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ferme perdue dans la lande

  • Sarn

     

     



    Prue vit avec ses parents et son frère au cœur de la campagne anglaise, tout près de l’étang de Sarn, cet étang où résonnent le soir, les cloches d’un village englouti. Défigurée par un bec-de-lièvre, elle va affronter le deuil, le travail acharné à la ferme, l’amour sans espoir, les superstitions et la méchanceté dans un tourbillon d’événements dramatiques.

     

    Fashion m’en avait parlé et au cours d’une virée dangereuse chez ce vieux Gibert Joseph, La Chef l’a brandi avec passion. Que voulez-vous, la LCA est faible, et bien qu’étant entrée dans ce lieu de perdition fermement décidée à ne ressortir qu’avec ce que j’étais venue chercher, je suis repartie avec (et quelques autres petites choses dont il sera un jour ou l’autre question ici). Là où je pousse le vice, c’est que non contente d’avoir laissé libre court à mes plus bas instincts, je n’ai absolument aucun regret. Ce roman est une petite et pure merveille. Le prologue, déjà, le prédit. Mary Webb, fille de la campagne, elle-même défigurée sait de quoi elle parle. Et elle aime profondément cette campagne qui est le décor de son roman et qu’elle a du quitter en trouvant, enfin, l’amour et le mariage : tout dans sa manière de décrire les paysages de Sarn le montre.

    Sarn n’est pas un simple roman pastoral. On y trouve, certes veaux, vaches, moutons, blé et volaille, mais le plus important est ce qui réside dans le cœur des hommes. Superstition, envie, jalousie, rancune, cupidité, autant d’éléments de la nature humaine qui portent le malheur là où il suffisait de se contenter de ce que donnait la nature pour y trouver quelque chose approchant du bonheur.

    La cupidité, c’est ce qui va perdre Gédéon Sarn et sa famille. Responsable de la mort de son père, il va travailler comme un diable pour réaliser un seul et unique rêve : acheter une maison au bourg voisin et y devenir un homme important. Peu lui chaud le prix à payer pour accomplir son dessein. Esclavagiser sa sœur, maltraiter sa mère, mener sa fiancée au désespoir, rien ni personne ne l’arrête. Ni Dieu, ni Diable d’ailleurs dont il a la beauté.

    Tout à l’inverse, Prue la douce est défigurée mais profondément bonne et aimante. Sa souffrance, elle la cache pour ne pas peiner son entourage. Bien plus instruite que ne le sont d’ordinaire les femmes et les paysannes, elle rédige l’histoire des temps de sa jeunesse.

    Mary Webb oppose tout au long de son roman ces deux natures : le mal et le bien en quelque sorte. Mais cela ne l’empêche pas de donner profondeur et complexité à ses personnages. Les fragilités que Gédéon cache se révèlent petit à petit. La volonté farouche de Prue la pousse à chercher en elle-même les ressources qui lui permettront de surmonter un pire tel que sa seule foi en Dieu ne peut l’aider. Cette volonté dont elle fait preuve la démarque de toutes les autres femmes de son entourage, et fait d’elle une sorcière, c’est-à-dire cette femme que l’on ne peut contrôler, que l’on peut d’autant moins contrôler que son savoir la met un peu plus à distance de ses semblables, frustres et crédules. C’est aussi de cela dont il est question : les superstitions et le mal qu’elles peuvent faire quand le monde qui les entoure, tout en brumes et mystères les confortent.

    La morale sera sauva à la toute fin, mais malgré ce happy end, bien des choses auront été dites sur l’humanité dans ces pages irriguées par la ferveur de l’auteur. Voilà un roman difficile à oublier et que je rouvrirai pour retrouver l’enchantement des paysages de la campagne anglaise, la beauté éblouissante de la naissance d’une libellule et du frémissement des champs dans la lumière de l’été.

     

    Mary Webb, Sarn, Les cahiers rouges, Grasset, 2008, 375 p.