Dinaw Mengestu, Les belles choses que porte le ciel, Albin Michel, 2007, 303 p.
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Clarabel en parle, Cathulu aussi.
Rachel Cusk, Arlington Park, Editions de l'Olivier, 2007,
Mon premier Nancy Huston est aussi son premier roman. Une coïncidence qui n'est cependant pour rien dans le plaisir que j'ai pris à lire cette oeuvre.
Liliane Kulainn invite trente personnes à venir l'écouter jouer les Variations Goldberg au clavecin dans sa chambre. Trente personnes qu'elle aime, ou qu'elle a aimé. Trente personnes avec qui elle a envie de partager ce moment. Trente personnes qui vont avoir des manières bien différentes de vivre ce moment entre intimité et exhibition.
En fait, on ne peut pas vraiment parler de roman. La quatrième de couverture parle de suite narrative, et c'est bien de cela dont il s'agit. Trente chapitres, chacun donnant le regard d'un invité sur cette soirée, sur ses relations avec la musicienne et ses proches. Trente chapitres qui peu à peu construisent un tableau. Un tableau aussi beau que l'oeuvre musicale qui l'inspire. La contrainte pour l'écrivain était sans doute forte. Et elle s'en tire avec plus que les honneurs. C'est brillant.
J'ai beaucoup aimé le style de Nancy Huston, cette capacité à épouser la manière de s'exprimer de ses personnages sans que jamais le trait ne soit forcé, sans que jamais on ne se lasse. Je dois avouer que je me suis perdue parfois dans le grand nombre de personnages, que j'ai parfois eu du mal à me souvenir des liens familiaux ou d'amitié les unissant. J'ai aussi été un peu gênée au départ par des débuts et fins de chapitre un peu curieux (on entre dans la réflexion des personnages au détour d'une phrase et on la quitte au détour d'une autre), mais au final, emportée par la musique des mots. J'entendais en même temps résonner les notes de Jean-Sébastien Bach.
En plus d'être beau, c'est intelligent. La finesse des propos, la confrontation de points de vue très différents sur un même objet la musique donne un résultat d'une intelligence rare et d'un intérêt qui ne faiblit pas. A chaque variation, une nouvelle manière de voir la vie, la musique, le monde.
Avec peu, Nancy Huston dresse un portrait des relations humaines, des incompréhensions entre parents et enfants, entre amis, entre amants. C'est parfois terrible d'ailleurs, ces regards croisés qui dévoilent à quel point le fossé peut être profond. Et c'est terrible aussi ces malaises, ces désespoirs si bien cachés que même ceux qui devraient pouvoir les percevoir ne le peuvent pas. En même temps, les liens existent, et ils restent forts. On les voit se recréer au fil de la lecture, au fil de la compréhension qu'on en acquiert.
On ne sait pas vraiment au final pourquoi Liliane offre ce concert. Peut-être pour se trouver elle-même, peut-être pour retrouver ce qu'elle a perdu. Peut-être pour faire de tous les fragments qui constituent sa personnalité un tout. Peut-être tout simplement pour avoir un moment de silence en dehors du temps et dans le temps. Temps qui passe au fil des variations qui s'enchaînent, et temps qui se suspens pendant que la musique prend forme. C'est un peu le cadeau que Liliane Kulainn fait à ses invités d'ailleurs. Un temps pour le silence, un temps pour s'écouter soi-même en même temps ou à la place d'écouter la musique, un temps pour la pensée ou l'absence de pensée.
On finit quand même par comprendre un peu. Par comprendre la souffrance d'une femme qui a fait de la musique sa vie, mais qui n'est jamais parvenue à l'entendre, cette musique, occupée qu'elle était à en être le passeur. Par comprendre qu'entourée par ces gens, elle cherche et réussit enfin à entendre, à se trouver.
Je sors de cette lecture enchantée, dans tous les sens de ce terme. Un peu de magie s'est glissée dans mon quotidien, et j'en remercie Mme Huston. Je voudrais pouvoir vous faire partager des morceaux de cet émerveillement, mais il y en a tant que j'ai été obligée de choisir au hasard. C'est une oeuvre que je prendrais plaisir à relire. En entier ou par fragment. Juste pour le plaisir d'en réentendre la petite musique.
"La première note, rejointe par la deuxième, ls deux entrelacées dans l'air, les tenir, insinuer un arpège de la main gauche, laisser vibrer ensemble, enlever un doigt, l'accord est transformé, détissé petit à petit, le silence se reconstruit, redevient intégral. Qu'en savent-ils des pauses, des soupirs, des aspirations, des suspensions, de tout ce qui fait le souffle de la musique, son aire invisible? Rien. Ils ne savent rien de rien. Ils ne veulent rien en savoir. Donnez nous notre bruit quotidien."
Nancy Huston, Les variations Goldberg, Babel, 1994, 249 p.