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Chiff' - Page 101

  • A vos dictionnaires!!!


     

    Vladimir a  voulu fêter à sa manière la naissance du tout petit riquiqui duc Ivan avec un poème ! Un poème plein de V et rimes en vlan ! Un poème que le grand-duc n’a pas du tout, mais alors pas du tout apprécié ! Résultat : tous les mots en v sont purement et simplement interdits et la police spéciale de Répression du V créée !

    Seulement, avec la lettre 22 en moins, est-il encore possible de parler ? Et de penser ? Et de sentir ?

     

    Voilà un roman pour les plus jeunes fort agréable ! Je connaissais Marie-Aude Murail par ses œuvres pour adolescents, mais je découvre là qu’elle est tout aussi douée pour les autres ! Ce dont il est question ave finesse sous la forme d’un conte drolatique n’est rien moins que le pouvoir des mots, de la poésie et des chansons !

    Une lettre vous manque et tout est dépeuplé ! Rien de plus vrai ! Car le vent, ce n’est pas le zéphyr ou la brise ! » Je vous adore », ce n’est pas la même chose que « Je vous aime » ! Les mots ont leur importance ! C’est ce dont tout le monde va très vite se rendre compte ! Mais impossible de résister quand la police veille au grain ! Qui aurait envie de perdre sa langue, voire sa tête pour avoir laisser échapper ce petit son si anodin ! Même le grand-duc va se rendre compte de sa bêtise, et du fait qu’avoir le pouvoir absolu n’empêche pas de faire des erreurs, bien au contraire !

    Heureusement que les enfants sont moins idiots, et bien plus courageux que les adultes !

    Une jolie histoire qui laisse avec le sourire !

    Marie-Aude Murail, 22 !, Mouche de l’Ecole des loisirs, 2008, 51 p.

  • Clapotis? Roulis? Tringlis? Groulis?

     

    Après les catastrophes et les morts qui ont marqué la fin de l’Age sombre, le monde s’est relevé de ses cendres. La forêt d’Iscambe, immense, luxuriante, mystérieuse, terrifiante couvre la plus grande partie de la France. C’est en son sein que se trouvent les mystères de l’ancienne civilisation, les secrets de la mort de masse comme ceux de la pensée. Pourtant, en parcourant ses routes et ses sentiers, c’est en eux-mêmes que ceux qui auront osé y entrer trouveront la vérité.

     

    Un roman ? Non, un chef-d’œuvre, mon coup de cœur de l’année, un livre que j’ai acheté après l’avoir emprunté en bibliothèque, refusant de laisser partir au loin ce miracle. Et je n’exagère pas. La forêt d’Iscambe fait partie de ces livres rares qui vous hantent une fois la dernière page tournée. Christian Charrière a crée en 400 pages un univers complet, chatoyant, passionnant : des humains aux insectes géants qui peuplent son récit, des ogres aux elfes, des arbres vivants aux poussiéreux bureaucrates et aux déités nouvelles, le lecteur va de surprises en surprises. On déteste certains personnages, on sourit devant les ridicules d’autres, on retient son souffle quand ceux auxquels on s’est attaché sont en danger. On reste fasciné aussi par cette langue d’une incroyable richesse. Dense, inventive, luxuriante autant que la forêt qu’elle décrit, la plume de l’écrivain est un enchantement renouvelé à chaque ligne. Elle fait littéralement vivre la jungle et ses habitants : couleurs, odeurs, mouvements, lumière sont autour du lecteur. La nature, la forêt est le personnage principal de cette histoire, et aucun mot ne permet de l’oublier. D’ailleurs, si les animaux pensant et parlant sont légion dans la littérature enfantine comme adulte, Charrière utilise à bon escient et avec une certaine originalité des insectes qui ne sont pas parmi les plus appréciés ! Pensez donc ! Des termites ! D’horribles et abominables, d’intelligentes et attachantes termites ! Des fourmis aussi ! Belliqueuses comme l’humain, en proie aux doutes, au conformisme, à l’amour…

     

    Et ce n’est pas tout. Partout sous l’aventure, le danger, la guerre pointe la philosophie. La forêt d’Iscambe est une quête. Celle des laineux fuyant la dictature bureaucratique pour réunir enfin l’homme avec lui-même. Celle d’It’van pour comprendre ce qui le pousse à aller vers la forêt et ses dangers. Finalement, Iscambe est une métaphore de la nature humaine : ce lieu où se côtoient les instincts les plus nobles avec les pensées les plus viles, les pulsions animales ave ce que la réflexion peut apporter de plus beau. Ce lieu qu’il ne fait pas abattre, détruire, refuser, mais accepter pour enfin vivre en harmonie avec soi-même et avec le monde. J’ai sans doute l’air un brin exaltée, mais l’humanisme de Christian Charrière m’a littéralement transportée. S’il n’évite pas quelques poncifs, quelques longueurs, l’intelligence de son propos, l’acuité de sa vision de l’humain, son humour aussi et sa profonde tendresse pour le monde font de lui un écrivain majeur, un de ceux qui embellissent le monde. D’ailleurs, je ne voudrais pas oublier ce qui fait de cette lecture un réel plaisir ! Le propos est grave sans doute, mais l’humour omniprésent le compense amplement : on va d’un roi termite atrocement complexé par un Œdipe non résolu à une reine des fourmis qui faute de trouver l’amour fait la guerre en passant par quelques guerriers hauts en couleur, un marmouset qui ferraille ferme de la lime à ongle, un maître fâché avec le savon, le culte du super, de l’essence et de la déesse Shell, et des répliques à l’acidité réjouissante !

     

    Le Cafard Cosmique donne son avis.  

     

     

    La forêt d’Iscambe a été réédité chez Point fantasy.



    Christian Charrière, La forêt d’Iscambe, Phébus Libretto, 1999, 403 p.

  • Avant l'hiver, Architectonique des clartés

    Vous l’aurez peut-être remarqué si vous fréquentez ce terrier depuis un certain temps, ou si vous avez croisé ma route : j’ai une marotte. On pourrait presque dire un auteur chouchou si la créatrice de ce label veut bien me passer cet emprunt expliquant en partie mon attitude proprement hystérique dès que j’entends parler de la sortie d’un nouvel opus. Le nom de la marotte ? J’y viens !

     

    Il est des livres, des plumes dans lesquelles le lecteur se noie, d’immerge, se perd à en oublier le monde autour de lui. C’est l’effet que me font les œuvres de la Tisseuse : chaque mot, chaque ligne m’enferme un peu plus dans la trame. Je ralentis, je biaise, espérant faire durer un peu plus le plaisir, je cède à l’envie de lire encore et encore, je tourne et retourne le livre, le caressant, le feuilletant… Et je le referme avec une grimace en pensant au temps qu’il faudra avant de découvrir d’autres aspects du monde de Vertigen. Pour moi Léa Silhol, puisque c’est d’elle qu’il s’agit est une magicienne. Par elle me viennent le souffle de Féerie, la froideur des flocons d’un hiver non naturel d’être tellement vrai, la passion de la nuit la plus profonde.

     





    Avec Avant l’hiver, elle offre un recueil de nouvelles à la construction éblouissante. Quatre actes pour de multiples aspects du monde des fays et de son histoire. Au fil des pages, la voix de Kelis, le barde chargé par les siens de raconter les temps anciens, donne à entendre la vie des Cours et des monarques de Féerie : les amours interdites, les trahisons, les guerres, mais aussi les comptines, les pactes avec les mortels et les dieux. Des réponses sont données, de nouvelles questions posées. On voit en tout cas se dessiner de plus en plus l’architecture de Vertigen.

    Toutes les nouvelles du recueil ne sont  pas inconnues du lecteur assidu : certaines appartenaient à d’autres recueils, d’autres avaient été publiées dans des revues diverses. En tout cas, elles sont réunies avec un talent, une tension qui laissent pantois.

    On retrouve au fil des pages les personnages qui nous étaient devenus chers dans La Sève et le Givre et La Glace et la Nuit : Angharad et Finstern, Kelis lui-même, et des personnages que l’on pouvait juger secondaires et qui acquièrent épaisseur et vie avec les nouvelles qui leurs sont consacrées. On retrouve des événements évoqués, des objets, des lieux. Mais surtout, on rencontre Dana, Anaa, et on assiste à la création de Féerie, ou plutôt à la transformation de Féerie. Et c’est passionnant.

    De plus, les textes sont accompagnés de magnifiques photographies, la maquette élaborée, bref, tout concourt au plaisir de lecture.

     

    Une fois de plus Léa Silhol joue de sa plume et de son talent pour enchanter ses lecteurs. Ceux qui sont d’ors et déjà tombés sans ses filets retrouveront avec un bonheur sans faille son univers, ceux qui voudront l’approcher en picorant le pourront aussi.

     

    L'article magnifique de Psycheinhell.  Une interview de l'auteur sur le site des Moutons électriques.

    Léa Silhol, Avant l'hiver, Les moutons électriques, 2008, 349 p. 

     

     

  • La naissance du jour

     

    J’ai bien du mal à commencer cette note de lecture ! Comment parler de ces pages qui m’ont coupé le souffle, je me le demande !!

     

    On ne présente plus Colette la fille de Sido, la femme de Willy, la scandaleuse, l’académicienne, l’écrivain hors pair. Celle qui a écrit : « Je ne cesserai d’écrire que pour cesser de vivre »

    On ne la présente plus et pourtant, sa vie est un tourbillon qui ne perd rien de son attraction dès lors qu’on y revient.

     

    La naissance du jour n’est pas un roman, mais une sorte de journal. Colette raconte l’été de ses cinquante-cinq ans. Elle relit les lettres de sa mère, elle tente d’écrire le roman qu’attend son éditeur. Et surtout, elle vit intensément ce que lui offre la Provence : la chaleur, le soleil, la nature, l’amitié et l’amour qui reste possible.

     

    L’émerveillement est présent dès les premières lignes. S’ouvrant sur une lettre de Sido, le récit prend s’affirme d’emblée comme une déclaration d’amour. « Au cours des heures où je me sens inférieure à tout ce qui m’entoure, menacée par ma propre médiocrité, effrayée de découvrir qu’un muscle perd de sa vigueur, un désir de sa force, une douleur la trempe affilée de son tranchant, je puis pourtant me redresser et me dire : « Je suis la fille de celle qui écrivit cette lettre, - cette lettre et tant d’autres que j’ai gardées. Celle-ci en dix lignes, m’enseigne qu’à soixante-seize ans elle projetait et entreprenait des voyages, mais que l’éclosion possible, l’attente d’une fleur tropicale suspendait tout, faisait silence même dans son cœur destiné à l’amour. »

    Colette n’est pas Sido, mais elle a, comme elle, l’amour de la vie, l’égoïsme instinctif de ceux qui savent que se préserver est essentiel, l’attachement viscéral aux gens et aux bêtes. Toutes choses qu’elle sait mettre en mots dans une langue d’une poésie rare, d’une force d’évocation presque sans égal. Peut-être est-ce parce que je connais les paysages qu’elle décrit, les sensations des ces étés écrasés et écrasant de chaleur, mais au fil de ma lecture, malgré le bruit environnant, les mouvements, le froid et l’humidité, je sentais sur ma peau la brûlure du soleil et du vent, j’entendais la stridence entêtante des cigales, les bruits de la vie qui reprennent le soir venu. L’art de Colette égal celui des peintres qu’elle fréquente au cours de cette période de sa vie. Elle réussit à traduire la vie, avec une sensualité qui laisse pantois. Il suffit de lire ces quelques lignes, extraites des toutes premières pages : « J’entends tinter les bouteilles qu’on rapporte du puit, d’où elles remonteront rafraîchies, pour le dîner de ce soir. L’une flanquera, rose de groseille, le melon vert ; l’autre, un vin de sable trop chaleureux, couleur d’ambre, convient à la salade –tomates, piments, oignons, noyés d’huile- et aux fruits mûrs. »

     

    Pourtant, Colette est en retrait. Cet été est pour elle l’occasion d’une réflexion sur l’amour, sur le vieillissement, sur la manière dont elle veut voir arriver la mort. A travers le triangle amoureux qui se dessine entre Vial, Hélène et elle-même, elle montre son cheminement vers l’abandon, la sérénité. Pour elle, cette situation est représente la tentation du dernier amour, une manière de se prouver qu’elle est toujours femme séduisante et séductrice. Y renoncer est donc un grand pas. Mais si elle renonce à l’amour, elle ne renonce pas au monde. Elle s’ouvre à lui, le frôle. Elle renonce à un amour qui l’aurait une fois de plus menée vers l’agitation, la souffrance. « J’ai encore des jours et des jours devant moi, je suppose, mais je n’aime plus les gâcher. Timidité dessaisonnée, un peu flétrie et amère, comme tout ce qui demeure suspendu, équivoque, inutile… Ni parure, ni pitance… »  Elle préfère respirer le monde. « L’aube vient, le vent tombe. De la pluie d’hier, dans l’ombre, un nouveau parfum est né, ou c’est moi qui vais encore une fois découvrir le monde et qui y applique des sens nouveaux ?... Ce n’est pas trop que de naître et de créer chaque jour. Elle est roide d’émotion, la main couleur de bronze qui court, s’arrête, biffe, repart, froide d’une jeune émotion. L’avare amour ne voulait-il pas, une dernière fois, m’emplir le creux des paumes d’un petit trésor racorni ? Je ne cueillerai plus que par brassées. De grandes brassées de vent, d’atomes colorés, de vide généreux, que je déchargerai sur l’aire avec orgueil. »

     

    Mais La naissance du jour n’est pas vraiment, ou pas seulement un journal. La préface est à cet égard absolument passionnante : « Il lui faut écrire le roman du renoncement. Mais elle renonce à renoncer. On n’écrit que du passé. Elle vit le présent. Elle écrit donc le poème du renoncement, pour conjurer l’avenir qui la menace et protéger cet amour d’automne qui l’attache à Maurice Goudeket. La naissance du jour fait silence sur cet amour : c’est le gage que ce dernier amour se transformera en amitié tendre, en amitié première et qu’alors le monde – souvent réduit pour elle à un seul être- lui sera de nouveau offert. »

    Et effectivement, Colette passe sous silence, elle ment. Mais elle en averti son lecteur : « Imaginez-vous, à me lire, que je fais mon portrait ? Patience : c’est seulement mon modèle ». Dès lors, il appartient au lecteur de démêler le vrai du faux, ou de se contenter de suivre Colette dans les méandres de sa réflexion sur l’art et la création, sur l’écrivain et son statut, la difficulté d’écrire et la souffrance qu’apporte parfois la célébrité.

     

    La naissance du jour a scellé mes retrouvailles avec cet écrivain que j’avais tant aimé adolescente et dont L’étoile Vesper avait fasciné l’étudiante que j’ai été. Un magnifique moment de lecture que je ne peux trop conseiller à ceux qui aiment la poésie et le plaisir des sens.

    Colette, La naissance du jour, GF-Flammarion, 1981, 191 p.

  • Comme un rond ballon

     


     

    Gabi, seize ans, a du retard. Une petite graine a pris racine au fond de son ventre. Gabi a seize ans mais elle ne veut pas avorter, même si elle sait que ça va être dur. Neuf mois de grossesse où il va falloir affronter le regard des autres, de son frère et de Clara la fiancée, avec pour soutien Ninou sa grand-mère et ses trois copines. Neuf mois entre joie, doute et peurs.

     

    Frédérique Niobey a adopté la forme du journal intime pour cette histoire de toute jeune maman. Les avantages de cette forme sont non négligeables. Elle lui permet d’entrer profondément dans la psyché de Gabi, de lui donner entièrement la parole.  Or, Gabi est une héroïne attachante : une enfant encore, une adulte déjà,  même si elle a seize ans. Elle pose la douloureuse question de savoir si on peut être mère avant d’être femme, mère sans être femme. Pourtant, femme, elle l’est, et pas seulement parce qu’elle va donner la vie. Elle est femme parce qu’elle doute, parce qu’elle souffre, parce qu’elle s’interroge sur sa vie après la naissance, les renoncements, l’amour et bien d’autres choses. Seulement, ces questions sont d’autant plus angoissante qu’elle est jeune.

    Ce qui est intéressant c’est que Gabi choisit cet enfant qu’elle porte : elle se doute bien qu’elle est enceinte, et elle choisit d’attendre ! Si fausse couche il doit y avoir, il y aura fausse couche. Sinon, elle mettra au monde son enfant. Son choix n’est pas compris d’ailleurs. D’autant qu’il n’est pas sans rapport avec la mort accidentelle de ses parents, la solitude.

     

    Mais malheureusement, la psychologie des personnages reste effleurée, les situations caricaturales. Et le choix de phrases elliptiques, saccadées, si elle permet de coller à l’état d’esprit de Gabi devient un peu pénible sur la fin du roman.

    Dommage, ce qui aurait pu être excellent devient juste bien !

     
    Frédérique Niobey, Léonore, Ed. du Rouergue, coll. Doado, 2007, 58 p.