Après les catastrophes et les morts qui ont marqué la fin de l’Age sombre, le monde s’est relevé de ses cendres. La forêt d’Iscambe, immense, luxuriante, mystérieuse, terrifiante couvre la plus grande partie de la France. C’est en son sein que se trouvent les mystères de l’ancienne civilisation, les secrets de la mort de masse comme ceux de la pensée. Pourtant, en parcourant ses routes et ses sentiers, c’est en eux-mêmes que ceux qui auront osé y entrer trouveront la vérité.
Un roman ? Non, un chef-d’œuvre, mon coup de cœur de l’année, un livre que j’ai acheté après l’avoir emprunté en bibliothèque, refusant de laisser partir au loin ce miracle. Et je n’exagère pas. La forêt d’Iscambe fait partie de ces livres rares qui vous hantent une fois la dernière page tournée. Christian Charrière a crée en 400 pages un univers complet, chatoyant, passionnant : des humains aux insectes géants qui peuplent son récit, des ogres aux elfes, des arbres vivants aux poussiéreux bureaucrates et aux déités nouvelles, le lecteur va de surprises en surprises. On déteste certains personnages, on sourit devant les ridicules d’autres, on retient son souffle quand ceux auxquels on s’est attaché sont en danger. On reste fasciné aussi par cette langue d’une incroyable richesse. Dense, inventive, luxuriante autant que la forêt qu’elle décrit, la plume de l’écrivain est un enchantement renouvelé à chaque ligne. Elle fait littéralement vivre la jungle et ses habitants : couleurs, odeurs, mouvements, lumière sont autour du lecteur. La nature, la forêt est le personnage principal de cette histoire, et aucun mot ne permet de l’oublier. D’ailleurs, si les animaux pensant et parlant sont légion dans la littérature enfantine comme adulte, Charrière utilise à bon escient et avec une certaine originalité des insectes qui ne sont pas parmi les plus appréciés ! Pensez donc ! Des termites ! D’horribles et abominables, d’intelligentes et attachantes termites ! Des fourmis aussi ! Belliqueuses comme l’humain, en proie aux doutes, au conformisme, à l’amour…
Et ce n’est pas tout. Partout sous l’aventure, le danger, la guerre pointe la philosophie. La forêt d’Iscambe est une quête. Celle des laineux fuyant la dictature bureaucratique pour réunir enfin l’homme avec lui-même. Celle d’It’van pour comprendre ce qui le pousse à aller vers la forêt et ses dangers. Finalement, Iscambe est une métaphore de la nature humaine : ce lieu où se côtoient les instincts les plus nobles avec les pensées les plus viles, les pulsions animales ave ce que la réflexion peut apporter de plus beau. Ce lieu qu’il ne fait pas abattre, détruire, refuser, mais accepter pour enfin vivre en harmonie avec soi-même et avec le monde. J’ai sans doute l’air un brin exaltée, mais l’humanisme de Christian Charrière m’a littéralement transportée. S’il n’évite pas quelques poncifs, quelques longueurs, l’intelligence de son propos, l’acuité de sa vision de l’humain, son humour aussi et sa profonde tendresse pour le monde font de lui un écrivain majeur, un de ceux qui embellissent le monde. D’ailleurs, je ne voudrais pas oublier ce qui fait de cette lecture un réel plaisir ! Le propos est grave sans doute, mais l’humour omniprésent le compense amplement : on va d’un roi termite atrocement complexé par un Œdipe non résolu à une reine des fourmis qui faute de trouver l’amour fait la guerre en passant par quelques guerriers hauts en couleur, un marmouset qui ferraille ferme de la lime à ongle, un maître fâché avec le savon, le culte du super, de l’essence et de la déesse Shell, et des répliques à l’acidité réjouissante !
Le Cafard Cosmique donne son avis.
La forêt d’Iscambe a été réédité chez Point fantasy.
Christian Charrière, La forêt d’Iscambe, Phébus Libretto, 1999, 403 p.