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Une société qui tremble sous la menace de la pauvreté et de la violence, un homme tombé dans la misère et l'enfer de la rue. Alors qu'il s'apprête à se suicider, l'homme de main d'un magnat de la mafia l'approche et lui propose de participer à un spectacle de cabaret hors du commun: une fois par mois, des hommes jouent à la roulotte russe pour le plaisir des spectateurs et contre une forte somme d'argent. Fasciné par ce qu'il a ressenti, il revient inlassablement, échappant à chaque fois à la mort contre toute probablité. Au point que petit à petit se bâtit la légende de celui qui est protégé par le sort. Une légende avec laquelle il va devoir apprendre à vivre.
Au départ, Je vous raconterai est le récit d'une déchéance ordinaire, de celles qu'on se voit parfois raconter dans les journaux ou les documentaires. Celui qui va devenir Le Protégé raconte comment de sa petite vie ordinaire de travailleur, d'époux et de père il a sombré jusqu'à se retrouver à la rue et au bord du suicide. Il raconte la rue, la violence omniprésente, le froid, le désespoir. Mais son but n'est certes pas de raconter ce qui arrive à ceux qui sont perdus. Ce qu'il raconte, c'est la trajectoire improbable que va soudainement prendre sa vie: celle d'un homme qui voulait mourir et qui retrouve goût à la vie en jouant à la roulotte russe. Revenu de tout, il fait partager au lecteur les leçons qu'il a tiré de son existence en s'adressant à lui, en l'invectivant, en le secouant... Ce qui donne, vous vous en doutez, un texte provocateur, agaçant, parfois indigeste, mais intéressant.
Intéressant par le regard porté sur la déliquescence d'une société. Intéressant par les ressorts qui amènent le narrateur à reprendre le goût à la vie en frôlant la mort. Intéressant dans ce qu'il montre de la naissance d'une icône, d'une sorte de sauveteur aux yeux d'une société.
Agaçant par l'aplomb du narrateur, sa condescendance parfois, son sentiment de Savoir, sa manière de s'adresser au lecteur le manque d'épaisseur des personnages "secondaires", les maladresses dans les dialogues, le côté un peu abracadabrant de l'histoire (le narrateur est un miraculé professionnel puisque enfant, déjà, il avait échappé à une mort certaine grâce au sacrifice de sa mère...°
Malgré le sentiment d'exaspération qui parfois me prenait, j'ai suivi jusqu'au bout cet homme est entre-deux. Pas encore mort, plus tout à fait vivant. Un état qui lui permet un franc-parler certain et des rélfexions intéressantes sur la vie et la mort. Il y a des moments de grâce dans le récit, malheureusement entrecoupés de passages un brin ennuyeux, ou crispants. Quelque part, lire Je vous raconterai, c'est fréquenter un être humain avec ses qualités et ses innombrables défauts. On en sort remué et sans s'être ennuyé.
Bref, Je vous raconterai ne restera pas dans mes annales, mais l'expérience de lecture fut intéressante et originale!
De dramatiques question se posent maintenant nous, bien chers participants: Fashion doit-elle arrêter le café latte, Chiffonnette doit-elle cesser de résister à l'appel du scone, Tarantino est-il bon pour la santé mentale des HGO?
Toujours est-il que sous l'effet de la frustration, du café latte et de Tarantino, quelques décisions ont été prises. Non, ne nous remerciez pas, ce n'est pas la peine. C'est pour votre bien!
Première décision: le challenge prendra fin le 30 septembre 2009, la plupart des valeureux participants ayant déjà donné du leur pour faire avancer la science.
Deuxième décision: le meilleur billet reçevra une glamourous récompense harlequinesque qui ne sera pas un Harlequin (enfin, un harlequin est si vite arrivé qu'on ne sait jamais ce qui peut se passer dans un colis), et une médaille en chocolat (ou pas). Challengeurs et non challengeurs pourront voter pour leur critique préférée dans le billet ad-hoc, exclusion faite de ceux des organisatrices. Les votes auront lieu entre le 30 septembre et le 7 octobre.
Troisième décision: en toute simplicité et amitié harlequinesque, nous lançons parallèlement le concours de la quatrième de couverture la plus harlequinesque, concours au cours duquel vous pourrez laisser libre court à vos fantasmes harlequinesques les plus inavouables. Fashion et moi-même réunies autour d'un martini et d'un pastis d'un café latte décernerons le prix en toute subjectivité. A vos plumes et à vos billets entre le 30 septembre et le 7 octobre itou.
Pour la route et parce que vous et nous le valons bien, la liste de nos valeureux harlequins et harlequines:
Poldavie, 2022. Trois ans après le génocide qui a touché la population d'origine ukrainienne, le gouvernement lance une campagne d'effacement de la mémoire des survivants. Pour la paix de la société poldave et le bien de tous. Mais certains ne veulent pas perdre leur mémoire. Pavel Soutine est de ceux-là. Ce qu'il sait va faire de lui la cible privilégiée des services gouvernementaux.
J'ai finalement assez souvent l'occasion de hurler mon amour pour les littératures de l'imaginaire mon intime conviction que les romans qui relèvent de ces genres sont parmi ceux qui parlent le mieux du monde qui nous entoure et de ses enjeux. Memory Park ne déroge pas à la règle, Fabrice Colon offrant à ses lecteurs un texte percutant et intelligent sur les enjeux de la mémoire collective et les mouvements nationalistes qui s'éveillent de temps à autre à la violence.
Sa Poldavie, petit état récemment indépendant d'Europe de l'Est est totalement crédible. On retrouve au fil des pages tout ce qui a hanté les pages des journaux dans les années 90 et au début des années 2000: les revendications indépendantistes, les mouvements de population, les crispations identitaires, les tensions ethniques et religieuses, les affrontements, l'impuissance des grandes puissances... Et surtout, le cheminement lent et terrifiant qui mène des hommes à exterminer leurs semblables au nom de valeurs dévoyées et faussées. J'ai été, faut-il le dire, impressionnée par la qualité de la trame et du paysage politique imaginés par Fabrice Colin.
Ce cadre, et les événements qui se sont déroulés en 2019, le lecteur les découvre au fil des souvenirs d'un adolescent, Pavel, un des rares survivants de la vague de violence qui a déferlée sur la Poldavie, et de sa lutte contre le "devoir d'oublier" prôné par le gouvernement poldave trois ans après que des camps d'extermination aient fait leur réapparition. Le devoir d'oublier, comme pendant au devoir de mémoire. Les aventures de Pavel posent une question fondamentale: peut-on faire oublier le pire au nom du bien collectif, peut-on purement et simplement effacer ce qui dérange pour éviter d'y faire face et de risquer la réprobation des générations futures? Le message est fort, complexe, d'autant plus complexe que Fabrice Colin n'y apporte pas de réponse toute faite et évite soigneusement tout sentimentalisme ou sensationnalisme morbide. Pavel oscille entre l'envie d'oublier, la colère, la volonté de rapporter au monde ce qui s'est passé. Seule certitude, la nécessité du témoignage. Questions et amorce de réponse sont distillé au fil des aventures vécues par Pavel et son entourage, aventures qui ne m'ont pas toujours convaincue, mais permettent de maintenir un suspense efficace.
La construction assez ambitieuse du texte avec de constants aller-retour du présent au passé, les thèmes abordés, les personnages complexes, tout concourt à faire de Memory Park un roman pour adolescent intéressant et passionnant, non pas essentiel, mais utile pour soulever sous un angle nouveau les questions du devoir de mémoire, du génocide, de la manipulation. et rappeler que l'histoire se répète trop souvent.
Colin, Fabrice, Memory Park, Mango, coll. Autremonde, 2007, 4/5
Epa, tout à ses rêves d'une Afrique rendue à elle-même, veut s'enrôler dans les troupes d'Isilo, un mégalomane qui tente de rendre sa grandeur et son unité à toute une région d'Afrique équatoriale. Mais les rêves se heurtent toujours à la réalité. La nuit où les troupes d'Isilo investissent son village Epa va être confronté à une violence sans nom et sans justification, au sacrifice sanglant de son frère, aux enlèvements d'enfants, au pillage. Emmené avec d'autres, il perçoit dans la forêt la présence mystérieuse d'ombres enchâinées qui demandent réparation des crimes du passé et l'esprit de son frère sacrifié qui lui demande de sauver ses compagnons d'infortune.
S'échappant, il retrouve en ville Ayané, une fille de son village, qui va l'aider à guérir ses blessures physiques et morales et à accomplir sa mission.
Il y a un mot qui revient, de la couverture à la fin du roman: Sankofa, le cri Sankofa. Un mot akan qui signifie retour aux sources, ou retourner chercher ce qui t'appartient. Un mot qui fait référence à la nécessité de connaître le passé pour avancer vers l'avenir, à la nécessité de la recherche de la connaissance et de l'examen critique. Une démarche d'autant plus nécessaire et fondamentale en Afrique, que là-bas comme ailleurs, les morts ne cessent jamais d'habiter leur terre natale. Connaître, ou plutôt reconnaître ses morts, c'est se connaître, pouvoir affirmer son identité. Mais que se passe-t-il quand les morts sont oubliés? Ce sont aux morts oubliés que Léonora Miano donne voix dans les chapitres qui entrecoupent les récits d'Epa et Ayané. Mais pas n'importe quels morts oubliés: les victimes du commerce triangulaire, celles qui sont mortes pendant la traversée, qui n'ont eu ni sépulture, ni descendance. Ces morts oubliés continuent d'errer, et d'influer sur le destin des vivants. Tant qu'ils ne seront pas honorés selon les rites de leurs peuples, tant que le passage vers le repos ne leur sera pas offert, la terre africaine ne connaîtra pas la paix. Cela, les morts le donnent à entendre en des interventions incantatoires, cadencées, tranchantes.
" Qu'il soit fait clair pour tous que le passé ignoré confisque les lendemains.
Qu'il soit fait clair pour tous qu'en l'absence du lien primordial avec nous, il n'y aura pas de passerelle vers le monde.
Qu'il soit fait clair pour tous que la saignée ne s'est âs asséchée en dépit des siècles et qu'elle hurle encore de son tombeau inexistant.
Qu'il soit faire clair pour tous que rien en sera reconstruit chez ceux qui n'assurèrent pas notre tranquillité.
Ne crains pas de comprendre, de rapporter notre propos. Nous sommes les cieux obscucis qui s'épaississent inlassablement, tant qu'on ne nous a pas fait droit."
Les cieux obscurcis sont ceux de l'Afrique meurtrie dans laquelle vivent Epa et Ayané. Leur histoire est celle d'une tragédie: la violence et la sauvagerie qui déferlent, les sauveteurs autoproclamés qui détruisent le peuple qu'ils disent vouloir sauver, la peur et les traditions peu à peu dévoyées, le désespoir masqué d'une population qui continue de rire quand elle n'a plus que le désespoir en partage.
"Le rire légendaire des populations du Mboasu n'était plus qu'une habitude. Celle de banaliser l'horreur à laquelle on se croyait condamné. On n'était pas philosophe: on encaissait."
La voix d'Epa, surtout, raconte l'absurde: une rébellion qui n'est plus une rébellion, mais lutte pour l'argent et le pouvoir qui vole leurs âmes à des enfants pris dans la guerre. Celle d'Ayané dit le silence, et le poids de ce silence qui étouffe la vie: "La douleur ne pouvait s'exprimer sans contester le divin. Elles devaient se tenir droites, faire ce qu'elles avaient à faire, sans savoir pourquoi." Les mères ne peuvent pleurer leurs enfants enlevés, les adultes oublient d'aider les enfants, les étrangers sont rejetés, les discours appellent à la soumission, à la résignation, ou à une violence qui devient le seul moyen d'exprimer la rage, la colère et la tristesse.
"Devant nous il y a toujours un mur. Tout nous est interdit. Le désir. Le rêve. Il n'y a, pour nous, que le besoin et le manque. Lorsque nous sommes audacieux, il y a parfois l'espérance, mais nous ne sommes guère nombreux à tenter notre chance à ce jeu de hasard., dit Epa, qui croyait à la rébellion et a vu ses espoirs et ses rêves se briser.
Tout cela parce que l'essentiel a été oublié: "Aux Anciens, Nyambey a accordé une longue vie. Aux jeunes, il a donné une longue vie.
Pour moi, cet adage résume la pensée non écrite de nos anciens. Il signifie que nos pères savaient qu'il y a un temps pour tout. Ils nous ont légué des coutumes adaptables. Dans leur sagesse, ils comprenaient qu'il ne leur appartenait pas de décider pour nous, ignorant quelle existence nous ménerions. Se sachant faillibles, ils nous ont liassé une éthique. Une vision du monde. Le devoir de solidarité. L'hospitalité. Le respect de la nature. La foi en la vie. Pour moi, être un Continental, c'est vivre cela. Ce n'est pas perpétuer des actes dont le motif s'est perdu dans le fond des âges."
"Tu vois, c'est en partie en cela que réside notre tragédie. Nos pères n'ont pas inscrit leur pensée sur du papier, la laissant voler au vent pour arriver jusuqu'à nous. Il est donc facile pour des manipulateurs d'entraîner des foules dans le mensonge."
Léonora Miano explique son point de vue dans sa postface: elle parle, à travers son roman, de la Melancholia Africana, concept développé par une universitaire, Nathalie Etoké. Celle-ci examine comment les Noirs gèrent la perte, le deuil, la survie dans un contexte marqué par la rencontre violente avec l'Autre dont l'esclavage, la colonisation, puis la post-colonisation sont les points de repères essentiels. Et elle examine comment peut naître une conscience diasporique qui intègre ces points de repère et en fasse un catalyseur de liberté. Le mal du continent africain est celui naît du basculement provoqué par sa rencontre avec l'occident. Une rencontre qui a modifié profondément les modes de vie avec l'apparition et l'imposition de notions impossibles à rejeter et profondément étrangères aux populations. De la déstabilisation des valeurs traditionnelles, du manque de repère, de la non intégration des valeurs occidentales aux valeurs traditionnelles viennent les conflits, la violence, et ceux qui, comme Isilo, pensent pouvoir utiliser le peuple dont ils sont issus pour réaliser leur rêve.
Le renouveau ne peut venir que de ceux qui interrogent, qui refusent et qui luttent. De ceux qui forgent leur identité à l'aune des traditions de leur peuple et du présent. Epa est un de ceux-là. Ayané aussi, qui n'a jamais été acceptée par le village de son père parce que sa mère était une étrangère venue d'un autre village.
L'histoire d'Epa et Ayané montre comment passé et présent s'imbriquent, s'influencent et se complètent, l'un expliquant l'autre, au moins en partie. Les aubes écarlates parle des séquelles de l'histoire en donnant la parole aux morts. D'abord, seul le lecteur les entend. Puis, petit à petit, les personnages, Epupa surtout, qui devient l'intermédiaire entre le monde des morts et le monde des vivants, hurlant un message que de rares personnes entendent et comprennent. Un message simple: ceux qui ont perdu la mémoire n'ont pas d'avenir, parce que l'abandon de son histoire est l'abandon de soi.
Léonora Miano offre un roman profond, touchant, qui plonge au coeur de l'Afrique et la donne à la sentir et ressentir. Quoi que l'on pense de sa vision du passé et de l'avenir de l'Afrique, la force de son propos et de son style est indéniable. J'ai aimé ce voyage auquel elle invite.
Une découverte qui me donne plus qu'envie de me plonger dans ces autres romans.
Cassandra Wilson a chanté Sankofa Cry, je vous laisse l'écouter.
Gilbert, la quarantaine venue, vit toujours avec son père. Mais quand ce dernier vient à mourir, comment combler le vide? Adopter un animal? C'est le début des ennuis...
Et un régal pour le lecteur. Une ritournelle grinçante et ironique qui distille d'illustration en illustration une angoisse sourde et un rire jaune. C'est certain, ce n'est pas avec Gilbert qu'on va rire. Encore que... Avec la mort de son père, Gilbert découvre un grisante liberté! C'est la fin de la petite vie étriquée, morne et réglée comme du papier à musique qu'il menait jusqu'à présent! Il va pouvoir manger ce qu'il veut! Ce coucher à l'heure qu'il veut! Aller aux toilettes en laissant la porte ouverte! A lui la belle vie, le calme et la sérénité! Et la solitude qui petit à petit vient le ronger. La solution? Adopter un animal: un chat d'abord, mais pas de chance, Minou meurt; un chien ensuite, mais pas de chance, Chien aboie trop; puis un cochon, puis un lapin, puis un furet... Décidemment, les animaux ne sont pas très satisfaisants! Et pourquoi pas une épouse alors? Après tout, Gilbert vient bien de découvrir qu'il n'a rien du tout contre imaginer la jolie vendeuse de l'animalerie toute nue... C'est ainsi qu'Epouse entre dans sa vie pour mener avec lui, une nouvelle petite vie morne, étriquée, et réglée comme du papier à musique. Et puis Epouse meurt, en donnant le jour à un garçon qu'il va élever dans un cocon. Jusqu'au jour où il meurt et où tout recommence... Terrifiant non? Cette vie grisâtre, ou rien ne réussit vraiment, où on se protège avant toute chose d'un monde extérieur perçu comme menaçant. L'éducation de son fils par Gilbert donne lieu à une litanie d'interdictions, de mises en gardes, de méfiance et de conseils qui sont autant de petites prisons. Le texte, court et percutant, est accompagné d'illustrations magistrales: en noir et blanc, fourmillantes de détails, elles révèlent, accentuent l'impression d'étouffement qui saisit à la lecture, et ajoutent une nouvelle dimension au texte. On ne les quitte que pour aller faire un tour au cimetière. Et quand une éclaircie survient, que la mer, la ville, le jardin font leur apparition, c'est pour que le drame survienne, et que l'on retourne au cimetière et dans cette maison dont seuls les tableaux changent.
Ne désespère pas Gilbert est une fable politiquement incorrecte sur la reproduction des schémas familiaux, l'isolement et l'inadaptation au monde, la construction de l'identité. Gro Dahle raconte l'histoire d'une vie sinistre, ratée, subie par un homme comme les autres, sans réelle lueur d'espoir au bout du chemin... Si ce n'est qu'on ne sait pas ce que fera de sa propre vie le fils de Gilbert. Après tout, on est aussi ce qu'on choisit d'être!
Un petit chef-d'oeuvre à lire et relire!
Dahle, Gro, Ne desespère pas Gilbert, Ed. Etre, 2008, 5/5