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provence

  • La naissance du jour

     

    J’ai bien du mal à commencer cette note de lecture ! Comment parler de ces pages qui m’ont coupé le souffle, je me le demande !!

     

    On ne présente plus Colette la fille de Sido, la femme de Willy, la scandaleuse, l’académicienne, l’écrivain hors pair. Celle qui a écrit : « Je ne cesserai d’écrire que pour cesser de vivre »

    On ne la présente plus et pourtant, sa vie est un tourbillon qui ne perd rien de son attraction dès lors qu’on y revient.

     

    La naissance du jour n’est pas un roman, mais une sorte de journal. Colette raconte l’été de ses cinquante-cinq ans. Elle relit les lettres de sa mère, elle tente d’écrire le roman qu’attend son éditeur. Et surtout, elle vit intensément ce que lui offre la Provence : la chaleur, le soleil, la nature, l’amitié et l’amour qui reste possible.

     

    L’émerveillement est présent dès les premières lignes. S’ouvrant sur une lettre de Sido, le récit prend s’affirme d’emblée comme une déclaration d’amour. « Au cours des heures où je me sens inférieure à tout ce qui m’entoure, menacée par ma propre médiocrité, effrayée de découvrir qu’un muscle perd de sa vigueur, un désir de sa force, une douleur la trempe affilée de son tranchant, je puis pourtant me redresser et me dire : « Je suis la fille de celle qui écrivit cette lettre, - cette lettre et tant d’autres que j’ai gardées. Celle-ci en dix lignes, m’enseigne qu’à soixante-seize ans elle projetait et entreprenait des voyages, mais que l’éclosion possible, l’attente d’une fleur tropicale suspendait tout, faisait silence même dans son cœur destiné à l’amour. »

    Colette n’est pas Sido, mais elle a, comme elle, l’amour de la vie, l’égoïsme instinctif de ceux qui savent que se préserver est essentiel, l’attachement viscéral aux gens et aux bêtes. Toutes choses qu’elle sait mettre en mots dans une langue d’une poésie rare, d’une force d’évocation presque sans égal. Peut-être est-ce parce que je connais les paysages qu’elle décrit, les sensations des ces étés écrasés et écrasant de chaleur, mais au fil de ma lecture, malgré le bruit environnant, les mouvements, le froid et l’humidité, je sentais sur ma peau la brûlure du soleil et du vent, j’entendais la stridence entêtante des cigales, les bruits de la vie qui reprennent le soir venu. L’art de Colette égal celui des peintres qu’elle fréquente au cours de cette période de sa vie. Elle réussit à traduire la vie, avec une sensualité qui laisse pantois. Il suffit de lire ces quelques lignes, extraites des toutes premières pages : « J’entends tinter les bouteilles qu’on rapporte du puit, d’où elles remonteront rafraîchies, pour le dîner de ce soir. L’une flanquera, rose de groseille, le melon vert ; l’autre, un vin de sable trop chaleureux, couleur d’ambre, convient à la salade –tomates, piments, oignons, noyés d’huile- et aux fruits mûrs. »

     

    Pourtant, Colette est en retrait. Cet été est pour elle l’occasion d’une réflexion sur l’amour, sur le vieillissement, sur la manière dont elle veut voir arriver la mort. A travers le triangle amoureux qui se dessine entre Vial, Hélène et elle-même, elle montre son cheminement vers l’abandon, la sérénité. Pour elle, cette situation est représente la tentation du dernier amour, une manière de se prouver qu’elle est toujours femme séduisante et séductrice. Y renoncer est donc un grand pas. Mais si elle renonce à l’amour, elle ne renonce pas au monde. Elle s’ouvre à lui, le frôle. Elle renonce à un amour qui l’aurait une fois de plus menée vers l’agitation, la souffrance. « J’ai encore des jours et des jours devant moi, je suppose, mais je n’aime plus les gâcher. Timidité dessaisonnée, un peu flétrie et amère, comme tout ce qui demeure suspendu, équivoque, inutile… Ni parure, ni pitance… »  Elle préfère respirer le monde. « L’aube vient, le vent tombe. De la pluie d’hier, dans l’ombre, un nouveau parfum est né, ou c’est moi qui vais encore une fois découvrir le monde et qui y applique des sens nouveaux ?... Ce n’est pas trop que de naître et de créer chaque jour. Elle est roide d’émotion, la main couleur de bronze qui court, s’arrête, biffe, repart, froide d’une jeune émotion. L’avare amour ne voulait-il pas, une dernière fois, m’emplir le creux des paumes d’un petit trésor racorni ? Je ne cueillerai plus que par brassées. De grandes brassées de vent, d’atomes colorés, de vide généreux, que je déchargerai sur l’aire avec orgueil. »

     

    Mais La naissance du jour n’est pas vraiment, ou pas seulement un journal. La préface est à cet égard absolument passionnante : « Il lui faut écrire le roman du renoncement. Mais elle renonce à renoncer. On n’écrit que du passé. Elle vit le présent. Elle écrit donc le poème du renoncement, pour conjurer l’avenir qui la menace et protéger cet amour d’automne qui l’attache à Maurice Goudeket. La naissance du jour fait silence sur cet amour : c’est le gage que ce dernier amour se transformera en amitié tendre, en amitié première et qu’alors le monde – souvent réduit pour elle à un seul être- lui sera de nouveau offert. »

    Et effectivement, Colette passe sous silence, elle ment. Mais elle en averti son lecteur : « Imaginez-vous, à me lire, que je fais mon portrait ? Patience : c’est seulement mon modèle ». Dès lors, il appartient au lecteur de démêler le vrai du faux, ou de se contenter de suivre Colette dans les méandres de sa réflexion sur l’art et la création, sur l’écrivain et son statut, la difficulté d’écrire et la souffrance qu’apporte parfois la célébrité.

     

    La naissance du jour a scellé mes retrouvailles avec cet écrivain que j’avais tant aimé adolescente et dont L’étoile Vesper avait fasciné l’étudiante que j’ai été. Un magnifique moment de lecture que je ne peux trop conseiller à ceux qui aiment la poésie et le plaisir des sens.

    Colette, La naissance du jour, GF-Flammarion, 1981, 191 p.