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Littératures anglo-saxonnes - Page 15

  • Sarn

     

     



    Prue vit avec ses parents et son frère au cœur de la campagne anglaise, tout près de l’étang de Sarn, cet étang où résonnent le soir, les cloches d’un village englouti. Défigurée par un bec-de-lièvre, elle va affronter le deuil, le travail acharné à la ferme, l’amour sans espoir, les superstitions et la méchanceté dans un tourbillon d’événements dramatiques.

     

    Fashion m’en avait parlé et au cours d’une virée dangereuse chez ce vieux Gibert Joseph, La Chef l’a brandi avec passion. Que voulez-vous, la LCA est faible, et bien qu’étant entrée dans ce lieu de perdition fermement décidée à ne ressortir qu’avec ce que j’étais venue chercher, je suis repartie avec (et quelques autres petites choses dont il sera un jour ou l’autre question ici). Là où je pousse le vice, c’est que non contente d’avoir laissé libre court à mes plus bas instincts, je n’ai absolument aucun regret. Ce roman est une petite et pure merveille. Le prologue, déjà, le prédit. Mary Webb, fille de la campagne, elle-même défigurée sait de quoi elle parle. Et elle aime profondément cette campagne qui est le décor de son roman et qu’elle a du quitter en trouvant, enfin, l’amour et le mariage : tout dans sa manière de décrire les paysages de Sarn le montre.

    Sarn n’est pas un simple roman pastoral. On y trouve, certes veaux, vaches, moutons, blé et volaille, mais le plus important est ce qui réside dans le cœur des hommes. Superstition, envie, jalousie, rancune, cupidité, autant d’éléments de la nature humaine qui portent le malheur là où il suffisait de se contenter de ce que donnait la nature pour y trouver quelque chose approchant du bonheur.

    La cupidité, c’est ce qui va perdre Gédéon Sarn et sa famille. Responsable de la mort de son père, il va travailler comme un diable pour réaliser un seul et unique rêve : acheter une maison au bourg voisin et y devenir un homme important. Peu lui chaud le prix à payer pour accomplir son dessein. Esclavagiser sa sœur, maltraiter sa mère, mener sa fiancée au désespoir, rien ni personne ne l’arrête. Ni Dieu, ni Diable d’ailleurs dont il a la beauté.

    Tout à l’inverse, Prue la douce est défigurée mais profondément bonne et aimante. Sa souffrance, elle la cache pour ne pas peiner son entourage. Bien plus instruite que ne le sont d’ordinaire les femmes et les paysannes, elle rédige l’histoire des temps de sa jeunesse.

    Mary Webb oppose tout au long de son roman ces deux natures : le mal et le bien en quelque sorte. Mais cela ne l’empêche pas de donner profondeur et complexité à ses personnages. Les fragilités que Gédéon cache se révèlent petit à petit. La volonté farouche de Prue la pousse à chercher en elle-même les ressources qui lui permettront de surmonter un pire tel que sa seule foi en Dieu ne peut l’aider. Cette volonté dont elle fait preuve la démarque de toutes les autres femmes de son entourage, et fait d’elle une sorcière, c’est-à-dire cette femme que l’on ne peut contrôler, que l’on peut d’autant moins contrôler que son savoir la met un peu plus à distance de ses semblables, frustres et crédules. C’est aussi de cela dont il est question : les superstitions et le mal qu’elles peuvent faire quand le monde qui les entoure, tout en brumes et mystères les confortent.

    La morale sera sauva à la toute fin, mais malgré ce happy end, bien des choses auront été dites sur l’humanité dans ces pages irriguées par la ferveur de l’auteur. Voilà un roman difficile à oublier et que je rouvrirai pour retrouver l’enchantement des paysages de la campagne anglaise, la beauté éblouissante de la naissance d’une libellule et du frémissement des champs dans la lumière de l’été.

     

    Mary Webb, Sarn, Les cahiers rouges, Grasset, 2008, 375 p. 

  • Jours d'orage

     

     

     

     

    En cette belle année 1960, Amanda Lashes, fraîchement veuve s’installe pour quelques mois à Florence avec sa fille. Mais au cours d’une promenade en voiture, une tempête éclate qui les contraint à se réfugier dans un village isolé : Rocca al Sole. Elles y font la connaissance du marquis Eduardo Corleone dont la femme a été sauvagement massacrée avec d’autres femmes et enfants durant la retraite nazie à la fin de la guerre. Malgré le temps écoulé, aucun villageois n’a oublié ces terribles événements. Lorsqu’ils identifient dans un touriste un de leurs tortionnaires, la tension monte.

     

    Autant le dire tout de suite, Kressman Taylor est sans doute l’auteur d’un roman, ou plutôt d’une nouvelle : Inconnu à cette adresse a été pour moi un véritable coup de poing. Intense, concis, cet échange de lettres est une synthèse époustouflante de ce qu’est le nazisme et l’antisémitisme. Jours sans retour ne m’avait pas autant touchée, mais je l’avais trouvé intéressant à défaut d’être passionnant. Pour être franche, Jours d'orage est une catastrophe. Je ne sais pas s’il s’agit d’un manuscrit retrouvé au fond d’un tiroir et jamais publié faute d’avoir été terminé par son auteur, mais on a l’impression de se trouver devant un canevas inachevé. Il y a un début, il y a une fin, il se passe bien des choses entre-temps, mais personnages comme rebondissements sont totalement stéréotypés : la jeune veuve, les italiens séducteurs et insaisissables, le marquis très noble, le braconneur sans foi ni loi…  Pourtant, il y avait de quoi faire : un nazi revient en touriste sur les lieux de ses exactions passées sans même imaginer que les habitants puissent encore lui en vouloir pour ce qui est, pour lui un acte de guerre, pour eux, un crime de guerre. Les questions posées par cette situation sur l’oubli, sur la haine et sur le pardon sont multiples. Mais Kressman Taylor ne fait finalement que les survoler, préférant se concentrer sur l’histoire d’Amanda et d’Eduardo, intégrant dans le propos des histoires de famille sans grand sens, usant presque abusivement des collines toscanes et des vieilles pierres et offrant une chute déçevante.


    Bref, une déception c’est le moins qu’on puisse dire !

    Kathrine Kressman Taylor, Jours d’orage, Flammarion, 2008, 226 p.

  • L'histoire de l'amour

     

    Alma 15 ans qui essaie de sauver sa mère d’un deuil sans fin tout en essayant de composer avec la mort de ce père tant aimé, Léopold le vieil homme qui écrit à ce fils qui ne l’a jamais connu, Bird l’enfant qui se prend pour un Juste, Litvinoff l’écrivain exilé, Bruno l’ami fidèle et les autres. Des enfants, des adolescents, des adultes dans la force de l’âge ou vieillissant qui se croisent, chacun luttant contre ou avec la solitude qui les accompagne, les pertes. Tous unis par un roman L’histoire de l’amour, si peu connu mais qui a changé leurs vies.

     

    Après les notes de lecture enthousiasmées d’Emeraude et de Fashion, pouvais-je seulement résister aux sirènes qui m’appelaient vers L’histoire de l’amour ? Je suis certaine que vous m’absoudrez va ! Vous savez trop bien combien il est difficile de ne pas céder à la tentation !

    D’autant que l’enthousiasme des deux tentatrices n’était que trop justifié.

     

    L’histoire de l’amour est un roman profond, à la fois infiniment désespéré et éclairé par l’espoir et une force de vie intense. C’est aussi un roman sur l’écriture et la force de la littérature. La littérature qui exprime si bien ce que nous sommes incapables de dire et de transmettre : amour, haine, regrets, désespoir. La littérature qui est un moyen de se retrouver, de faire comprendre à ceux qui le peuvent ou le veulent ce qui est et aurait du être. Tous les personnages à leur échelle sont bouleversants. Alma qui essaie de faire face à cette mère perdue dans son deuil et à ce frère qui frôle la folie, qui tente de déchiffrer le message contenu dans ce roman que son père décédé aimait tant qu’il l’avait offert à sa femme et avait prénommé sa première née d’après son héroïne. Léopold surtout, ce vieil exilé qui a tout perdu, amour, enfant, espoir d’une vie « normale » et qui fait tout ce qu’il peut pour ne pas mourir un jour où personne ne l’aurait remarqué, allant jusqu’à poser nu pour être vu.

    Ce n’est pas un roman facile : on se perd un peu, on s’interroge sur l’endroit où nous amène l’auteur en nous égarant dans les plis et replis d’une histoire d’autant plus complexe qu’elle se déroule entre Pologne, Chili, Israël et Etats-Unis. Mais finalement, comme le dit Emeraude, nous ne sommes pas plus perdus que ces personnages qui tentent de trouver tout simplement l’amour et qui se perdent dans les méandres de vies qui ne sont jamais celles qui étaient rêvées. Pour finalement retrouver le sens des choses quand les voix des personnages se rejoignent enfin et que les fils de l’intrigue se nouent.

    Amour, fidélité, souvenir, oubli sont au centre du roman. Les personnages de Nicole Krauss doivent finalement tous composer avec la Shoah, le souvenir douloureux, l’impossible oubli. Quoi qu’ils cherchent, c’est ce qu’il s’est passé pour eux, individus à partir de cette période qui a été le point de départ.

    La musique de ces voix résonne longtemps après que la dernière page de ce roman dense, intelligent, infiniment nostalgique et fort ait été tournée.

     

     

    L'avis de Papillon et celui de Clarabel.


    Nicole Krauss, L’histoire de l’amour, Folio, 2008, 459 p.

     

  • *Soupir* Ahhhhhhhhh, Jamie......



    Blogueuse, encore suffisamment en forme pour courir par monts et par vaux, nerfs solides, cherche jeune homme, la vingtaine, équipé d’un kilt, d’une épée rouillée mais pas trop, se prénommant Jamie de préférence. Pas sérieux s’abstenir.

     

    Ben quoi !! Je voudrais bien vous y voir moi avec toute cette pression subie de la part de notre glamourous blogueuse herself, ses soupirs, ses regards ardents à la seule mention d’un kilt, ses plaidoyers vibrants !! J’ai fini par craquer : la chair est faible, la LCA encore plus, et quand la providence (ou le petit diablotin sur mon épaule) a mis sur ma route le premier tome de cette série maintenant intergalactiquement connue qu’est Le chardon et le Tartan, je n’ai pas pu résister !

    Et bien m’en a pris : Jamie est définitivement entré au panthéon de mes héros littéraires, à côté de F.D. et de quelques autres ! Il est beau, il est intelligent, il est macho, il est… Jamiesquement glamour même couvert de boue et d’autres trucs crades !  Je ne m’étendrais pas sur le reste de ses compétences, allez donc vous faire une idée ! Et ne venez pas m’accuser si vous rougissez en gloussant stupidement à certains passages !

     

    Ceci étant dit, Diana Gabaldon offre un premier tome fort sympathique : plutôt bien écrit, mené tambour battant, passionnant malgré un début qui pouvait laisser craindre le pire. Une infirmière bascule de 1945 à l’Ecosse du 17e  suite à sa collision avec un cercle de cailloux dressés dans les landes du village où elle passe ses vacances avec son époux. Oui. Et pourtant, l’auteur joue avec habilité sur le décalage temporel et le choc culturel que subit son héroïne. Elle y ajoute une bonne louchée d’aventures et de batailles, un méchant très méchant, de l’humour, une héroïne au caractère bien trempé, des cavalcades et des fuites effrénées, quelques dagues et autres objets contondants. De quoi largement remplir un roman divertissant, agréable et finalement assez enthousiasmant !

     

    Je lorgne d’ailleurs dangereusement sur le tome 2 !

     

    L’avis de Fashion dont c’est entièrement la faute !  

    Diana Gabaldon, Le Chardon et le Tartan, Presses de la Cité, 2003, 647 p.

  • Caresser le velours

     

    Nancy est promise au destin sans heurts d’une petite écaillère de Whitstable jusqu’au jour où, au music-hall, elle croise la route d’une chanteuse travestie en homme. Pour elle, c’est le début d’une vie  hors du commun.

     

    Voilà un court résumé qui ne rend pas justice au deuxième roman de mes vacances ! J’étais pourtant un peu craintive en l’ouvrant : j’avais beaucoup aimé Affinités et j’attendais beaucoup de son premier roman. Je n’ai pas été déçue : happée dès les premières lignes, je n’ai pas vu passer le voyage de retour !

     

    Petite biographie de l’auteur : Sarah Waters est britannique et titulaire d’une thèse en littérature anglaise. Après avoir été libraire puis enseignante, elle a publié en 1998 Caresser le velours, suivi en 1999 d’Affinité, puis de Du bout des doigts, et Ronde de nuit. Chacun est à sa manière un roman historique, un roman érotique, et une belle manière de découvrir l’univers du lesbianisme.

    Sarah Waters campe à merveille les atmosphères, les personnages, les décors. On se retrouve sous les feux de la rampe, on frémit dans les rues de Londres, on sent l’iode au bord de la mer. Et surtout, on suit passionnément les récits des amours de Nancy. C’est romantique, c’est quelque fois beau, c’est parfois extrêmement cru : de la découverte du premier amour à celle de la sensualité la plus débridée, Nancy va connaître une vie amoureuse chaotique avant de trouver l’apaisement, et enfin, des pareilles qu’elle. Rien de plus facile et difficile à la fois que d’être différent dans cette Angleterre victorienne si prude. La rigidité des carcans sociaux est compensée derrière les apparences par les débordements insoupçonnés que permet la richesse, et un militantisme qui va de pair avec les luttes ouvrières, syndicales et politiques. En tout cas, on a le sentiment à cette lecture que l’auteur est documentée et ne tente pas de faire à son lecteur un tableau de l’homosexualité par trop anachronique. Et surtout, Sarah Waters ne sombre pas dans le voyeurisme sans pour autant éviter de décrire en détail ce qui pour beaucoup reste du domaine de l’interrogation et parfois du dégoût : l’acte sexuel lesbien.

    Je regrette simplement qu’elle sombre par moment dans un romantisme fleur bleu qui alourdit la narration et rend finalement ses héroïnes moins attachantes et fascinantes qu’elles pourraient l’être. Ceci étant, elle ne cherche en rien à rendre ses héroïnes attachantes : Nancy est un parangon d’égocentrisme, Florence n’a pas le caractère facile, et Kitty avec ses atermoiements perpétuels et ses geignements agace !


    Un beau roman malgré tout, fortement conseillé!

    Des avis éclairés: 

     

     

     Sarah Waters, Caresser le velours, 10/18, 2003, 590 p.

     

     

    La bibliothèque du Dolmen, Eclats de dire!