La campagne irlandaise. Une carte postale dans laquelle Mary est régulièrement violée par son père. A 14 ans elle est enceinte. Et bascule dans un autre cauchemar quand son village puis l’Irlande apprennent sa tentative d’aller avorter en Angleterre.
Ce roman est inspiré d’un fait divers qui a agité l’Irlande dans les années 1980. Ceci dit, l’avortement est un sujet encore et toujours d’actualité en Irlande comme ailleurs.
Tout comme l’est l’hypocrisie de sociétés qui refusent de regarder en face la violence faite aux femmes.
Ce que raconte Edna O’Brien, c’est l’horreur qui peut survenir dans une vie, soudainement, c’est le poids d’un secret vécu comme honteux pour une adolescente dont l’avenir a été brisé par un père violent. C’est la difficulté de faire face quand on sait que le monde auquel on appartient n’aura aucune pitié. Et en effet, il n’en a aucune de pitié : la réaction des femmes du village quand elles apprennent la grossesse et la tentative d’avortement de Mary est de ces réactions qui tordent l’estomac et qui rappellent qu’en chacun de nous dort un être mesquin et mauvais. Condamnations, rumeurs, médisances, rien n’est épargné à la jeune fille.
Mais le pire n’est sans doute pas cela. On voit se dessiner à travers cette histoire le portrait de femme profondément convaincues que l’avortement est un pêché mortel et dont la foi, pour être profonde sur ce point précis, ne les empêche pas d’avoir des comportements fort peu chrétiens. Et de faire subir à la jeune fille des violences physiques et psychologiques atroces.
Plus que l’inceste, c’est cela qui brise Mary : « Les gens étaient affreux, les gens étaient dangereux, les gens étaient prêts à vous crucifier, les gens qu’on connaissait et qu’on ne connaissait pas. Ce dernier constat était peut-être le plus terrible de tous et le plus effroyable. Peut-être que c’était ça qu’on entendait par vieillir, ce n’était pas les années mais le savoir. Elle l’avait maintenant. »
Bien que sachant que les femmes sont parfois les plus durs des bourreaux envers elles-mêmes et leurs semblables, j’ai reçu ces personnages comme autant de coups de poings.
En tout cas, on découvre à quel point l’avortement est une question qui déchaîne les passions en Irlande. Mary devient un enjeu national. Son cas étant porté devant les tribunaux, des juges doivent décider, mais surtout, les idéaux, les croyances, les manières de vivre s’opposent et se confrontent, tous essayant d’utiliser cette histoire pour parvenir à leurs fins, sans jamais prendre en compte la souffrance de l’individu.
Heureusement que l’espoir reste, à travers la rencontre de personnes, hommes et femmes, qui ne cherchent pas à faire le bien de Mary. Qui se contentent de l’aider et de la soutenir quelques soient ses choix.
C’est donc un roman, dur, fort. Il pâtit néanmoins à mon sens d’un style difficile, et surtout d’une narration éclatée. Les points de vue d’un grand nombre de protagonistes sont utilisés, sans que des indications de temps et de lieux permettent de se retrouver. J’ai donc eu l’impression de sauter du coq à l’âne à plusieurs reprises et de me perdre dans les méandres des courts chapitres. Ce qui ne m’a pas aidé à le terminer !
Edna O’Brien, Tu ne tueras point, Le livre de poche, 1998, 276 p.