. Elle fait en tout cas montre d’un réalisme assez cru ou rien n’est épargné : crasse, misère, ignorance, pauvreté ouvrière ou bourgeoise, inconscience des classes supérieures, maladie et mort, tout y est et sans aucune concession. Jusqu’à l’amour qui est loin d’être simple et gagné. Les personnages sont d'ailleurs absolument magnifiques, à commencer par Margaret bien sûr, et par John Thornton le sombre et taciturne. Ils ont tous une profondeur rare qui le rend fascinants.

    Il ne me reste plus qu'à regarder l'adaptation BBC de ce petit bijou et à l'ajouter à ma bibliothèque pour être totalement satisfaite! Et à continuer à découvrir l'oeuvre de cette romancière!

    Pimpi en parle avec enthousiasme. Isil aussi!

    Gaskell, Elisabeth, Nord et Sud, Fayard, 2005, 512p., 5/5