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Chiff' - Page 44

  • De L'enfant Bleu à Déluge - Henry Bauchau

    Parler d'un roman d'Henry Bauchau m'effraie toujours. Comme traduire l'émerveillement qui me saisit toujours, l'impact physique qu'a chacune de ses oeuvres sur moi, le souffle qui manque parfois et le sentiment de plénitude à la dernière page. Ses récits sont à la fois d'une extrême simplicité et d'une complexité symbolique qui fait de la lecture une exercice fluide et pourtant épuisant.

    Dieu que je l'aime cette plume, je l'aime d'autant plus que je la sais fragilisée par l'âge: Henry Bauchau a 97 ans et continue un travail essentiel et fascinant avec un talent et une force qui ne perdent pas leur intensité.

    Une des choses qui m'a fascinée dès le départ a été la place qu'il donne dans son oeuvre à l'art. A la fois facteur d'équilibre, de déséquilibre, moteur fondamental de la construction de soi, de la survie, enchantement du monde et souffrance. Mais je n'avais pas encore lu L'enfant bleu. Ni Déluge, son dernier roman. Deux romans où l'art et la pratique artistiques ont une place centrale, absolue et qui, d'une certaine manière, sont le prolongement l'un de l'autre.

     

    lenfant-bleu-L-1.jpegL'enfant bleu d'abord. L'histoire d'Orion, un adolescent psychotique que personne ne parvient à réellement prendre en charge jusqu'à Véronique, une psychanalyste qui lui fait trouver le chemin de l'art, un chemin qui va changer son rapport au monde et lui permettre de vivre avec le démon de Paris qui l'attaque dès que la situation dans laquelle il se trouve lui est insupportable.

    L'enfant bleu est un roman sur l'art mais il surtout sur une rencontre: celle de Véronique et d'Orion, celle du monde des "normaux", des "soignants" avec le peuple du désastre. Ces enfants et ces adultes incapables de faire face au monde et à la société dans laquelle ils sont supposés vivre. Ceux qui font peur, ceux qu'on rejette aux marges, à qui on essaie parfois de donner une place, si rarement adapté à ce qu'ils sont et ce qu'ils peuvent. Henri Bauchau donne une voix à ce peuple à travers Orion et ses crises terribles qui le poussent à détruire parce que le monde est trop angoissant, trop incompréhensible. C'est un personnage tragique: à la fois insupportable, terrifiant, poignant. Il sait qu'il est malade, différent des autres et incapable d'affronter cette différence parce que personne n'est présent pour l'aider à le faire tout simplement parce que personne ne sait comment faire, comment l'épauler pour qu'il vive enfin. Et puis il y a Véronique au parcours chaotique, Véronique qui se débat dans une vie compliquée et qui s'attache à Orion, d'abord son patient puis tellement plus que ça. On les suit tous les deux sur le long chemin qu'ils empruntent, fait de progrès, de régressions, de doutes, d'angoisses, mais qui mène vers l'espoir d'une vie rendue meilleure. Et quand Orion passe enfin du "On ne sait pas" au Je, on ressent la joie et la peine de Véronique. J'ai aimé ce personnage, à la fois immensément fragile et suffisamment fort pour se battre contre la grisaille du quotidien, la peur, pour trouver la beauté dans les petits événements, dans les poèmes qu'elle parvient de nouveau à écrire grâce ou à cause d'Orion qui la confronte à un nouveau rapport au monde, dans la musique de Vasco, son homme, qui se trouve lui aussi au fil des pages. A chaque personnage son art et sa manière d'affronter le monde pour parvenir au coeur de lui-même et à l'équilibre. J'ai aimé ces parcours de vie, même si parfois Vasco ou Véronique m'ont agaçé, même si le petit monde des artistes a quelque chose d'un microcosme parfois verbeux et égocentré. Parce que finalement, avec leur art, ils réenchantent un monde routinier, dévoreur, dont la grisaille et les failles avalent le bonheur d'être et jusqu'à la souffrance. L'art est à la fois don, fardeau et catharsis qui permet de s'ouvrir au monde et aux autres.

    On sent au fil des pages l'expérience d'Henri Bauchau, devenu, un peu comme Véronique psychanalyste au bout d'un long chemin. C'est sans doute grâce à cette expérience qu'il parvient à rendre Orion si vivant, si crédible dans cette parole lourde de souffrance et naîve, inventive et violente, chambardifiée. C'est aussi par cette expérience qu'il fait découvrir ce que peut être le dialogue du psychanalyse et de son patient, ses dangers, l'espoir non pas de guérir les blessures, mais de parvenir à vivre avec et à en faire une part de soi qui participe du bonheur. C'est fascinant et passionnant. Et c'est beau. Parce que Henri Bauchau sait décrire l'art, sa puissance, son expressivité, la brûlure qu'il représente, la peur qu'il provoque chez ceux qui portent une oeuvre en eux, l'incompréhension ou la passion de ceux qui voient, entendent ou touchent. Parce qu'il sait aussi, aimer ses personnages, les faire s'aimer et nous les faire aimer.

    9782742789894FS.gifDéluge est le miroir de L'enfant bleu. Il y avait Orion, il y a Florian, le peintre fou et pyromane dont l'habitude de brûler ses oeuvres répond à cet acte accomplit par Orion et auquel on pense forcément. Florian, c'est un peu Orion, un Orion qui aurait vieilli, dont l'art aurait connu succès et reconnaissance, qui rencontrerait sur sa route une jeune femme à sauver comme lui avait été sauvé par une femme, celle qui avait su l'écouter et l'amener à trouver dans la peinture un exutoire. Cette jeune femme c'est Florence, qui a abandonné une carrière universitaire prometteuse pour partir se soigner, et surtout se trouver et se construire elle qui n'avait fait que suivre le chemin tracé par sa mère vers le succès et la reconnaissance sociale. C'est sur les docks d'un port du Sud de la France que leurs chemins vont se croiser et s'entremêler sans qu'on sache bien qui soutient qui dans cette collaboration qui les ménera tous les deux et leur entourage avec eux vers la grande oeuvre de Florian.

    On retrouve dans Déluge les thèmes de L'enfant bleu, l'écriture sèche et concise qui parvient si bien à emporter le lecteur dans l'intensité d'un récit qui atteint le coeur de l'humain. C'est de folie qu'il s'agit, de la folie du monde, de celle d'individus dont le combat quotidien est de vivre dans ce monde dont ils sont exclus par leur différences, ou dans lequel ils ne parviennent plus à respirer. Henry Bauchau raconte une nouvelle fois la rencontre de ceux qui sont cassés, l'amour qui les lie et les sauve, l'art qui leur permet de jeter à la face du monde leur souffrance, de la mettre en image, qui guérit parce qu'il panse les blessures de l'âme. On plonge profondément dans la psyché des personnages et c'est en même temps pudique. Plus encore que dans L'enfant bleu, Henry Bauchau va au coeur de l'acte même de la création, de la force avec laquel il s'impose à l'individu. On voit Florian et Florence se perdre, se retrouver au gré des scènes de cet immense tableau qu'ils peignent, on voit comment chacun influence l'autre, comment l'attraction qu'exerce Florian fait naître une petite communauté soudée, magnifique de gens perdus et aimants qui trouvent avec les autres l'équilibre qui manquait à leur vie.

    Pour moi, ces deux romans se répondent, et affirment, chacun avec sa voix, l'importance de l'art dans une vie d'homme, sa force et le pouvoir qu'il a de construire, d'étayer une existence, comme de la détruire. Henry Bauchau dit tout cela avec un talent qui ne se dément jamais et un ton unique qui fait oublier très vite les quelques défauts qu'on pourrait trouver à ses oeuvres, les petits agaçements qui ne manquent pas face à des personnages qui ont une telle présence. Surtout, surtout, Henry Bauchau donne corps et voix aux différents, aux pas-comme-les-autres avec un respect et un amour qui forcent l'admiration et font de ces deux romans, si ce n'est de son oeuvre, une ouverture sur le monde proprement indispensable.

    Erzébeth a accepté de faire billet commun! Pour Déluge, c'est par là!

    Bauchau, Henry, L'enfant bleu, Actes Sud, 2006, 442 p., 5/5

    Bauchau, Henry, Déluge, Actes Sud, 2010, 169 p., 5/5

  • Roméo, oh Roméo!!

    Certains diraient que fréquenter une certaine FV peut provoquer des effets secondaires non négligeables. Ils oublient de préciser que de toute manière, si effets secondaires il y a, c’est qu’il n’y avait pas besoin de pousser beaucoup pour que certains penchants naturels s’expriment ou… s’aggravent ! Comme une tendance profonde au bovarysme, une propension au couinement, un amour fou et compulsif pour certains auteurs, bôgosses acteurs, scénaristes, chocolat, champagne. Par exemple hein, juste par exemple.

    Bref, tout ça pour dire qu’assez étrangement, quand est tombée dans mon escarcelle un billet pour aller voir une version de Roméo et Juliette qui avait provoqué une disparition de paire de chaussure devenue célèbre, je n’ai pas fait ma mijaurée. J’ai juste prévu d’aller acheter la pièce en version No fear Shakespeare, attrapé la Pléiade qui traîne sur mes étagères et embarqué un paquet de mouchoirs.

    Parce que : « ô Roméo ! Roméo ! Pourquoi es-tu Roméo ? Renie ton père et abdique ton nom ; ou, si tu ne le veux pas, jure de m'aimer, et je ne serai plus une Capulet. », et puis : « Un dernier regard, mes yeux ! Bras, une dernière étreinte ! et vous, lèvres, vous, portes de l'haleine, scellez par un baiser légitime un pacte indéfini avec le sépulcre accapareur ! ». Que celui qui n’a pas écrasé une larme à la scène du tombeau me jette Roméo à la tête. Surtout si c’est Alexis Michalik. Hem. Oubliez ce petit moment d’égarement. Ou pas.

    affiche_62.jpgR&J donc. Une pièce absolument hilarante, jubilatoire, excessive, tragique, enthousiasmante, je vous fait grâce du reste des qualificatifs qui traversent mon esprit encore en surchauffe. Il faut dire que c’est du sacrément bon boulot. Trois acteurs, 15 personnages, quelques coupes dans le texte, une ou deux chansons, des vannes à hurler de rire, des combats au canif, un DJ nain, une nourrice cocasse, un Tybald aux lunettes apocalyptiques, un parrain Montaigu à canne et accent sicilien, le tout dans un décor minimaliste constitué par trois portants à costume, quelques guirlandes de fleur, des façades en carton. Ca fonctionne et ça fonctionne très, très bien les 3 acteurs déployant une énergie phénoménale et passant d’un rôle à un autre avec un talent époustouflant. Mention spéciale d’ailleurs à Anna Mahalcea qui, passant d’un Mercutio survolté et gouailleur à une Juliette naïve et habitée par l’amour est superbe. Quand à ses deux compères… Non content de jouer superbement, ils provoquent certains effets… du genre asphyxie mentale, couinement intérieur, glapissement digne et discret,... Je ne nierai pas avoir eu un léger, oh, très léger moment de flottement… Surtout quand Roméo se radine torse nu. Mais en toute dignité.

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    Le plus beau dans tout ça c’est que l’esprit de la pièce est totalement respecté, même beaucoup plus à mon humble avis que dans toutes les versions tragiques de la chose. Il y a de la gouaille, de l’humour, du bonheur qui font le pendant du drame amoureux et qui le rendent sans aucun doute encore plus fort. On est dans la vie, la vraie, celle où la tragédie côtoie la comédie, celle où on passe du rire aux larmes en quelques secondes. Le tout avec un texte sublime dont l’esprit, sinon la lettre est respectée et des acteurs brillants. Que demander de plus hein ? Filez-y le plus vite possible, la pièce joue jusqu’au 20 juillet au Studio des Champs-Élysées (labyrinthe aux barmans ma foi forts sympathiques, je dis ça mais sans arrière-pensée aucune) ! Hop hop ! Qu’est-ce que vous faites encore ici ?

    Merci Fashion et Stephie pour ces couinements dignement partagés! On y retourne?

  • Shiro - David Spailier

    Libérée d'une traversée du désert éternelle d'une durée d'au moins un mois, Chiffonnette Chiffon, se jeta telle une vampirette n'ayant pas vu une coupinette depuis des lustres sur la pile instable gisant dans les recoins de son terrier, espérant y trouver de quoi sustenter sa faim dévorante.

    Las, dans la pile se trouvait prioritairement quelques lectures urgentes, voire urgentissimes. Délaissant donc à regret le shoot de fiction qu'elle appelait de ses voeux, Chiffonnette attrapa la première des urgences en question. Laquelle se révéla tellement mauvaise qu'elle en rata sa station de métro, consternée par tant de... Tant de... Tant de... Mon Dieu, je n'en trouve plus mes mots!

    Vérité vraie, chers amis, j'en ai raté ma station de métro. Entendons-nous bien, cela ne m'était jamais arrivé d'être consternée au point de lever le nez, de regarder d'un air hagard le panneau de la station avant de replonger le nez dans le paragraphe et de hurler de rage quelques minutes plus tard. C'est dire. Pourtant, pourtant, Shiro avait tout pour me plaire. Ce n'est pas la quatrième de couverture qui me l'avait dit puisqu'il n'y en a pas, mais que voulez-vous, le premier paragraphe m'a eue! J'ai ouvert un oeil, un deuxième, trouvant l'accroche ma foi plutôt percutante. Le problème, c'est que le reste n'a pas suivi.

    9782915517484FS.gifLe fond était pourtant intéressant: dans un monde dont on ne sait guère à quel point il est proche, deux enfants, Elliott et Daisy, enfermés depuis leur naissance dans des chambres hermétiques d'un centre sont l'objet d'expériences mystérieuses dirigées par le docteur Wilson Willard, ancien enfant du centre. Petit à petit, va se dessiner un univers qui a vu l'avénement d'une intelligence artificielle forte et d'où l'humain a disparu totalement. Un univers où la gigalopole de Tokyozaki s'élève vertigineusement et où les machines s'efforcent de recréer l'humain, de régresser de la perfection de la machine pensante aux émotions de chair, de sang et de pensée. Eliott et Daisy sont deux expériences prometteuses. Deux expériences qui vont peu à peu devenir des grains de sable vite broyés par l'univers dans lequel ils évoluent. Il y a beaucoup de choses de Shiro, et notamment une réflexion passionnante sur ce qu'est l'humain à travers trois personnages qui ne sont plus tout à fait des machines, mais pas encore des êtres humains et qui vont se heurter aux murs d'une identité qu'on ne leur laisse pas découvrir. L'humanité, Elliott, Daisy et même leur démiurge, ne la connaissent que par les vestiges d'émissions de télévision et de films. Il la découvre aussi dans les doutes, les colères, la volonté de liberté ou la peur qu'ils ressentent, l'anoisse qu'ils cherchent, chacun à leur manière de calmer. Il s'y heurtent faute de pouvoir l'exprimer dans un monde où, si l'on cherche à revenir à l'organique, la logique stricte et froide du langage binaire est incapable de comprendre et de ne pas perçevoir comme une menace la différence qu'ils représentent. David Spailier raconte ainsi l'histoire de trois freaks dans un monde de machine qui les rejette. J'ai aimé l'idée de ce point de vue inversé: au lieu de machines évoluant dans un monde d'humains, ce sont des presque humains qui évoluent dans un monde de machine. Une autre manière d'envisager la matrice remise au goût du jour il y a quelques années.

    Mais ce fond, pour dense et riche qu'il soit est déservi à mon sens par un style que j'ai trouvé prétentieux qui m'a crispée de la deuxième à la dernière page: des métaphores récurrentes lourdes, un style incisif qui sonne ampoulé, une manie de faire suivre toute mention de couleur par l'équivalent en version nuancier numérique (merci, on avait compris, monde de machine, etc, etc.) une tendance exaspérante à commencer une phrase en anglais pour la terminer en français et inversement, une manière de faire parler Elliott et Daisy qui ne sonnait jamais juste... J'en passe. Mon appréhension du récit va dans le même sens. Passer d'un personnage à un autre de chapitre en chapitre, soit, j'y suis habituée, mais j'ai eu un sentiment grandissant d'ennui à suivre des non événements qui se suivent et s'enchaînent, les plaintes, atermoiements et révoltes des trois principaux protagonistes ne suffisant certes pas à éveiller plus avant mon intérêt. Il est vrai que l'intérêt n'est pas temps événements et actions que la manière dont la réflexion des personnages évolue d'interactions en interactions. Mais si ce brave docteur Wilson Willard semble devoir jouer le rôle du "poète maudit" enfermé dans un rôle dont il ne peut sortir et qu'il maudit, son comportement de dandy affecté devient très vite insupportable. Sans parler des deux enfants qui enfermés dans des chambres avec pour seule compagnie et éducateur une télévision se mettent à philosopher sur le sens de la vie. Je veux bien que tout ce petit monde soit des robots très perfectionnés, mais le procédé était un brin "trop" pour moi.

    Bref, une rencontre ratée et bien ratée. Je ne suis sans doute pas pourvue des bons circuits pour apprécier...

    Spailier, David, Shiro, Editions Imho, 2010, 2/5

  • Chien du heaume - Justine Niogret

    Cuné m'ayant très justement fait remarquer que nous étions déjà le 16 et que j'avais annoncé mon retour dans le monde merveilleux de la blogosphère pour le 15, je me suis jetée, toute contrite, sur mon clavier, atterrée de ne pas avoir entendu les avertissements de ma montre de gousset et la petite voix sur mon épaule me susurrant: "Mais par mes moustaches, tu es en r'tard!". Et me demandant au passage si j'allais encore savoir écrire un billet. Suspense. Angoisse intense. Sueurs froides. Tremblements convulsifs. Mon Dieu mais de quoi vais-je bien pouvoir parler? Du roman que tu as terminé ce midi patate! Ah, oui, c'est vrai, un roman. C'est que j'avais perdu l'habitude de ces petites choses là moi! Bon, roman sous le coude, check, clavier opérationnel, manifestement puisque je suis en train de taper des idioties, porte-clé muffin, accroché au porte-clé, le Doctor, à son poste, couinement,... Mais je m'égare. Quoi que le roman dont je vais bien finir par vous parler mérite quelques petits couinements. Parce que raconter comme ça le Moyen-Âge, j'affirme que cela mérite un, voire deux couinements. Là. Ca, c'est dit! Comment ça ce n'est pas suffisant? Ah bon? Bon, alors place à Chien du Heaume!

    book_cover_chien_du_heaume_46787_250_400.jpg

    Chien du Heaume, c'est le nom qu'a gagné la mercenaire sans nom au fil de ses combats. Un nom qui ne remplace pas celui dont elle ne se souvient pas, celui qu'elle a perdu en suivant sur la route son père, celui qu'elle cherche désespérement pour enfin retrouver une identité, une existence, pourquoi pas une famille qui se souviendra d'elle après sa mort. Mais si la quête d'un nom n'est pas si facile, elle peut amener aussi amener à des rencontres qui changent une vie. Comme celle du chevalier Sanglier en son castel de Broe, celle de Regehir le forgeron, celle d'Iynge, et celle de Noalle la cruelle.

    Une légende, de celles qu'on raconte au coin du feu un soir d'hiver. C'est un peu ce à quoi fait penser l'histoire pleine de sang et de douleur qui est celle de Chien. Parce qu'il y a ce Moyen-Âge froid et violent, brûlant des passions humaines, un monde en transition qui voit les derniers mystères s'effacer devant le Dieu chrétien. Parce qu'il y a la voix du conteur aussi qui parfois se fait entendre. Parce qu'il y a, comme dans les légendes, des combats, des souffrances, de folles amours. C'est peu de dire que j'ai aimé cette très belle histoire. D'abord pour ses personnages en fait. Chien la première, laide, ronde, experte dans le maniement de cette hache qui ne l'a jamais quittée depuis la mort de son père. A la fois mercenaire sans foi ni loi et capable du plus grand dévouement et du plus grand amour, souffrant de son identité perdue et prête à tout pour retrouver son nom et ses racines. Derrière elle Bruec, le chevalier Sanglier et son ost, Regehir le forgeron, un peu conteur, un peu menteur, virtuose du métal, Iyinge le beau, trop tendre pour le métier des armes, et les autres: Bréhyr le faucon incarnée en femme, Noalle et ses yeux verts et trompeurs, La Salamandre et les mystères que cache son armure.Tous trop complexes pour jamais devenir des héros. J'ai aimé découvrir leurs failles, leurs secrets, leurs souffrances cachées, j'ai aimé les voir grandir peu à peu, et mourir parfois. J'ai aimé leurs relations d'amour, d'amitié, de loyauté ou de haine, le tout étant mêlé parfois.

    A travers eux, on plonge dans un Moyen-Âge saisissant, une atmosphère de brumes, d'hivers glacés, d'étés brûlants qui happe. C'est à la fois intensément poétique, crûment réaliste, d'une grande justesse jusque dans la langue, travaillé avec juste ce qu'il faut de ce qui sonne à nos oreilles comme des archaïsmes pour sonner vrai sans alourdir le récit. Il est vrai que ce récit pêche un peu par moment: un peu trop long par ci, un peu trop rapide par là,, une chute un brin décevante. Mais toujours cette ambiance fabuleuse qui fait tout oublié et me donnait envie de retrouver Chien et les autres et de ne plus les laisser aller.

    Et puis dans Chien du Heaume, il y a aussi cette vision d'une femme guerrière loin des clichés du genre, une femme forte, poignante dans ses faiblesses, et sa confrontation avec une autre, tellement différente, annonciatrice d'un monde qui change, d'une religion qui va faire des dames des êtres qui ne trouveront le salut que dans la ruse et la foi. Il y a cette vision d'un monde mourant et les mots poignants d'un homme qui sent son monde s'évanouir. Il y a ces souvenirs égrénés pendant une nuit de garde et les échos d'anciennes batailles. Il y a le souffle des pays lointains et des hommes, des êtres et des choses qui vont devenir la trame des contes et des légendes. Il y a ce nom qui s'échappe et la question lancinante de savoir si ce nom vous définit.

    Au point de se sentir un peu perdue à la dernière page.

    Merci Justine Niogret pour ce roman. Merci aussi pour ce lexique pour le moins décoiffant dont le souvenir me fait encore rire! A très vite j'espère!

    Et billet dédicacé au passage à Mo qui a, comme moi, des réactions couino-manique devant certaine période historique...


    Niogret, Justine, Chien du Heaume, Mnémos, 2009, 205 p., un lexique à ne pas manquer et un prix Imaginales fort mérité!